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Brèves migratoires

Le jeudi 22 mai 2003.

Des négociations de l’OMC aux lois Sarkozy

Après un an d’exercice, le gouvernement veut aller très vite au niveau législatif, comme s’il avait la conviction que la paix sociale ne saurait durer. Ainsi, nous aurons droit à un texte sur les retraites inspiré par le Medef, à une réforme sur la criminalité organisée (extension du statut de repenti, création du plaider-coupable), à une nouvelle refonte de l’ordonnance de 1945 sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, à la réforme du droit d’asile, mais aussi à des textes sur la décentralisation et l’expérimentation de lois décentralisées, à la décentralisation du RMI et la création du RMA (revenu minimum d’activité : on ne va quand même pas payer les miséreux à ne rien faire). En bref, un ensemble de textes autoritaires et réactionnaires.

Double peine is not dead

Seule rupture avec la logique qui a prévalu jusqu’ici, c’est la remise en cause de certains points de la « double peine » (prison + expulsion d’un étranger pour un même délit). Quatre catégories d’étrangers sont protégées contre la double peine, essentiellement au nom du respect de la vie familiale : étrangers nés en France ou venus avant l’âge de 13 ans, étrangers résidant en France depuis plus de 20 ans, étrangers résidant en France depuis plus de 10 ans et mariés depuis 3 ans à un conjoint français ou étranger vivant en France depuis son enfance, étrangers résidant en France depuis 10 ans et parents d’enfants français.

Comme on le voit, la double peine continue d’exister et la peine d’interdiction du territoire français (ITF) n’est pas abrogée. Néanmoins, on a là une avancée et il faut saluer le travail d’associations et d’intellectuels comme Bertrand Tavernier qui sont restés mobilisés sur cette question. Reste que c’est la seule avancée du projet de loi Sarkozy et on peut craindre que députés et sénateurs ne redurcissent cette partie du texte.

La loi Sarkozy, dans la droite ligne des lois Pasqua

Pour le reste du projet de loi Sarkozy, il s’agit de nouvelles barrières faites aux étrangers, souvent présentées par le gouvernement comme un avantage pour celles et ceux qui vont les subir. Ainsi en est-il du regroupement familial : il pourra être refusé à un enfant né en France, mais ayant quitté ce pays avant ses 12 ans, cela pour « lutter contre une pratique qui consiste à faire élever les enfants dans le pays d’origine ».

Autre mauvais coup, la carte de résident ne sera pas délivrée automatiquement pour les étrangers entrés au titre du regroupement familial, mais seulement au bout de cinq ans et sur conditions d’intégration. Nicolas Sarkozy, dans une interview au Figaro du 30 avril, explique que « la disposition s’adresse surtout aux femmes arrivées par le regroupement familial et qui sont maintenues au foyer sans pouvoir en sortir. Pour obtenir la carte de résident, elles devront apprendre le français et s’intégrer. Nous les inciterons ainsi à s’émanciper, à vivre normalement dans notre pays ». Quelle démagogie : Sarkozy sait pertinemment que l’inconfort juridique contribue à renforcer le communautarisme qu’il prétend combattre.

Partout l’obsession de la fraude et l’exigence de preuves

L’intégralité du projet de loi Sarkozy est marqué par cette obsession : l’étranger est un « fraudeur » potentiel. Toujours dans le Figaro, Sarkozy explique à sa manière : « Le consulat de France à Bamako enregistre 150 demandes de visa de tourisme par jour, celui d’Alger 2 300. Pensez-vous qu’il s’agisse vraiment de touristes ? » D’où des conditions drastiques d’octroi des visas : empreintes digitales, contrôle strict des justificatifs d’hébergement, pouvoirs renforcés des maires qui pourront refuser de valider l’attestation d’hébergement s’ils suspectent un « détournement de procédure » ou « si les conditions d’un hébergement normal ne sont pas remplies ». Et pour emporter le morceau, ces certificats d’hébergement seront payants : la sélection par l’argent, y’a qu’ça d’vrai.

Toujours dans le registre de la fraude, les mariages mixtes où un des conjoints est « sans papiers » seront eux aussi soumis au bon vouloir du maire afin de « lutter contre l’utilisation frauduleuse du mariage ». Le maire pourra demander ses papiers à l’étranger et surseoir à la célébration pendant un mois en cas de séjour irrégulier, le temps que l’étranger se fasse connaître de la Préfecture et… se fasse expulser par la même occasion. Dans le même esprit de décourager les fraudes, l’octroi de la carte de résident sera désormais possible après deux ans de vie commune contre un an actuellement.

Pour les personnes étrangères disposant d’un titre de séjour temporaire d’un an, il était possible au bout de trois ans d’obtenir une carte de résident de dix ans. Cela prendra désormais cinq ans, après que la personne étrangère aura fait la preuve de « son intégration dans la société française ».

Des mesures pour faciliter les reconduites à la frontière

Sarkozy dénonce : « Quand je suis devenu ministre, seules 17 % des décisions d’éloignement étaient menées à terme. Nous sommes en train de sortir de cette situation de non-droit. » Fin avril, on comptait déjà 3 500 étrangers en situation irrégulière reconduits dans leur pays d’origine, auquel Sarkozy rajoute les « non-admis » (les personnes interceptées en zone internationale de l’aéroport de Roissy). « Au total, ce sont ainsi plus de 7 000 personnes qui ont été reconduites au cours des quatre premiers mois de l’année », notamment par l’organisation de « vols groupés ».

« Transparence » oblige, Sarkozy s’engage « à publier chaque mois le nombre de sans-papiers et de non-admis reconduits hors des frontières, de la même façon que nous publions les chiffres de la délinquance ». Toujours donner des gages de bonne conduite aux électeurs potentiels de Le Pen. Mais Sarkozy persiste à se définir comme « républicain modéré et raisonnable ».

Mais c’est loin de satisfaire Sarkozy pour qui les centres de rétention ne « sont occupés qu’à 32 % de leur capacité ». Il avoue qu’ils sont vétustes, mais il a du budget pour poursuivre l’effort de rénovation. Et pour trouver encore plus d’efficacité, le projet de loi prévoit de tenir « prioritairement les audiences sur les lieux d’arrivée et de départ », c’est-à-dire ports ou aéroports où sont maintenues en zone d’attente les personnes étrangères voulant entrer en France et dépourvues de visas. Cela va-t-il devenir la règle de faire les audiences à l‘endroit où sont appréhendés les resquilleurs ? Ça se produit déjà à la gare de Lille où se sont tenues des audiences pour les adeptes du train gratuit, victimes de la LSQ. C’est excessivement grave : la logique vichyste n’est pas loin.

Quel est intérêt d’une telle loi ?

Quand Le Pen aboie, c’est l’État qui mord. On l’avait déjà vu avec les socialistes au pouvoir et les différents régimes de cohabitation : tous pensaient qu’en se montrant « fermes » sur l’immigration dite clandestine, cela ferait décliner le vote d’extrême-droite. Cela n’a pourtant pas empêché Le Pen d’être présent au second tour de l’élections présidentielles l’an passé.

Aujourd’hui, cette loi vise essentiellement à entraver les possibilités d’entrée de ressortissants du Sud. Dans le même temps, toujours selon le projet de loi Sarkozy, les ressortissants de l’Union européenne (UE) n’auront plus besoin de cartes de séjour. Or, dès l’an prochain, dix nouveaux États de l’est de l’Europe vont se joindre aux Quinze et agrandir l’espace Schengen qui prévoit notamment la libre circulation des ressortissants de l’Union. Soit le gouvernement français n’a pas confiance dans les capacités de ces pays à verrouiller leurs frontières extérieures, soit il estime que l’afflux de ressortissants de ces nouveaux pays de l’Union sur le marché du travail français sera suffisant pour se passer un certain temps de travailleurs des pays du Sud.

Là dessus, il y a les négociations de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) sur la libéralisation des services et ses répercussions sur les débats au sein de l’Union. Selon La Tribune (quotidien proche du Medef) du 18 avril, « le travail des étrangers dans les services divise les Quinze : les divergences portent notamment sur l’ouverture des frontières de l’UE à des travailleurs étrangers œuvrant dans les services, pour des missions définies et des périodes limitées ». Contrairement aux objets manufacturés qui peuvent être fabriqués partout sur la planète, les services nécessitent souvent une main-d’œuvre là où ils sont rendus (et vendus) : le manque de bras dans certains types d’activité (hôtellerie-restauration, ingénierie, etc.) amène donc à avoir recours à des travailleurs étrangers.

La loi au secours des entreprises

Le patronat européen soutient la demande de pays en voie de développement comme l’Inde qui souhaitent que leurs cadres et ingénieurs (de l’informatique et des bureaux d’études notamment) puissent travailler plus facilement dans l’UE, sur la base d’un contrat. Aux ordres de ces lobbies patronaux, la Commission de Bruxelles et Pascal Lamy, négociateur européen à l’OMC, proposent de développer l’accueil de ces professionnels dans l’UE, selon une politique de quotas. La France et l’Espagne préféreraient un système de « test de nécessité économique » : il serait recouru à des étrangers non communautaires après s’être assuré que le besoin ne peut être couvert parmi les Quinze.

Le marché du travail, c’est bien autour de cela que se jouent les décisions sur la circulation des étrangers, comme celle qui consiste à faire passer de trois à cinq ans les années nécessaires pour obtenir une carte de résident : les contrats de chantier pourront ainsi se poursuivre pendant près de cinq ans, sans qu’au bout la personne étrangère obtienne automatiquement la carte de résident permanent. Comme c’est le cas depuis longtemps, pour des raisons internes électorales et externes économiques et géopolitiques, l’État se donne les moyens de choisir les immigrés dont il a besoin. Et plus hypocritement, les travailleurs clandestins dont l’économie a aussi besoin.

D’une manière générale, la frénésie législative actuelle (immigration, décentralisation, retraites, etc.) a essentiellement pour objet de créer les conditions nécessaires pour le développement d’un capitalisme libéral pur et dur. Il est toujours aussi urgent de développer la solidarité entre personnes, quels que soient leur âge, le lieu où elles vivent, leur nationalité, leur statut social ou leur statut administratif : c’est ainsi que nous pourrons faire échec à ce système qui se nourrit de certaines de nos différences, celles créées par des statuts différents, voire des non-statuts.

Hervé Richard


Informations tirées d’articles de L’Humanité, Le Figaro, Le Monde, La Croix, Les Échos, La Tribune.