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Inexistence de Dieu

extraits des « Douze preuves de l’inexistence de Dieu », de Sébastien Faure, 1934
Le jeudi 22 janvier 2004.

Quand tu auras chassé les dieux du ciel et de la terre, quand tu te seras débarrassé des maîtres d’en haut et des maîtres d’en bas, quand tu auras accompli ce double geste de délivrance, alors, mais seulement alors, ô mon frère, tu t’évaderas de ton enfer et tu réaliseras ton ciel !



Il y a une […] façon d’étudier et de tenter de résoudre le problème de l’inexistence de Dieu. Celle-là consiste à examiner l’existence du dieu que les religions proposent à notre adoration.

Se trouve-t-il un homme, sensé et réfléchi pouvant admettre qu’il existe ce Dieu dont on nous dit, comme s’il n’était enveloppé d’aucun mystère, comme si l’on n’ignorait rien de lui, comme si on avait pénétré toute sa pensée, comme si on avait reçu toutes ces confidences :

« Il a fait ceci, il a fait cela, et encore ceci, et encore cela. Il a dit ceci, il a dit cela, et encore cela. Il a agi et parlé dans un tel but et pour telle autre raison. Il veut telle chose, mais il défend telle autre chose ; il récompensera telles actions et il punira telles autres. Et il a fait ceci et il veut cela, parce qu’il est infiniment sage, infiniment juste, infiniment puissant, infiniment bon ? »

À la bonne heure ! Voilà un dieu qui se fait connaître ! Il quitte l’empire de l’inaccessible, dissipe les nues qui l’environnent, descend des sommets, converse avec les mortels, leur confie sa pensée, leur révèle sa volonté et donne mission à quelques privilégiés de répandre sa doctrine, de propager sa loi et, pour tout dire, de le représenter ici-bas, avec pleins pouvoirs de lier et de délier, au ciel et sur la Terre !

Ce dieu, ce n’est pas le dieu Force, Intelligence, Volonté, Énergie, qui, comme tout ce qui est énergie, volonté, intelligence, force, peut être tour à tour, selon les circonstances et par conséquent indifféremment, bon ou mauvais, utile ou nuisible, juste ou inique, miséricordieux ou cruel ; ce dieu, c’est le dieu en qui tout est perfection et dont l’existence n’est et ne peut être compatible, puisqu’il est parfaitement juste, sage, puissant, bon, miséricordieux, qu’avec un état de choses dont il serait l’auteur et par lequel s’affirmerait son infinie justice, son infinie sagesse, son infinie puissance, son infinie bonté et son infinie miséricorde.

Ce dieu, vous le reconnaissez ; c’est celui qu’on enseigne, par le catéchisme, aux enfants ; c’est le dieu vivant et personnel, celui à qui on élève des temples, vers qui monte la prière, en l’honneur de qui on accomplit des sacrifices et que prétendent représenter sur la terre tous les clergés, toutes les castes sacerdotales.

Ce n’est pas cet « Inconnu » cette force énigmatique, cette puissance impénétrable, cette intelligence incompréhensible, cette énergie incognoscible, ce principe mystérieux : hypothèse à laquelle, dans l’impuissance où il est encore d’expliquer le « comment » et le « pourquoi » des choses, l’esprit de l’homme se plaît à recourir ; ce n’est pas le dieu spéculatif des métaphysiciens, c’est le dieu que ses représentants nous ont abondamment décrit, lumineusement détaillé. C’est, je le répète, le dieu des religions, et, puisque nous sommes en France, le dieu de cette religion qui, depuis quinze siècles, domine notre histoire : la religion chrétienne. […]


Le problème du mal

C’est le problème du mal qui me fournit mon quatrième et dernier argument contre le dieu gouverneur, en même temps que mon premier argument contre le dieu justicier.

Je ne dis pas : l’existence du mal, mal physique, mal moral, est incompatible avec l’existence de Dieu ; mais je dis qu’elle est incompatible avec l’existence d’un dieu infiniment puissant et infiniment bon.

Le raisonnement est connu, ne serait-ce que par les multiples réfutations — toujours, impuissantes, du reste — qu’on lui a opposées.

On le fait remonter à Épicure. Il a donc déjà plus de vingt siècles d’existence ; mais, si vieux qu’il soit, il a gardé toute sa vigueur.

Le voici. Le mal existe ; tous les êtres sensibles connaissent la souffrance. Dieu qui sait tout ne peut l’ignorer. Eh bien ! de deux choses l’une :

Ou bien Dieu voudrait supprimer le mal, mais il ne le peut pas.

Ou bien Dieu pourrait supprimer le mal, mais il ne le veut pas.

Dans le premier cas, Dieu voudrait supprimer le mal ; il est bon, il compatit aux douleurs qui nous accablent, aux maux que nous endurons. Ah ! s’il ne dépendait que de lui ! Le mal serait anéanti et le bonheur fleurirait sur la terre. Encore une fois, il est bon ; mais il ne peut supprimer le mal et, alors, il n’est pas tout-puissant.

Dans le second cas, Dieu pourrait supprimer le mal. Il lui suffirait de vouloir pour que le mal fût aboli : il est tout-puissant ; mais il ne veut pas le supprimer ; et, alors, il n’est pas infiniment bon.

Ici, Dieu est puissant, mais il n’est pas bon ; là, Dieu est bon, mais il n’est pas puissant.

Or, pour que Dieu soit, il ne suffit pas qu’il possède l’une de ces perfections : puissance ou bonté, il est indispensable qu’il les possède toutes les deux.

Ce raisonnement n’a jamais été réfuté.

Entendons-nous : je ne dis pas qu’on n’a jamais essayé de le réfuter ; je dis qu’on n’y est jamais parvenu.

L’essai de réfutation le plus connu est celui-ci :

« Vous posez en termes tout à fait erronés le problème du mal. C’est bien à tort que vous en rendez Dieu responsable. Oui, certes, le mal existe et il est indéniable ; mais c’est l’homme qu’il convient d’en rendre responsable. Dieu n’a pas voulu que l’homme soit un automate, une machine, qu’il agisse fatalement. En le créant, il lui a donné la liberté ; il en a fait un être entièrement libre ; de la liberté qu’il lui a généreusement octroyé, Dieu lui a laissé la faculté de faire, en toutes circonstances, l’usage qu’il voudrait ; et, s’il plaît à l’homme, au lieu de faire un usage judicieux et noble de ce bien inestimable, d’en faire un usage odieux et criminel, ce n’est pas Dieu qu’il faut en accuser, ce serait injuste ; il est équitable d’en accuser l’homme. »

Voilà l’objection ; elle est classique.

Que vaut-elle ? Rien. Je m’explique :

Distinguons d’abord le mal physique du mal moral.

Le mal physique, c’est la maladie, la souffrance, l’accident, la vieillesse avec son cortèges de tares et d’infirmités, c’est la mort, la perte cruelle de ceux que nous aimons ; des enfants naissent qui meurent quelques jours après sans avoir connu autre chose que la souffrance ; il y a une foule d’êtres humains pour qui l’existence n’est qu’une longue suite de douleurs et d’afflictions, en sorte qu’il vaudrait mieux qu’ils ne fussent pas nés ; c’est, dans le domaine de la nature, les fléaux, les cataclysmes, les incendies, les sécheresses, les famines, les inondations, les tempêtes, toute cette somme de tragiques fatalités qui se chiffrent par la douleur et la mort. […]


Irresponsable, l’homme ne peut être ni puni ni récompensé

Devant ce dieu formidablement armé, l’homme est irresponsable.

Celui qui n’est sous la dépendance de personne est entièrement libre ; celui qui est un peu sous la dépendance d’un autre est un peu esclave, il est libre pour la différence ; celui qui est beaucoup sous la dépendance d’un autre est beaucoup esclave, il n’est libre que pour le reste ; enfin, celui qui est tout à fait sous la dépendance d’un autre est tout à fait esclave et ne jouit d’aucune liberté.

Si Dieu existe, c’est dans cette dernière posture, celle de l’esclavage, qu’il se trouve par rapport à Dieu, et son esclavage est d’autant plus entier qu’il y a plus d’écart entre le maître et lui.

Si Dieu existe, lui seul sait, peut, veut ; lui seul est libre ; l’homme ne sait rien, ne peut rien, ne veut rien ; sa dépendance est complète. Si Dieu existe, il est tout , l’homme n’est rien.

L’homme ainsi tenu en esclavage, placé sous la dépendance pleine et entière de Dieu, ne peut avoir aucune responsabilité. Et, s’il est irresponsable, il ne peut être jugé. Tout jugement implique un châtiment ou une récompense ; et les actes d’un être irresponsable, n’ayant aucune valeur morale, ne relèvent d’aucun jugement.

Les actes de l’irresponsable peuvent être utiles ou nuisibles ; moralement, ils ne sont ni bons ni mauvais, ni méritoires ni répréhensibles ; ils ne sauraient équitablement être récompensés ni châtiés. En s’érigeant en justicier, en punissant ou en récompensant l’homme irresponsable, Dieu n’est qu’un usurpateur ; il s’arroge un droit arbitraire et il en use à l’encontre de toute justice.

De ce que je viens de dire, je conclus :

  • a) Que la responsabilité du mal moral est imputable à Dieu comme lui est imputable celle du mal physique ;
  • b) Que Dieu est un justicier indigne, parce que, irresponsable, l’homme ne peut être ni récompensé ni châtié. […]

Tel est pourtant le Dieu que, depuis des temps immémoriaux, on a enseigné et que, de nos jours encore, on enseigne à une multitude d’enfants, dans une foule de familles et d’écoles. Que de crimes ont été commis en son nom ! Que de haines, de guerres, de calamités ont été furieusement déchaînées par ses représentants ! Ce dieu, de quelles souffrances il a été la source ! Quels maux il engendre encore !

Depuis des siècles, la religion tient l’humanité courbée sous la crainte, vautrée dans la superstition, prostrée dans la résignation. Ne se lèvera-t-il donc jamais le jour où, cessant de croire en la justice éternelle, en ses arrêts imaginaires, en ses réparations problématiques, les humains travailleront, avec une ardeur inlassable, à l’avènement, sur la terre, d’une justice immédiate, positive et fraternelle ?

Ne sonnera-t-elle donc jamais l’heure où, désabusés des consolations et des espoirs fallacieux que leur suggère la croyance en un paradis compensateur, les humains feront de notre planète un éden d’abondance, de paix et de liberté, dont les portes seront fraternellement ouvertes à tous ?

Trop longtemps, le contrat social s’est inspiré d’un Dieu sans justice ; il est temps qu’il s’inspire d’une justice sans Dieu. Trop longtemps, les rapports entre les nations et les individus ont découlé d’un Dieu sans philosophie ; il est temps qu’ils procèdent d’une philosophie sans Dieu. Depuis des siècles, monarques, gouvernants, castes et clergés, conducteurs de peuples, directeurs de conscience, traitent l’humanité comme le vil troupeau, bon tout juste à être tondu, dévoré, jeté aux abattoirs.

Depuis des siècles, les déshérités supportent passivement la misère et la servitude, grâce au mirage décevant du Ciel, et à la vision horrifique de l’Enfer. Il faut mettre fin à cet odieux sortilège, à cette abominable duperie.