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Résistance et indépendance

un premier bilan du congrès Force ouvrière
Le jeudi 26 février 2004.

Le congrès de la confédération Force ouvrière s’est tenu en présence d’un peu plus de 3 000 délégués mandatés par leurs syndicats de base.

Nous avons déjà pu, dans deux précédents articles, indiquer clairement quel était l’enjeu majeur de ce congrès : le maintien d’une ligne indépendante des politiques gouvernementales ou l’entrée dans un processus d’intégration.

De ce point de vue la réponse, ultra-majoritaire, des délégués a été, tout au long de ce congrès, d’une extrême clarté. Face aux 7 ou 8 % de représentants de certaines fédérations (métallurgie, agro-alimentaire, télécom) ou d’unions départementales, qui réclamaient plus de « souplesse » et moins de « grèves », l’abandon de la revendication des 37,5, etc. le congrès a opposé une détermination calme mais impressionnante. Tellement impressionnante que cela a empêché, d’ailleurs, les incidents que tel ou tel cherchait visiblement et que les médias très présents attendaient avec une impatience à peine dissimulée.

Certes, comme c’est toujours le cas dans ce genre de situation, des compromis ont été trouvés dans certaines formulations de résolutions et dans l’« équilibre » des sensibilités des instances (bureau et CE), mais au final l’orientation de lutte et d’indépendance sort renforcée.

144 interventions de délégués, des heures de discussions acharnées du matin jusqu’à tard dans la nuit, ont permis d’améliorer, ligne par ligne, les quatre projets de résolutions qui sont les mandats de l’organisation pour les trois années qui viennent.

Même si l’on n’est pas dupe de certains accords d’appareil et des tractations entre militants pour ne pas faire trop de vagues, on peut dire tout de même que la démocratie syndicale s’est exprimée. Grand moment, selon les délégués quand un confédéral qui voulait utiliser l’argument hiérarchique pour faire valider, a posteriori, sa signature d’un accord, sur le thème « C’est moi le chef, vous ne pouvez pas me désavouer », s’est fait sérieusement renvoyer dans ses cordes.

Dans la résolution générale, qui aborde chaque thème revendicatif (26 pages), notons quelques passages significatifs du point de vue de la conception du syndicalisme et de l’action syndicale.

En préambule, rappelant son attachement à la charte d’Amiens, le texte réaffirme son « indépendance absolue vis-à-vis de tout organisme, ou institution, extérieur au mouvement syndical, partis politiques, gouvernements, patronat, sectes philosophiques ou religieuses ou ONG » « FO entend préserver sa liberté d’analyse et donc sa liberté de comportement, contradictoire par nature à son intégration dans des mécanismes de cogestion, co-législation ou co-décision ou à son institutionnalisation ». Le texte rappelle ensuite que si « la pratique contractuelle est l’instrument de la liberté du syndicat et de la réalisation concrète de ses revendications […] elle ne saurait être invoquée comme une fin en soi ». Pour conclure « ni avant-garde éclairée, ni corps intermédiaire, le syndicalisme confédéré se suffit à lui-même ».

Sur l’action commune avec les autres organisations le congrès s’est exprimé clairement : « Au syndicalisme dit rassemblé qui tend à anesthésier les revendications au profit de logiques d’appareil, FO oppose l’unité d’action sur des objectifs et revendications clairs. »

Enfin, vis-à-vis de la confédération européenne des syndicats, objet de nombre de critiques des délégués, la formulation a été l’objet d’âpres négociations. Le texte, après quelques vœux pieux pour espérer que la CES devienne enfin une véritable organisation syndicale (on peut attendre longtemps), dit : « Le congrès confirme l’opposition de la CGT-FO à une orientation fondée sur l’accompagnement des directives européennes. »

Bref au final une « ligne » de résistance conforme aux besoins du moment, mais pas si naturelle que cela actuellement. Il se trouve, en effet, que la même semaine, se tenait le congrès national de la FSU où, à l’inverse, avec apparemment le soutien très actif des militants trotskistes, le congrès s’orientait vers l’abandon des références à la charte d’Amiens et vers la demande d’adhésion à la CES…

Pour clore ce premier bilan du congrès FO, notons enfin que les délégués se réclamant véritablement et sincèrement de l’anarchosyndicalisme ont pu s’y exprimer librement.

Se référant à Maurice Joyeux, un intervenant a expliqué aux 3 000 délégués ce qui devait fonder Force ouvrière : « Respect des mandats, liberté d’expression dans l’organisation, fédéralisme ».

Fédéralisme, ce principe fondamental « exactement inverse du principe papal de subsidiarité est défini par Proudhon comme suit : le contrat social par excellence est un contrat de fédération dont la condition essentielle est que les contractants se réservent toujours une part de souveraineté et d’action plus grande que celles qu’ils abandonnent. »

Autant de rappels qui n’ont pas laissé indifférents les délégués les plus combatifs.

La confédération Force ouvrière s’est donc dotée, pour les trois prochaines années, d’une orientation correcte. Reste à savoir si sa volonté et sa capacité militante, avec les autres secteurs les plus combatifs de la classe ouvrière, permettront de s’opposer efficacement au rouleau compresseur du patronat et de l’État. La bagarre à venir sur la Sécu devrait, de ce point de vue, être révélatrice.

Pour leur part, les anarchosyndicalistes adhérents de la CGT-FO s’y préparent et comptent bien renforcer leur expression et leur organisation.

Samuel