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Lutter contre le sexisme et l’homophobie à l’école

Le jeudi 4 mars 2004.

La récente agression de Sébastien Nouchet, entre la vie et la mort après avoir été aspergé d’essence et brûlé vif, parce qu’il était homosexuel, pose avec acuité la nécessité d’une lutte sans concessions contre les préjugés et la violence homophobes. Les associations gaies et lesbiennes, de même qu’Act-up, soulignent à juste titre l’importance de l’éducation dans la lutte contre les préjugés homophobes.

Quant à la récente controverse autour du voile, elle aura au moins servi à dévoiler toute l’hypocrisie de l’institution scolaire, qui, si elle se focalise sur le symbole visible d’oppression sexiste, garde un silence plus que complaisant face aux très nombreuses manifestations quotidiennes et concrètes du sexisme, qu’il s’agisse de violences verbales, psychologiques ou physiques. L’État développe ainsi une vision qui relève bien plus de « l’ordre public » que de la volonté de favoriser l’émancipation des femmes et la lutte contre le sexisme. Ce n’est guère une surprise pour nous qui n’avons jamais vu en l’État un libérateur. Loin de cette mascarade, quelques pistes d’action, basées sur une expérience personnelle et concrète, avec une collègue féministe…

En tant qu’actrices et acteurs éducatifs, nous tentons, dans le cadre de notre pratique professionnelle, à travers les outils syndicaux et pédagogiques, de faire avancer des idées et des pratiques de coopération, et les idées d’égalité politique, économique et sociale.

Sur Lyon, un réseau de lutte contre le sexisme et l’homophobie à l’école tente de se constituer. La diffusion de films (Chaos de Coline Serreau, Fucking Amal de Lukas Moodysson sont des supports intéressants) et l’organisation de débats peuvent être l’occasion de discuter de problématiques aussi variées que la question de la violence domestique, les mariages forcés, la prostitution, la virilité imposée chez les garçons, l’exploitation des femmes dans le travail domestique, la différence de traitement filles/garçons (autour de l’opposition « salopes » et « tombeurs » qui entraîne une répression de la sexualité des filles et leur négation comme sujet) et le caractère transclassiste du sexisme, présent dans tous les milieux sociaux.

La présence d’un homme et d’une femme est un outil intéressant pour montrer :
 que les femmes peuvent tenir un discours autonome sur la question, et peuvent vivre, penser, vouloir et désirer les choses hors de la norme patriarcale,
 que des hommes peuvent essayer de remettre en cause la norme viriliste et machiste, et être solidaire de la lutte des femmes sans s’y substituer (ce qui serait pour le moins paternaliste).

Cette mixité, si elle a des intérêts, peut avoir des limites notamment dans l’expression sincère et franche des opinions et du ressenti des un.e.s et des autres. Dès lors, la non mixité se révèle également un outil pertinent.

Parallèlement à ce travail ponctuel, une intervention basée sur la discussion s’impose quand des propos sexistes et/ou homophobes sont tenus. Il est dommage que cette exigence ne soit pas davantage partagée par les collègues. En effet, les propos sexistes et homophobes sont souvent tolérés quand des propos racistes déclenchent immédiatement une réaction virulente (c’est une bonne chose, il serait juste important d’étendre cette attention pédagogique à la lutte contre le sexisme et l’homophobie). Le plus souvent, l’intervention sur les « enculés » et autres « pétasses » se fait plus sous l’angle du rejet de la vulgarité que du rejet du sexisme et de l’homophobie. Or, anarchistes, nous nous contrefoutons de la notion de vulgarité qui renvoie à une norme bourgeoise du langage et qui est basée sur une différenciation de classe. Par contre, le langage est un support de choix pour les idéologies de la domination, et l’omniprésence des termes sexistes et homophobes dans le vocabulaire contribue à légitimer les comportements et les conceptions réactionnaires. Intervenir donc, par la discussion, en questionnant les préjugés religieux, réactionnaires, naturalistes, notamment ceux qui lient le fait d’être pénétré au fait d’être dominé-e et qui fondent le préjugé homophobe et sexiste. Intervenir en valorisant la possibilité d’une pratique affective, relationnelle et sexuelle différente, basée sur la réciprocité, le contrat, le refus des normes, le refus de la criminalisation des désirs quand ils n’entraînent pas violence ou domination.

L’homophobie en milieu scolaire est tenace, le sexisme également. Mais c’est souvent par absence d’autres modèles ou plutôt de questionnement du modèle, que persistent les préjugés réactionnaires.

Les cours d’éducation sexuelle se réduisent le plus souvent à une information sur la contraception et l’avortement, avec du matériel pédagogique inadapté centré sur la description des appareils génitaux.

Fidèle aux préjugés réactionnaires, l’institution réduit le plus souvent la sexualité à la question de la reproduction, enfermant celle-ci dans le schéma du couple hétérosexuel comme seul modèle social. La sexualité dans son angle pratique, ludique, constructif, n’est jamais abordée, ou alors c’est à l’initiative courageuse d’enseignant.e.s, d’infirmières ou d’intervenant.e.s extérieur.e.s, du planning familial principalement. Ne pas parler des pratiques, des mille et une possibilités dans l’acte sexuel, du nécessaire respect de la partenaire et de ses désirs, de la nécessité d’une réciprocité dans l’initiative qui rompe avec le schéma passif/actif source de violence et de misère sexuelle, c’est, par le tabou ainsi créé, ne proposer aux adolescent.e.s qu’un unique modèle ; celui des films pornographiques, avec leurs schémas hétéro-centrés autour d’une sexualité génitale qui nie toutes les autres parties du corps ou qui les sort de la pratique sexuelle (un bon outil pour la reproduction de la misère sexuelle), une sexualité basée sur des schémas de domination/soumission, qui nie le désir des femmes, les réduit à l’état d’objets (l’image, sans le toucher, l’odeur, le vis-à-vis, dépersonnalisant et déshumanisant les femmes) dont l’usage est centré autour du plaisir masculin.

Ce modèle déshumanisant proposé par les films pornos est un facteur de choix dans la construction de la sexualité patriarcale et des violences sexuelles. Une conversation franche avec des ados dans un internat a suffi pour s’en rendre compte. Les mecs pensent que c’est la grosseur de leur sexe qui donne du plaisir, (quand il se soucient d’en donner et qu’il ne se contentent pas d’en prendre), certaines filles ignoraient qu’elles pouvaient se masturber, qu’elles avaient un clitoris, à quoi celui-ci servait…

Les adolescents ont souvent une représentation de la sexualité basée sur des schémas guerriers « je la prends, je la retourne, je la déchire », avec qui plus est un schéma « femme ou putain » classique du patriarcat. La sodomie, la pénétration, n’est vue que comme un acte violent, de conquête. D’où l’image du pénétré comme dominé, base du rejet homophobe…

Alors, évidemment, souvent, il y a un décalage entre le discours de coq et la pratique, quant on discute et qu’on va au fond des choses. Quand la façade masculine « je maîtrise tout » cède la place, on se rend souvent compte que certains sont loin d’être aussi à l’aise et dominateurs que cela. On retrouve par exemple un discours de renversement de la responsabilité lorsqu’il s’agit de parler de viols collectifs. Quand le sujet est abordé, le discours qui est tenu régulièrement c’est « les meufs elles sont consentantes, elles le cherchent souvent ». Mais quand on approfondit, ce discours s’effondre et les élèves en question admettent que de tels actes constituent des viols et les rejettent.

C’est pour cela qu’une réelle éducation à la sexualité, qui ne soit pas centrée sur la génitalité mais qui englobe l’ensemble des pratiques sexuelles (caresses, baisers, masturbation et toutes les différentes « positions » et accessoires possibles), hétéro ou homo, et qui aborde la question sous l’angle relationnel également, est indispensable car ce serait un outil efficace de lutte contre les violences sexistes et homophobes à l’école. Les textes réglementaires (il s’agit en général d’une expression de la démagogie ministérielle chaque 8 mars, vite rangée au placards) en offrent la possibilité — relative — (pas demain qu’on parlera de godes et de polyfidélité à l’école, il est déjà souvent très difficile d’aborder la question de l’homosexualité et du lesbianisme autrement que sous l’angle judéo-chrétien de la « tolérance » ce qui voudrait dire parler de liberté sexuelle), mais celle-ci est rarement saisie par les personnels. Pourtant, la circulaire nº 2002-262 du 22-11-2002, et la circulaire du 03-10-1988 offrent un cadre assez large, même si la dernière circulaire Ferry, circulaire nº 2003-027 du 17-2-2003, introduit un retour en arrière avec la précision suivante : « Cette éducation, qui se fonde sur les valeurs humanistes de tolérance et de liberté, du respect de soi et d’autrui, doit trouver sa place à l’école sans heurter les familles ou froisser les convictions de chacun ».

Cette précision est une concession de taille aux lobbys religieux et réactionnaires, puisqu’elle inféode l’éducation sexuelle aux préjugés religieux en l’enfermant dans la sphère du politiquement correct. Outre cette circulaire, la réticence des chefs d’établissement, par peur notamment de conflit avec les parents d’élèves, est souvent un frein aux initiatives. Mais ce cadre et le cadre des CESC (comité d’éducation à la santé et la citoyenneté (sic) sont des lieux qu’il est possible d’investir en tant qu’actrices et acteurs pédagogiques.

à nous anarchistes de nous en saisir, en subvertissant le cadre étriqué de l’éducation réactionnaire de l’État, à nous de briser le tabou sur la sexualité, sur le sexisme et l’homophobie, sur les violences. Attaquons nous au sexisme dans l’orientation scolaire qui est à la base de la division sexuée du travail et aux manuels qui invisibilisent les femmes et les homosexuels dans l’histoire, à un contenu pédagogique qui nie les femmes en tant que sujets historiques, actrices de l’histoire.

Bref, du pain sur la planche, mais c’est une lutte que nous devons mener, anarchistes sur notre lieu de travail, en sensibilisant nos collègues sur la question notamment à travers les réseaux syndicaux dans lesquels nous sommes investi.e.s. Une société libertaire et égalitaire ne se fera pas sans extirper les préjugés qui asservissent une bonne moitié de l’humanité, les femmes et qui répriment les individu.e.s et leurs désirs.

Sam