Accueil > Archives > 1997 (nº 1065 à 1104) > 1075 (13-19 mars 1997) > [Berlin est un chantier !]

Cinéma

Berlin est un chantier !

Le jeudi 13 mars 1997.

Berlin, Cannes, Venise, les Ours, les Palmes et les Lions ; que rapportent-ils ? L’Ours d’or, empoché par Milos Forman pour Larry Flynt, est-il à l’origine des 75 000 entrées à Paris ou est-ce le résultat de l’affiche, contestée par des traditionalistes religieux, que Milos Forman a retirée en dernière minute ? Le film pose très bien le problème de la liberté d’expression et des limites d’une démocratie : le même problème que Chomsky posait en ces termes : facile de donner la parole aux gens dont on partage l’opinion.

Liberté d’opinion, ce n’est pas évident partout dans le monde. Port Djema, un film juste et grave sur la politique post-coloniale de la France en Afrique. Ça se passe aujourd’hui, entre les massacres. Un chirurgien français, solidaire des rebelles, est assassiné. Son ami se rend sur les lieux, pour une promesse donnée. L’excellent comédien Jean-Yves Dubois, visage triste de Buster Keaton, campe l’ami médecin. Rien ne se passe mais beaucoup de choses sont dites par les images, passant par les gestes et les plans. Un Ours d’argent récompense le travail d’Eric Heumann dont c’est la première réalisation. Producteur de films importants (Indochine, Le Regard d’Ulysse), il a eu l’idée du sujet en suivant le tournage d’Angelopoulos avec un photographe. Rarement, on aura vu un film aussi juste sur la décolonisation inachevée où la France « aide les gouvernementaux le jour et les rebelles la nuit », comme le dit un personnage agent double des services diplomatiques français.

Un autre Ours d’argent a été attribué à Raoul Ruiz pour son art inimitable où les marins fous du Vaisseau Fantôme fréquentent le fantastique de contrées lointaines. Ruiz est chilien et a été distingué pour ses qualités d’auteur, ses films artistiques et énigmatiques très loin de l’univers balisé des publicités pour lessives Généalogies d’un crime.

Lucie Aubrac, très attendu en Allemagne, montrait un Barbie fan de fouet et de filles, la Résistance de très loin puisqu’il s’agit de la belle histoire d’amour de Lucie, d’un caprice de femmes aux beaux chapeaux. Que l’authentique formidable Lucie soutienne le film vient d’après elle d’une chose très simple : « Ce sont des gens ordinaires qui pratiquent la désobéissance civique et c’est une leçon pour aujourd’hui ! ». Mais les Aubrac-Samuel soutiennent le film aussi parce que Berri s’est engagé à verser des sommes substantielles à leur Centre de la Résistance à Lyon.

Notre Juliette Binoche rafle en revanche le prix de la meilleure interprétation féminine avec Le Patient anglais où elle joue une infirmière pas ordinaire. Un peu de Dr Jivago, un peu de Lawrence d’Arabie, c’est volé de partout, même si certaines scènes créent parfois de l’émotion, le film est une sorte de Readers Digest pour des images pillées dans le grand livre du cinéma.

Une rétrospective Pabst et la sublime Louise Brooks faisaient oublier tout cela et révélaient que cet artiste avait une compassion toute particulière pour ses personnages féminins.

En apothéose : La Boîte de Pandore (Die Büchse der Pandora) confirmait la pensée libertaire d’un grand cinéaste.

Heike Hurst — émission Fondu au noir (Radio libertaire)


P.S. : Berlin est en travaux et le Festival déménagera au plus tard en 2001 vers le Potsdamer Platz, vieux centre du Berlin d’avant-guerre. Le seul film allemand en compétition ne manquait pas d’humour et s’appelait La Vie est un chantier.