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Religions et État

une alliance objective
Le jeudi 5 février 2004.

« On ne peut pas se contenter de construire des terrains de football. Il nous faut aussi prendre en compte la dimension spirituelle de l’être humain. » Qui parle ? Un prêtre, un imam, un rabbin ? Non, ces propos sont ceux d’un ministre de la République dite laïque, et pas n’importe quel ministre, puisqu’il s’agit de Sarkozy. Ainsi, place Beauvau, on s’intéresserait de près à la « dimension spirituelle » des citoyennes et des citoyens ? Ça peut sembler curieux, c’est en fait logique. Quand on vise au contrôle d’une population, il n’y a pas de plus rentables et plus efficaces alliées que les religions constituées. Des siècles d’Histoire nous le prouvent.

Il y a un peu plus d’un an fut créé le Conseil français du culte musulman (CFCM). L’objectif déclaré était de doter l’islam, seconde religion de France, d’un organe représentatif. On peut se demander pourquoi la République, qui jusqu’à présent méprisait souverainement les musulmans, a soudain éprouvé le besoin de se doter d’interlocuteurs. C’est que la République, en la personne du ministre des Cultes et de l’Intérieur réunis, avait sa petite idée sur la manière d’organiser, et donc d’instrumentaliser l’islam. Certains, méfiants, ont eu beau répéter que c’est tout de même bizarre : maintenant, la droite s’intéresse aux Arabes ? Les musulmans de France ont voté (pas tous), ils ont maintenant leurs « instances », le vrai travail va enfin pouvoir commencer. Certes, malgré un scrutin à la mode africaine (deux mois avant le vote, on savait que le recteur de la mosquée de Paris serait le président du CFCM), l’Union des organisations islamistes de France (UOIF, fondamentalistes) s’est retrouvée en position avantageuse et, grâce à Sarkozy, a désormais pignon sur rue. Si ça gâte un peu son plaisir, ça n’empêchera pas le petit Nicolas de poursuivre son programme : imams français, formés en France, avec les deniers publics. Construction de mosquées, où ça ? Dans les banlieues bien entendu… Mise en place rapide d’un clergé musulman et d’un réseau de lieux soumis à l’aide de l’État, et dont celui-ci attend en retour qu’il ramène la paix sociale dans les quartiers. Le deal est simple, limpide, du moins en apparence. On ferme les centres sociaux, on coupe les subventions aux associations locales ; on renvoie les éducateurs, en même temps on stigmatise ceux qui, dans les quartiers, tentent encore de mener un combat politique. Du boulot ? Et puis quoi encore ! C’est terminé, y’a plus de boulot, vous n’aurez plus le droit de bosser, plus le droit de vous déplacer, plus le droit de vous loger, vous vêtir, vous nourrir correctement, mais vous aurez le droit de porter la barbe ou le voile, et celui de prier. Les terrains de foot sont là, mais on n’a plus l’argent pour acheter les ballons : allez, les gosses, à la mosquée…

On ne peut reprocher à Sarko, ministre de l’Intérieur d’un gouvernement de droite pure, de vouloir contrôler ces nouvelles « classes dangereuses » émanant des cités. Après tout, ce nuisible est là dans son rôle. Qu’il ait parfaitement compris le parti qu’il pouvait tirer d’un outil comme la religion, cela n’est pas étonnant non plus. Enfin, n’oublions pas qu’il appartient à une famille politique qui n’a jamais vraiment digéré la séparation de l’église et de l’État, qui nous parle « d’intégrisme laïque », qui tente pareillement de réhabiliter le travail (y’en a plus, qu’on vous a dit !) où se prend à rêver d’une revanche allant jusqu’au retour des blouses grises et du tableau noir, en attendant celui du crucifix au mur.

Le voile, pour aussi détestable qu’il soit en terme d’aliénation de la femme, est un bout de tissu qui cache, tant bien que mal, un retour plus insidieux du religieux sous toutes ses formes. Tout en s’en défendant, Sarko et ses copains sont en train de poser les bases d’un communautarisme dont personne ne veut, sauf eux, car il les sert, et leurs alliés objectifs, les religieux de tous bords. Maintenant que les gamins ont quitté les cages d’escalier, on exige d’eux qu’ils se rallient à la foi de leurs parents, sous le contrôle made in France…

Quant à celles et ceux qui se foutent du Coran comme d’une Bible, rejettent toute croyance en Dieu, ce qui les attend c’est l’opprobre. Il est donc urgent que les athées passent à la contre-offensive, occupent le terrain des idées, répètent partout que l’être humain ne peut être réellement libre qu’une fois débarrassé de Dieu (compris, Sarko ?), qu’ils réinvestissent, concrètement, les espaces occupés aujourd’hui par les religieux de toute confession.

C’est ça, ou laisser la voie grande ouverte au projet sarkozyien d’instrumentalisation de l’islam. C’est ça, ou laisser Jean-Paul II dicter le préambule de la future Constitution européenne. C’est ça, ou les gamins vont continuer de se coltiner en classe l’enseignement des religions, sans que jamais ne soit fait mention de la possibilité de ne pas croire en dieu. C’est ça, ou dans cinq ans vous serez un paria dans votre propre quartier si vous ne vous rendez (se rendre est d’ailleurs le mot juste) ni à la synagogue, ni à l’église, ni à la mosquée. Il est donc grand temps d’agir.

Fred, Groupe Louise-Michel, UD 92


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