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Référendum au Venezuela

« ¡ Que se vayan todos ! »

Le jeudi 6 novembre 2003.

Cet éditorial du journal El Libertario de Caracas (sept-octobre 2003) exprime le point de vue de la Commission des relations anarchistes devant l’éventualité d’un référendum demandé par les opposants sociaux-démocrates et de droite pour révoquer le mandat d’Hugo Chavez, l’actuel président. On pourrait argumenter de même à propos du lamentable spectacle de l’élection d’un acteur américain réactionnaire pour remplacer un gouverneur incapable en Californie.



Michel Bakounine, géant par sa taille et ses idées, affirmait en 1874 qu’il était impossible de mener à terme un quelconque type d’émancipation sociale à travers des systèmes centralistes et autoritaires. Le penseur russe, pilier de la pensée libertaire, mena une polémique ferme contre les idées de Marx. Malgré leur accord sur le fait que c’est la lutte finale contre le capitalisme qui entraînera la suppression des inégalités, l’anarchiste réfutait l’idée que l’unique source de pouvoir fût la propriété privée, comme l’affirmait les marxistes. Bakounine alla plus loin dans la compréhension de la nature humaine en introduisant des éléments sociaux et psychologiques dans la lutte révolutionnaire.

L’instauration de formes de domination ne s’exprime pas seulement dans la propriété privée des moyens de production, mais aussi dans le monopole de l’information et dans l’étatisation intégrale de la vie sociale. Les marxistes posent la nécessité d’une période de transition, la « dictature du prolétariat », pour arriver à leur société idéale promise. Bakounine, en avance sur son temps de quelques décades sur les funestes résultats de cette pensée, affirmait pour trancher : « C’est un mensonge qui occulte le despotisme d’une minorité dirigeante, plus dangereuse parce qu’elle se présente comme l’expression de la volonté du peuple. Mais cette minorité, nous disent les marxistes, sera faite de travailleurs. Oui, certainement, d’ex- travailleurs qui, à peine convertis en leurs représentants ou en gouvernants, arrêteront d’être des travailleurs et regarderont le monde du travail manuel du haut de l’État ; à partir de ce moment, ils ne représenteront déjà plus le peuple, mais eux-mêmes et leurs prétentions à vouloir le gouverner. Celui qui doute de cela ne connaît rien de la nature humaine. » Les « révolutions » menées sous l’influence de ces idées ont porté au pouvoir une nouvelle oligarchie qui monopolise les fonctions directrices de la vie sociale, grâce au contrôle des ressources intellectuelles et techniques.

Les anarchistes sont convaincus que la lutte contre les injustices signifie sans conteste l’affrontement contre tout type de pouvoir. L’État n’est pas un produit de la société ni la conséquence des antagonismes de classe, mais sa cause. Si nous combattons le Capital comme centre du pouvoir économique, les libertaires combattent avec la même force l’État comme épicentre du monopole de la politique. « Où il y a l’État — nous citons de nouveau Bakounine — il y a inévitablement domination et, comme conséquence, esclavage ; l’État sans esclavage, ouvert ou caché, est inconcevable : c’est pour cela que sommes ennemis de l’État. »

Pourtant, à l’issue de chaque rendez-vous électoral, nous voyons la recomposition d’une bureaucratie de gestion qui laisse intacts les piliers de l’État et les relations économiques injustes. Le pouvoir est l’objectif que poursuivent ceux qui propagent que « se compter » est la solution magique à une crise dont les dimensions sont systémiques et structurelles. Une nouvelle matrice politique et culturelle ne naît pas spontanément dans les urnes, il faut ensuite apporter un projet complexe et cohérent de société. C’est faute de cela que la Ve République fut une copie fidèle de la IVe. C’est pour cela que nous disons : « Qu’ils s’en aillent tous ! » avec leurs populismes, exclusions, démagogies et cynismes. Nous restons nombreux et nombreuses à organiser les volontés et les affinités pour, à la base, révolutionner véritablement notre environnement.

Anarchistes, nous appuyons tous types de processus de participation et de consultation des gens. Mais les référendums pour révoquer le pouvoir seraient un processus plus fécond et intéressant s’ils n’avaient pas les limites du présent. Ceux qui rédigent les questions posées limitent déjà les réponses possibles. Le « oui » ou le « non » ne résolvent rien de transcendantal. Ces quelques groupes sont intéressés par le fait que les discussions ne débouchent que sur ces quelques pauvres possibilités. Ces groupes n’apportent pas de nouvelles formes de pensée et de manières de faire front aux problèmes sociaux. Dans l’actualité, le manque de vérités non questionnables ouvre un compas dans lequel les réponses possibles (écologiques, féministes, antimilitaristes, paysannes, etc.) sont nécessaires pour construire de la base et horizontalement, un lendemain libre et solidaire.

Cette construction dépend en grande partie de la destruction de vieux schémas. Dans l’immédiat, ici et dans le monde entier, nous devons faire face aux mensonges et aux chantages de, comme le disait Bakounine dans une de ses lettres, « la merde la plus vile et terrible de notre siècle : la bureaucratie rouge ». Nous ne considérons pas mieux ceux qui se revendiquent de l’autre bord. ¡ Que se vayan todos ! (Qu’ils s’en aillent tous !).