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L’Homophobie tue

Le jeudi 26 février 2004.

Sébastien Nouchet a été brûlé vif, aspergé d’un liquide inflammable, dans son jardin de Nœux-les-Mines (Pas-de-Calais), après de longs mois d’agressions homophobes. Il est aujourd’hui entre la vie et la mort, plongé dans un coma artificiel. Comme d’habitude, dans ce genre d’événement, à peine Le Monde diffusait, un peu tard, l’info (les persécutions que subissaient le couple étaient déjà relayées depuis plusieurs semaines, dans la presse homo et notamment sur le site Internet d’Act-Up Paris), que tous les élus de droite comme de gauche se sont empressés de condamner l’homophobie, mais également toutes les dérives, et racistes, et religieuses, et la tête, alouette… Bref en période électorale, ça ne pouvait pas mieux tomber, Chirac s’est bien sûr fendu d’un petit mot d’excuses adressé aux parents de la victime.

Cela fait des mois que le gouvernement traîne des pieds devant le dossier de l’homophobie, pour des raisons de « paternité » [1]. En juillet 2003, les associations homosexuelles, lesbiennes et trans alarmaient déjà le gros Raffarin. Pourtant, le contexte de cette affaire semble moins complexe et casse-gueule que celle du voile. En effet, tout le monde la réclame cette loi-là, exception faite, naturellement, de quelques masochistes isolés et « d’emmerdeurs anarchistes, contre toutes les lois » !

« Les pédés au bûcher »

Des anti-Pacs le criaient. Aujourd’hui il le font. Si une loi peut empêcher, dans un cas comme celui qui nous occupe, un journal, le Républicain lorrain, d’écrire à l’avenir : « La lutte contre l’homophobie est un lynchage médiatique, un retour à l’Inquisition. Certes, cette pratique est une vilaine manière, mais elle ne relève que de l’intolérance ordinaire. Les bouffeurs de curé d’antan n’ont jamais été traduits en justice, pas plus que les amateurs d’histoires belges. »

Ce n’est pas elle, en revanche, qui luttera contre l’ensemble des dérives racistes et sexistes que les lesbiennes, homos et transgenres doivent subir tous les jours, dans leur quotidien, dans le métro, au boulot, voire « dans nos milieux », comme dirait Sylvie Jolly.

De plus, une loi existe déjà, qui signifie qu’un mobile homophobe peut être retenu comme circonstance aggravante en cas de meurtre, tortures, violences, viol et agression sexuelle. Elle n’a pas souvent servi, les femmes, homos ou trans agressés, ayant plutôt une vision négative de la police ou de la justice, ce qui est recevable.

AG antihomophobie d’Act-Up

Act-Up Paris rassemblait aux Beaux-Arts environ 300 personnes convaincues que l’heure de la riposte avait sonné. SOS homophobie rappelait quelques chiffres : en 2003, l’association a reçu environ 700 appels, dont 12 % relevaient d’agressions physiques (contre 10 % en 2002), concernant à 80 % des hommes entre 25 et 50 ans. Des transgenres sont intervenues pour signaler que le nombre d’agressions était en constante augmentation. Des lesbiennes ont souligné que les agressions dont elles sont victimes sont tout aussi nombreuses, même si elles sont moins voyantes. Cela reflète le climat homophobe sous-jacent dans la société française, banalisé par les manifs anti-Pacs et transformé en une véritable chasse au faciès, surtout depuis l’instauration du « tout sécuritaire ».

De plus, une camarade transgenre, « tendance anar », rappelait que « Sébastien fait partie du monde ouvrier défavorisé, et que les personnes plus fragilisées socialement sont en général les premières cibles de ce type d’agressions. Les milieux plus privilégiés ayant les moyens de vivre leur sexualité dans l’anonymat des grandes villes ». Un autre intervenant rappelait « qu’un racisme plus pointu existe au sein de la « “communauté gay” » : aussi bien la ségrégation anti-beurs, qu’anti-vieux ou encore lesbophobe ou transphobe.

Quelle riposte ?

Dans l’urgence, Act-Up Paris a maintenu le rassemblement du 21 février dans le Marais, tout simplement parce que le lieu est symbolique, d’autant que la manif était déjà annoncée. Elle se poursuivra peut-être ailleurs. Une seconde manif antisexiste et anti-homophobe sera organisée la semaine suivante, rassemblant également les féministes et tous les individus qui n’entendent pas laisser passer de tels agissements. Il n’est pas question que les politicards récupèrent le dossier pour le noyer sous un flot de bonnes intentions et l’enterrent, une fois les élections passées. C’est dans la rue que nous serons encore le mieux pour gueuler notre colère, ainsi que sur nos lieux de travail, nos lieux de luttes, afin de mettre un terme définitif à cette foutue construction des genres, qui est la véritable responsable de toutes les agressions.

Une « fiotte » noire