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Ce n’est qu’un combat

juillet 2003.

L’offensive capitaliste est rude : casse des services publics, de l’éducation, des retraiteset de la Sécu. Le mouvement social né en réaction n’a pourtant pas donné toute son ampleur pour y mettre un frein. Des militants inscrits dans les luttes en font lectures et analyses. Pour quelles perspectives de combat et mises en œuvre d’une autre société ?



Le mouvement social qui vient de passer n’est sûrement pas fini. Mais, à Lyon (certainement ailleurs aussi), il y a un sale goût d’amertume et de rancœur. Car, quoi qu’on en dise, une lutte qui ne gagne pas est toujours démoralisante. Et les grévistes ont pris un sale coup de la part du pouvoir : la réforme des retraites est maintenue dans son ensemble, et la décentralisation est toujours effective pour les TOS (90 000 personnes non enseignantes de l’Éducation nationale). On ne peut donc parler de victoire politique pour ce mouvement social. Et il y a bien un vainqueur : le Medef et sa refondation sociale.

Cela étant dit, lorsqu’on regarde tout ce qui a été tenté par le gouvernement et ses sbires (y compris de gauche) pour calmer les esprits et mettre fin aux mouvements de la rue, on se dit que le pouvoir n’est pas si bien dans ses bottes que cela. Car un esprit de fronde clairement « lutte de classe » s’est exprimé avec virulence et acharnement. Un économiste libéral bon teint, sur le plateau de la chaîne de LCI, a même parlé d’un retour de l’anarchosyndicalisme. C’est dire l’ampleur de la lame de fond.

Malgré la communication-marketing à fond de ballon (pas un soir sans un larron du gouvernement qui défendait la « réforme vitale »), la méga-campagne de presse de la désinformation, le bouquin de Ferry pour chaque enseignant, la lettre du sieur Raffarin pour 26 millions de personnes, rien n’a pu entamé la dynamique du mouvement depuis environ avril, et des luttes se faisaient encore sentir jusqu’à fin juin. Rien à faire : la majorité des salariés a soutenu la lutte.

Bien entendu, la carte de la répression a été tentée tout au long du mouvement. Le lundi 16 juin à Caluire, près de Lyon, une manifestation anti-Sarkozy s’est à nouveau terminée par les gaz lacrymogènes et par la comparution immédiate d’un jeune de 23 ans qui a pris quatre mois de prison ferme. Cette répression systématique n’a fait qu’accentuer la colère rentrée.

L’incarcération récente de José Bové fait aussi partie de cet arsenal pour casser l’expression des mouvements radicaux.

S’organiser sans bureaucrates

Le point rassurant pour l’avenir proche, c’est la capacité qu’a eue la base pour s’organiser de manière autonome, et sans directives syndicales ou intersyndicales. C’est fut le cas dans le Rhône où de nombreux collectifs se sont mis en place sur des bases géographiques et interprofessionnelles clairement avouées : collectif On vaulx mieux (Vaulx-en-Velin : le premier qui s’est mis en place), collectif-AG Ouest lyonnais, collectif Croix-Rousse, AG de Vénissieux, Rilleux-Val-de-Saône, Villefranche-sur-Saône, etc. Rares les coins qui n’avaient pas leur collectif ou leur AG.

Et le ton radical et dynamique était donné par les collectifs, organes alternatifs aux structures syndicales traditionnelles. À noter qu’à Lyon les AG départementales ont regroupé jusqu’à près de 500 personnes, mais jamais ces AG très combatives n’ont pu donner naissance à une réelle coordination ou fédérations des collectifs existants. Et cette lacune devra être comblée un jour ou l’autre. Car, au final, ce sont les bureaucraties syndicales (CGT, FSU, FO) qui ont freiné la construction de la fameuse grève générale.

Coordonner les collectifs

Pendant cette lutte, à Lyon, les manifs interprofessionnelles n’ont jamais débouché sur une AG interprofessionnelle à la Bourse du travail qui, elle-même, en se structurant aurait permis la création d’une coordination de la lutte. L’intersyndicale s’est opposée fermement à toute initiative la dépassant.

Finalement, le travail interprofessionnel s’est fait à la base, mais localement, par quartier, les enseignants sont allés voir les cheminots les plus proches, diffusion de tracts devant les dépôts des transports en commun lyonnais, diffs sur les marchés… et tant d’autres actions visant à la grève générale. Tout ces liens sociaux créés pendant cette grève ne sont pas perdus, et ils sont les armes de la prochaine bagarre qui sera de fait à caractère interprofessionnelle (ou alors, politiquement, ne sera pas).

Radicalisation la base

À noter que la CFDT étant un syndicat patronal, la CGT joue maintenant le rôle de la CFDT d’antan. À savoir, la courroie de transmission de la gauche réformiste (l’ovation de Thibault au meeting du PS en est un signe). Bon nombre de cégétistes sont conscients de cette manœuvre, et le bilan critique des manœuvres politiciennes des bureaucraties syndicales doit se faire, si c’est possible, dans chaque syndicat.

Pour la CGT-éducation de Lyon, nous avons été un bon nombre de syndiqués investis dans la bagarre à réclamer vivement une assemblée générale de tous les syndiqués (profs, instits, ATOSS, etc.) pour faire le bilan critique et soulever les points suivants :

Le 13 mai, les cheminots de tout le pays étaient en grève et souhaitaient continuer après. Et le 14, c’est la CGT qui a poussé à la reprise du boulot pour attendre… le 2 juin ! Pour épuiser le mouvement enseignant, on ne pouvait pas mieux s’y prendre.

Au début de l’année 2002, une structure d’épargne salariale (synonyme d’épargne retraite en langage hypocrite fabiusien) a été créée par la CGT, la CFDT, la CGC et la CFTC : le comité intersyndical d’épargne salariale (CIES). Le Monde daté 1er-2 juin 2003 relate les méfaits de cette structure cogestionnaire en ses termes : « Ils n’ont pas encore drainé des capitaux importants, c’est tout juste en train de se mettre en place, mais il y a beaucoup d’espoir. » (Dominique Georget, directeur général de la société de gestion Natexis Épargne Entreprise). Depuis quand le rôle d’un syndicat est-il de favoriser les plans épargne dans les entreprises ? Cette démarche n’explique-t-elle pas, en partie, le peu d’engouement de Thibaud pour la grève générale ?

Finalement, la réforme des retraites à la sauce Raffarin va certainement aider le CIES à se développer.

Pourquoi l’UD CGT a-t-elle freiné la mise en place d’une AG départementale interprofessionnelle alors qu’il y a eu régulièrement des AG départementales de l’éducation dans lesquelles d’autres professions étaient présentes (hôpitaux, finances, Courly, etc.) ? Que signifie d’appeler à la grève lors des examens et dans le même temps appeler « à ne pas nuire au bon déroulement des examens » ?

Ces questions posées à l’AG des syndiqués et le débat qui nécessairement s’ensuivra permettront aux cégétistes les plus combatifs de se compter et d’aborder la rentrée avec plus de lucidité quant à la politique de l’appareil CGT.

D’autre part, on peut penser (d’après les dires des grévistes) que la CNT, très active sur Lyon, gagnera en audience, voire en adhésions, comme ce gréviste professeur de philosophie lâché par la FSU pendant les examens et qui veut adhérer à la CNT (il n’est certainement pas le seul).

Parions que les vacances d’été ne seront qu’une mi-temps pour une bonne partie des grévistes syndiqués (ou non syndiqués d’ailleurs) qui continuent d’agir dans les collectifs de base. Espérons aussi que ce sera une bonne méditation pour tout ceux qui ont soutenu l’action des grévistes sans jamais, jamais, se mettre dans l’action.

Tant de choses à dire encore sur ce mouvement 2003, mais je finirai par ce que nous clamions pendant la manif rouge et noir de la CLAAC G8 : « Unité ! Action ! Autogestion ! Grève générale ! »… pour bientôt.

Manolo


Manolo est militant du groupe Déjacque, FA Lyon, enseignant en lycée professionnel, syndiqué CGT-éducation et militant du collectif Croix-Rousse.