Le silence « assourdissant » de la gauche et de l’extrême gauche est significatif car ils sont d’accord sur l’essentiel : le système qui gère la société actuelle reste leur seul projet. Certes, il faut gommer l’inacceptable, et c’est le rôle qu’ils attribuent aux syndicats et à certaines associations comme Attac, le Dal ou les Restos du cœur. Mais il est hors de question de remettre en cause le système, c’est-à-dire le capitalisme et l’État. La lutte actuelle, pour les anarchistes, doit être le moment pour présenter un projet de rupture totale avec ce que nous ne supportons plus ; il est nécessaire d’ouvrir une perspective immédiate et libertaire.
À quoi servent les services publics ?
À garantir l’égalité sociale, à mettre en place le partage des richesses ! La France est la quatrième puissance mondiale avec des PDG qui gagnent 500 fois le Smic alors que des milliers de personnes dorment dans les rues et que les Restos du cœur distribuent des millions de repas.
Dans une société qui se dit évoluée, le service « du public » est un droit inaliénable, d’accès libre, universel, et non une marchandise. Ce service doit garantir l’égalité de tous, d’où qu’ils viennent. Ce service doit être un lieu d’entraide et de redistribution égalitaire des richesses indispensables à la vie comme l’éducation, le logement, la santé, les transports, la culture, la communication, etc. Mais la gestion de la cité, également, est un droit inaliénable.
Entreprises privées ou nationalisées, administrations d’État, ce n’est pas la qualité du « propriétaire » qui importe, mais bien la fonction d’utilité sociale pour tous. Si nous combattons la privatisation ou l’introduction des logiques du capitalisme dans le secteur public, nous ne menons pas pour autant une campagne pour la renationalisation. Un service géré par l’État ou par une collectivité locale peut toujours se donner comme objectif de fonctionner selon les critères d’une entreprise privée et mettre en avant la rentabilité financière sous couvert de modernisation. C’est déjà le cas à EDF, à la SNCF ou à La Poste qui se conduisent comme de bons capitalistes.
Le capitalisme renforce l’État
Lors de la Libération, en 1945, le capitalisme avait besoin de s’appuyer sur les services publics pour aider à la reconstruction de la France. Par ailleurs, la pression populaire et les risques d’explosion sociale l’ont forcé à lâcher du lest. Mais, dès le début des années quatre-vingt, les gouvernements de gauche et de droite ont entrepris un virage — prévisible — au profit des logiques du marché. Ainsi a été organisé la célèbre émission de télé avec Yves Montand : « Vive la crise ! » En 2001, c’est un ministre communiste qui a criminalisé la misère dans les transports (dix voyages sans ticket de métro égalent six mois de prison). De droite ou de gauche, les gouvernements ont fermé des bureaux de poste, des classes, des écoles, des maternités, des services de proximité et, dans le même temps, ouvert des prisons, des commissariats. Pour y mettre les chômeurs ?
Les « flashballs » de Sarkozy n’arrêteront pas la misère. Ce sont les causes de la précarité qu’il faut combattre, pas ceux et celles qui la subissent. Or, les services publics contribuent activement à la lutte contre la misère économique, culturelle et sociale, parce qu’ils réaffectent égalitairement les richesses produites.
C’est pourquoi les capitalistes veulent supprimer l’idée de mutualisation des coûts et la répartition égalitaire pour promouvoir des valeurs comme le profit, la Bourse, la flexibilité des salariés, la débrouille individuelle, plutôt que les solutions collectives. Par ailleurs, ils ont aussi essayé de culpabiliser les salariés, de leur faire assumer les lois du marché au lieu de mettre en valeur l’utilité sociale de leur travail. Dans les journaux, à la télé, « on » nous dit qu’il n’y a plus d’argent. Mais, depuis 1991, les ménages payant l’impôt sur la fortune ont doublé…
Aujourd’hui, la gauche se lamente sur la disparition progressive de l’État, or elle se trompe car l’État se « recentre », en léguant au capitalisme toutes les activités lucratives qui concurrencent ses propres entreprises. Il vend aux collectivités les services de proximité, ce qui va renfoncer le fossé entre régions riches et régions pauvres. En parallèle, il renforce son activité régalienne : ce sont les services publics qui disparaissent, pas l’armée, pas la police, pas les prisons. Le service public gêne le capitalisme dont l’objectif principal est de faire des profits ! L’État, lui, se charge de mettre en place une politique « humanitaire », cache-misère des injustices les plus inacceptables.
L’État n’aurait plus les moyens financiers d’assurer la solidarité sociale ? C’est faux. Combien d’infirmières, de postiers, d’instituteurs pour le prix d’un porte-avions ? Les recettes de trois derniers Téléthon représentent à peine le coût d’un avion de combat du type Rafale. Qui décide de la priorité de construire un char Leclerc plutôt que de fournir des équipements aux chercheurs ? Les gouvernements favorisent les militaires et privatisent la recherche.
Sous prétexte de modernisation, les dirigeants des services publics parlent d’« écoute du client », mais ne prennent en compte que les consommateurs les plus rentables. Le fait de transformer les usagers en « clients » permet d’imposer la rentabilité financière au détriment du citoyen ; le salarié, de son côté, voit remettre en cause ses conditions de travail. Partout où ils le peuvent les gouvernements appliquent les recettes du capitalisme : externalisation des missions, création de filières privatisées, augmentation de la rentabilité financière par la réduction de la masse salariale et abandon des missions « non rentables ».
Ce qui se traduit par une diminution des effectifs lors des restructurations, par l’abandon des zones rurales ou « pauvres », par un transfert des activités juteuses vers les entreprises : la part du secteur privé de la santé est devenue majoritaire ou encore la privatisation des services communaux et les cantines scolaires. Autre exemple, l’emploi massif de stagiaires, de précaires, d’intérimaires, etc.
Gestion directe
Qui décide et comment ? Personne ne doit décider à notre place : exigeons des assemblées d’usagers, le mandatement des responsables et la révocabilité. Pour sauver le service du public, il faut le débarrasser des politiciens (de l’État), de la rentabilité financière et aussi du corporatisme.
Notre projet est de mettre la citoyenne et le citoyen au centre du secteur public afin de définir son action en fonction de « nos » besoins (d’usagers et de salariés) et non de ceux du capitalisme ou de l’État. Il faut rendre le service public à ceux et à celles qui l’utilisent, qui y travaillent. La politique de chaque service public doit être définie par l’ensemble de la population. Des dizaines de milliers d’emplois perdus depuis des années sont ainsi à recréer. Pas n’importe lesquels ; personne ne contestera une embauche massive d’infirmières, de profs ou de conducteurs de bus, mais il est hors de question, pour nous, de soutenire par opportunisme ou corporatisme, l’embauche de policiers, de contrôleurs, de mâtons et autres emplois socialement néfastes. Si l’embauche est nécessaire, elle n’est pas suffisante.
Pour les anarchistes, il n’y a pas de liberté pour les individus sans l’égalité. Il n’y a pas non plus d’égalité des droits sans égalité sociale. Aujourd’hui, la gratuité est la seule garantie d’égalité sociale.
Le service public égalitaire et autogéré nous permettra d’être enfin maître de notre avenir. Le service public « libertaire » permet le partage des richesses que nous produisons et que le capitalisme et l’état s’accaparent.
Wally