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Les Féministes se dévoilent

Le jeudi 11 décembre 2003.

« Le voile démontre que les acquis sont toujours fragiles et que le combat et la réflexion féministes, loin d’être dépassés, sont plus que jamais actuels. »



Nous qui nous réclamons du mouvement féministe et y participons, parfois depuis les années soixante dix, nous voyons dans la querelle du voile un symptôme de régression a l’œuvre dans notre société.

Tout notre combat a contribué à faire reculer la coutume qui opprime le plus faible au profit de la loi qui le libère. Interdits sur la liberté de disposer de son corps, viol, inceste, violences conjugales, excision… faisaient et font partie de la tradition millénaire de domination des hommes sur les femmes. Les lois conquises — sur l’avortement, le viol, la parité…- ont gagné du terrain sur la violence et l’obscurantisme.

Et voilà qu’une nuée de voiles exhibée par des adolescentes qui font consciemment ou pas le jeu des intégristes, remet en cause les principes fondateurs de la République et en même temps les acquis de notre mouvement.

Par quel enchaînement de démissions et de lâchetés en sommes nous arrivés là ? Comment peut on en effet confondre soumission volontaire et libre choix, tolérance et absence de tout interdit, respect des cultures et complaisance à la barbarie ?

Il n’y a pas à tergiverser.

Le voile est humiliant pour les femmes qu’il assigne à une place de proie et pour les hommes qu’il assimile à des prédateurs.

Le voile est une trahison pour toutes les musulmanes qui ici et ailleurs se sont battues pour ne plus le porter.

Le voile est le signe que le patriarcat que l’on croyait bien fatigué, renaît de ses cendres sous sa forme la plus rétrograde et virulente : l’islamisme radical. Celui ci rencontre le soutien complaisant de ceux qui naguère fustigeaient « l’opium du peuple » : une grande partie de l’extrême gauche, des mouvements altermondialistes et même certains « féministes »… Sans compter bien sûr celui des Églises, trop heureuses de pouvoir soutenir une offensive antilaïque.

Le voile est un test : déjà sont remis en question, ici et là, la mixité des classes et celle des heures de piscine, les programmes scolaires, la neutralité du service public hospitalier, judiciaire ou universitaire. Accepter le voile, c’est ouvrir la porte à d’autres demandes et d’autres surenchères.

Le voile démontre que les acquis sont toujours fragiles et que le combat et la réflexion féministes, loin d’être dépassés, sont plus que jamais actuels. La lutte exemplaire des « Ni putes, ni soumises » est là pour le rappeler.

Nous sommes sensibles aux difficultés rencontrées par les jeunes filles issues de l’immigration. Seule une loi les protégera de la contrainte du voile : celles qui le refusent et celles qui y voient le seul moyen de se soustraire aux agressions machistes. Seule une loi soutiendra les paroles des musulmans laïcs alliés de la République et dissociera l’Islam de ses dérives les plus archaïques.


Des féministes de la première heure : Catherine Deudon (auteure de Un Mouvement à soi : images du Mouvement des femmes), Liliane Kandel (coauteure de « Chroniques du sexisme ordinaire » publiées sous la direction de Simone de Beauvoir dans Les Temps modernes), Annie Sugier (présidente de la Ligue internationale du droit des femmes) et Anne Zelensky (présidente de la Ligue du droit des femmes, cofondée avec Simone de Beauvoir, auteures de Histoires du MLF)

Contact : Ligue du droit des Femmes, Tél : 01 45 85 11 37


Le Monde libertaire a souhaité publier le texte ci-contre, qui présente de façon claire quelques uns des enjeux du voile.

Un commentaire cependant sur la revendication d’une loi : nous anarchistes, nous nous interrogeons en permanence sur l’utilité des lois votées par les gouvernements qui se succèdent, en raison en particulier des difficultés à les faire appliquer dans la réalité. Par exemple : l’avortement est légalement autorisé mais les délais d’attente dans le secteur public renvoient trop souvent les femmes vers le secteur privé — et ses actes supplémentaires pour faire de l’argent ; ces délais sont parfois si importants, notamment en été, qu’ils peuvent mettre les femmes dans la situation d’illégalité. Après de longues années de luttes, la contraception est autorisée mais est mal ou pas remboursée (les pilules les plus récentes ne le sont pas du tout) ; l’information est peu accessible et les moyens de centres de planning et d’information diminuent continuellement.

Dans le domaine du rapport entre les religions et la société, la loi de 1905 qui a officialisé la séparation de l’Église et de l’État en France n’a pas été votée sans bagarres. Par ailleurs, elle a subi de nombreuses attaques au fil des années : elle ne s’applique pas en Alsace et en Moselle ; les lieux de culte peuvent être partiellement financés par les deniers publics ; l’implantation de l’Église catholique, très importante dans les écoles privées, est très largement subventionnée par nos impôts (rémunération des enseignants, etc.). Et n’oublions pas le voyage du pape en France en 1996, qui a bénéficié de tant de subsides de l’État français, soi-disant laïc.

Dans tous les lieux publics, au travail, comme dans la rue et dans les quartiers, reprenons le combat d’une laïcité totale ; revendiquons la liberté d’être athées, agnostiques et même anticléricaux et opposons nous sans cesse aux religieux de tous voiles qui veulent nous opprimer.

Comme les auteures du texte, « sensibles aux difficultés rencontrées par les jeunes filles issues de l’immigration » — difficultés rencontrées aussi par les jeunes hommes —, nous participons aux luttes contre les discriminations, contre le racisme, contre les ghettos qui marginalisent : ce sont ces faits qui ont engendré les souffrances de tant de personnes et qui expliquent, pour partie, ce type de repli communautaire.