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Argentine

Autogestion

juillet 2003.

Occuper, résister et produire est le bulletin bihebdomadaire édité par le MNER (Mouvement national d’entreprises récupérées) à Buenos Aires. Ouvert à toutes les entreprises récupérées par leurs salariés. Il est impossible, faute de place, de rendre compte de la diversité des motivations et des conditions qui ont abouti à la reprise en main de ces entreprises par leurs salariés. Voici l’entretien accordé par Hugo Cordoba et Alberto Villafruela, respectivement secrétaire et trésorier de la flambante coopérative.



Dans le quartier de Monte Castro (Buenos Aires), six travailleurs se sont résolus à récupérer l’usine de mozzarella Luis del Valle Murua alors qu’elle était sur le point de fermer. L’entreprise, dans ses meilleurs moments, facturait 250 000 dollars de marchandises par mois et employait 45 personnes. Mais sous la direction frauduleuse des derniers propriétaires, l’entreprise se surendetta et fonctionna avec un personnel restreint. Dans ces conditions, le dernier chapitre de cette entreprise créée en 1961 allait se terminer, les salariés se refusèrent à cette fin, se battirent, l’occupèrent et la transformèrent en une coopérative.

Aujourd’hui, ils se battent pour la réactiver de façon autogestionnaire.

Quels furent les rapports avec les propriétaires avant la faillite ?

Ce fut terrible. Le plan de licenciement fut validé. Pensez qu’ici 45 personnes travaillaient, nous avions une gamme de fromages de première qualité, des clients à travers tout le pays. La marque Septimo Varon a toujours été synonyme de la plus haute qualité, plus de quarante ans de carrière et voyez où nous en sommes. Ce fut un désastre.

Les choses allaient mal, mais, lorsque le propriétaire fondateur mourut, ses enfants finirent de ruiner l’entreprise. Ce fut un gâchis total.

Les fournisseurs et les clients en général, dans leur grande majorité, avaient confiance en nous mais ne voulaient rien avoir à faire avec les patrons. Ces derniers avaient laissé un monceau de dettes. Et ceux qui faisaient toujours face, c’étaient nous autres. Les travailleurs ne mentent jamais, ni n’abusent personne.

Comment se fait-il que vous ayez décidé de former une coopérative ?

Après tout le processus de licenciement et de faillite, les patrons partirent et nous six décidâmes d’occuper l’usine et de tenir comme on pouvait. Et c’est en discutant que nous avons décidé de nous constituer en coopérative de travail. Nous avions été roulés : le moins lésé a été volé d’un an et demi de salaires et de primes.

Quelles sont vos priorités ?

Pour nous, elles sont de deux ordres. D’abord juridique, pour résoudre la partie légale, qui est assez compliquée. Et l’autre point fondamental, c’est le capital de travail. Cette usine a besoin de 30 000 ou 40 000 pesos pour récupérer tous les postes de travail (45) et en créer un peu plus aussi. Et ce serait une priorité, par exemple, que l’on impose un impôt sur le PIB ou le secteur le plus riche de la société pour financer les usines récupérées qui furent abandonnées par les patrons et qu’aujourd’hui les ouvriers dirigent.

Pourquoi croyez-vous que le gouvernement ne donne pas de suites aux réclamations des entreprises récupérées ?

Il est évident qu’ils ne veulent pas que cette nouvelle façon de travailler en coopérative s’étende et obtienne du succès. Ils ne veulent pas que les travailleurs deviennent indépendants, c’est pourquoi l’exemple des usines récupérées, contrôlées par les travailleurs est dangereux pour eux. Si l’idée se propage et si les usines finissent par être autogérées par les travailleurs… Alors s’ouvrirait un contexte économique et social totalement différent. Aujourd’hui, ces usines sont rentables. Il n’y a pas de travail pénible et elles produisent de la qualité. Nous n’avons pas besoin des patrons. C’est pour cela que nous ne voulons plus jamais de propriétaires. De plus, le climat du labeur change aussi, il y a plus de camaraderie, nous discutons beaucoup, et c’est nous-mêmes qui décidons. Cela se fait entre nous, personne ne décide pour nous.

Cela fait des mois que des investisseurs nous approchent pour investir et relancer la production, mais nous les avons chassés. C’est une tentation forte, mais nous avons décidé de relever le défi et de nous en sortir par nous-mêmes. Nous travaillons tous et gagnons le même salaire. Nous ne voulons rien devoir aux patrons, car qui peut nous assurer qu’ils ne vont pas nous berner une nouvelle fois ? C’est pour cela que nous sommes confiants en nous-mêmes. C’est par cette confiance que nous nous en sortirons. Et jamais plus de patrons.

Occuper, résister et produire, nº 2.