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Non à la marchandisation de la vie !

Le jeudi 22 janvier 2004.

« L’argent est une drogue dure entraînant accoutumance et dépendance » (Manuel apocryphe de toxicologie). Le gouvernement veut poursuivre la mise en place des ordonnances Juppé, que la gauche a appliquées, comme prélude à la privatisation de la santé publique. Il continue la politique instaurée depuis vingt ans par la droite et la gauche, obéissant à l’OMC et à l’OCDE.

Déjà, les grandes grèves hospitalières de 1988 et de 1991 alertaient l’opinion sur le manque d’effectifs. Mais la pénurie a été sciemment programmée. On a fermé des hôpitaux de proximité, des services en les concentrant, supprimé des lits, réduit les personnels. C’est le pool infirmier réparti chaque jour dans les services sans continuité des soins ou relation, c’est le recours à l’astreinte à domicile pour combler des effectifs au minimum, ce sont les urgences débordées cherchant un lit, des hospitalisations trop courtes. C’est la médecine du travail et scolaire sans moyens. On supprime la gynécologie et la pédiatrie comme si les généralistes pouvaient tout savoir, eux qui font déjà 50 heures hebdomadaires. On a privatisé des services techniques (labo, radio, restauration, nettoyage, blanchisserie, etc.) pour démanteler l’établissement public. On a réduit l’aide à domicile et délaissé les maisons de retraite et de long séjour. La part du privé dans le soin a augmenté, son profit avec. Le privé se spécialise dans le secteur lucratif et laisse au public le secteur déficitaire. Les assurances privées feront de même avec la sécurité sociale.

La formation et le recrutement ont été diminués. Emplois précaires, postes sous-qualifiés ou sous-payés au regard de la compétence utilisée, l’emploi est bradé. Les conditions de travail, et de vie, se dégradent et ne suscitent plus de vocations, aggravant la pénurie, cercle vicieux de cette politique de santé.

Depuis 1984 et le budget global, les projets thérapeutiques sont subordonnés à la gestion. Ce n’est plus la clinique qui décide. Avec le PMSI, la nosographie (classification des maladies) devient un inventaire quantitatif de symptômes qui sert de caution à une comptabilité, au détriment du qualitatif et de la nature de la pathologie. Or, pour soigner, il faut traiter la cause, pas seulement l’effet symptôme. Le projet hôpital 2007 accentue le phénomène à travers un pouvoir administratif accru et une bureaucratisation paperassière du travail. Avec la mise en concurrence public-privé et leur fusion, c’est la privatisation avec la perte du statut d’hospitaliers publics. La tarification par acte et le coût par pathologie entraîneront une course au rendement pour obtenir un financement. Les services devront d’eux-mêmes réduire leurs effectifs pour être rentables et budgétisés. On nous offre la corde pour nous pendre. En psychiatrie, le risque est de limiter le secteur à des consultations et des soins au CMP, des lits d’hospitalisation brève et des urgences traitées à l’hôpital général comme moment séparé de l’histoire du patient. Le soin est réduit à un travail harassant de gestes techniques quantifiés.

Le démantèlement de l’établissement public ouvre la voie à la privatisation de la formation professionnelle et de la recherche. La globalité du soin tombe sous la coupe du privé. C’est l’usine à soin. Usagers et soignants seront soumis à la dictature du marché et des actionnaires des compagnies d’assurance, des entreprises pharmaceutiques et des cliniques privées, dont le but est le profit, pas la santé.

L’accréditation, venue des États-Unis, a des effets pervers. Elle se prétend évaluation du soin nécessaire pour être budgétisé. Sous un label qualité, un schéma standardisé de soin est mis en place. Si le résultat est mauvais, on remet en cause l’application mais pas le schéma lui-même. Par exemple, on fabrique des cartons pour les sans-abri. S’ils sont mal installés, on critique la fabrication. On ne se demande pas si le carton est une bonne idée pour loger. Ça tombe bien. Le carton est moins cher qu’un logement. C’est le raisonnement de l’accréditation. La clinique est détournée de son but pour un soin au moindre coût. Le financier supplante la thérapeutique. La rentabilité ne voit du patient qu’une machine biologique à réparer.

La Sécurité sociale est menacée

Avec la Sécurité sociale, chacun et tous avaient la liberté d’être soignés de leur maladie. Dès les années 1970, profitant de la crise, le patronat cherche à la détruire avec une orientation : une protection minimale obligatoire pour tous, et une protection complémentaire privée. La propagande politicienne et médiatique sur le déficit manipule les esprits pour préparer la privatisation. On ne dit pas les causes du déficit (baisse des salaires et chômage réduisant les cotisations, non-paiement des cotisations patronales, non-versement de taxes), ni que ce déficit n’est que de 3,5 % du budget global de la Sécu et correspond à 0,3 % du salaire brut de cotisation en plus. C’est un faux prétexte pour imposer le recours aux assurances privées qui veulent le pactole pour un profit financier. Les assurances privées et les labos tentent déjà d’instaurer des réseaux privés, et les mutuelles sont prêtes à fonctionner de la même façon.

Certains soins seront pris en charge par la Sécu et les assurances ou mutuelles. Les autres dépendront des assurances privées dont la couverture sera fonction des risques et des revenus. C’est la remise en cause de l’égalité d’accès au soin. Sous la raison fallacieuse de liberté de cotiser, ne seront libres que ceux qui ont de l’argent. Les maladies graves et les professions exposées seront taxées et paieront plus cher le même droit d’être en bonne santé. Les pauvres ne pourront pas se payer la même couverture santé que les riches et n’auront droit qu’au soin minimal. Le riche aura toute la protection et l’accès au soin coûteux.

Aux États-Unis, au 12e rang mondial pour la santé, 40 millions de gens n’ont pas de couverture santé, et l’espérance de vie d’un enfant des ghettos newyorkais est celle du tiers monde. C’est le modèle que l’on veut imposer, alors que la France a le meilleur service de santé au monde selon l’OMS. Mondialisons notre système de santé et de sécurité sociale, plutôt que de régresser au xixe siècle et de s’aligner sur les autres.

On exige de la médecine qu’elle soit toute-puissante et infaillible, ce qu’elle ne peut pas être. Il vaudrait mieux lui donner les moyens de faire ce qu’elle sait faire. Il suffit de prendre l’argent là où il est. Il faut une sécurité sociale avec un régime unique pour les maladies, arrêts de travail, maternité, retraite, etc. ; une politique de soin, d’éducation et de prévention dans une économie orientée sur l’utilité pour l’être humain, dans le partage du travail et des richesses.

Recherche, pharmacologie, manipulation génétique, le capitalisme accapare le patrimoine scientifique pour son profit, plus préoccupé de commercialisation que d’éthique et de thérapeutique. C’est une conception économique et idéologique qui ne dit pas son nom. On brise la solidarité pour mieux dominer et exploiter. Tout devient marchandise et source de profit. Libéral ou social-démocrate, le capitalisme est ce monde marchand où ne règne que l’argent qui pervertit tout. C’est ce système qu’il faut abolir.

Quelle démocratie ? On nous impose un choix de société qui n’a jamais été débattu. Politiciens et médias mentent sur l’objectif, le profit, et les conséquences, une médecine pour riche et une médecine pour pauvre. Ne laissons pas les capitalistes et les politiciens décider. Le service public et la Sécurité sociale nous appartiennent. Il s’agit de se les réapproprier. Autogestion pour un autre futur, pour nos enfants.

Jean Monjot