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« Les Amis d’ta femme »

Le jeudi 15 avril 2004.

Le groupe Les Amis d’ta femme a enregistré un disque en 2003 intitulé Album noir… et rouge aussi un peu qui regroupe quatorze chansons révolutionnaires, de la Commune à nos jours. Deux personnes du groupe Gard-Vaucluse de la Fédération anarchiste les ont rencontrés pour les lecteurs du Monde libertaire, le 26 mars 2004 lors de leur concert à la salle Victoire 2, près de Montpellier.



Le Monde libertaire : Comment avez-vous orienté votre travail de groupe vers ce répertoire de chansons, comment les avez-vous rencontrés et comment les avez-vous sélectionnés ?

Kraspek : On a l’idée de chanter des chansons révolutionnaires depuis très longtemps, quasiment depuis l’origine du groupe. On les a rencontrées de diverses manières, à l’époque, on militait, David et moi, à la FA et à la CNT, dans les manifs, etc. On s’était intéressé au sujet. Donc, on en connaissait quelques-unes, notamment la Chanson de Craonne qui figure sur l’album, et d’autres qu’on chantouillait… Pour les sélectionner, on a fait appel à tous nos camarades, de partout, que se soit à L’Urubu à Valence, qui est une librairie libertaire, à d’autres gens qui faisait partie de la FA, de la CNT ou de l’OCL, qui nous ont envoyé plein de chansons, de partitions et d’enregistrements…

Frankoi : L’Encre rage de Grenoble aussi, qui a fermé ses portes depuis…

Kraspek : C’était une librairie libertaire également. Et donc, comment on les a choisis ? Deux critères principaux ; la chronologie, parce qu’on voulait que ça parte de la Commune et que ça arrive jusqu’ici ; donc, on ne s’est pas attardé, notamment sur la Commune, y’en a quand même déjà trois. Mais c’était une par période, la guerre de 14, la guerre de 36, le néocapitalisme en ce qui concerne la chanson La Java du caniveau, les années de plombs en Italie, etc. On a trouvé des chansons antérieures à la Commune, mais on a pensé que ce n’était pas la peine de les mettre. On a trouvé des chansons dites révolutionnaires, du moins anti-pouvoir de l’époque, jusqu’à l’époque de Mazarin, de Richelieu, etc. On a trouvé une chanson qui date de 1648, c’est la plus vieille qu’on ait trouvé, mais ça ne servait plus à rien. L’idée principale, c’est de dire ; que peu importe l’époque où elles ont été écrites, elles sont toujours valables maintenant. C’est ça qui à fait qu’on a choisi ces chansons. Même si le vocabulaire change un peu, elle sont toujours valables, ça veut dire que la lutte continue, qu’il y a toujours quelque chose à faire.

ML : Combien avez-vous vendu de disques maintenant ?

Kraspek : On approche des 10 000 calmement. Sachant que l’ADSL fera le reste !

ML : Pour faire que des textes anciens aient une résonance contemporaine, il faut aussi choisir les musiques ; sur le disque, cela va du rock au reggae, du ska au java musette. Comment est-ce que vous avez choisi les musiques, est-ce que ce sont des choix collectifs, individuels ?

Kraspek : Déjà, la plupart des morceaux, se sont des partitions qui existent, donc ce sont de vrais thèmes, sauf pour certaines où on a fait complètement la musique, sur deux d’entre elles en l’occurrence. Sinon, c’est simple ; Frankoi déchiffre une partition à la guitare… C’est souvent des chansons très martiales, on avait envie de sortir un peu de cette idée-là. Quand il y a une couleur d’accords qui nous faisaient penser : « Tiens, plutôt un rock’ab‘, un rock steady », c’est naturellement vers ça qu’on s’est orienté. Par contre, on a un modèle sur cet album, c’est le travail qui a été fait par le comité « Motivés », par Zebda, avec l’album bien connu ou il y a Le Chant des partisans, ou chaque morceau est d’un style radicalement différent, ça nous faisait marrer tous les trois et donc voilà, l’idée était de faire ça.

Frankoi : Il y a une différence avec Zebda, qui est à mon avis fondamentale, c’est que tout l’album de Zebda reste marqué par un son, même si ce son voyage au travers de différents styles ; que ce soit de la country, de la java, du ska, etc. C’est un son acoustique qui est quasiment toujours le même tout le long de l’album. Le concept chez nous a été totalement différent, ce sont des univers différents et, à la limite, il n’y a pas de lien.

Kraspek : Enfin si il y a un lien, c’est une phrase bête qu’on se répète souvent : « C’est à la manière de, mais pas comme ». On fait du ska, du rock steady et du reggae à la manière de, mais pas comme. Là, on y est bien arrivé, du moins, moi, je suis très fier de la couleur qu’il a. Et, accessoirement, on a axé le traitement de son global de l’album sur quelque chose de très « variétés » dans un but évident ; c’est d’être accessible par la majorité, contrairement à beaucoup d’autres albums dit libertaires, ou de compilations de chansons révolutionnaires dans lesquels on retrouve souvent les morceaux qu’on a enregistrés, mais qui sont ou punk rock ou dans des interprétations totalement désuètes de java. On avait pas envie de faire un morceau pour un public d’initiés, on avait envie justement de faire partager l’idée libertaire au plus grand nombre.

Frankoi : Il y a des anecdotes rigolotes à ce sujet-là, j’ai lu par exemple des critiques sur le net, de gens à priori impliqués dans la vie anarchiste et qui hurlent leur grand dieu quand on fait de La Dynamite, qui est une java à l‘origine, un morceaux punk rock, ça les fait hurler de rage. On était relativement surpris par la réaction.

Kraspek : Oui, puisque l’idée étant la tolérance globale et absolue, ouaih, c’est chelou. Moi ça me fait marrer de faire La Dynamite punk rock, double grosse caisse, guitare sur les genoux, ça la rend accessible et, en plus, ça fait marrer les marmots, et faut pas oublier que c’est à 17, 18 ou 20 ans que tu commences à te poser des questions sur ta conscience politique, si ça peut aider, enfin aider, montrer à des jeunes qu’il y a autre chose qui se passe, qu’il n’y a pas que l’UMP et le PS. Notre boulot, il est là, et je crois qu’on y est arrivé.

ML : Vous avez démilitarisé le rythme un peu pesant de A las barricadas.

Frankoi : Ça, c’est une réussite des Fils de teupuh parce que c’est eux qui ont fait l’arrangement à leur sauce propre.

ML : Justement puisque tu en parles, il y a un travail très fréquent qui se fait entre vous, avec Les Escrocs, Les Fils de teupuh. Qu’est-ce qui vous rassemble ?

Kraspek : Le bergerac et le bourgogne.

Frankoi : Effectivement, il y a un lien qui est une passion partagée pour le bon vin et l’ivresse qui en découle aussi. On est admiratif du travail des Escrocs et d’Éric Toulis, de Toulis plus particulièrement. Et puis on arrive à se marrer ensemble. Et, eux, le projet les intéressait aussi. Éric, de toute façon, a un langage bien hard.

Kraspek : Tout bêtement, ce sont des potes. On a des choses en commun, que ce soit l’idée libertaire… On aime bien le boulot qu’il font, il se trouve qu’ils nous le rendent bien. Les Teupuh, ça a été pendant longtemps et puis ça restera un groupe un peu frère, on a fait des tournées ensemble, etc. Il y a d’autres gens qui sont venus jouer, comme les Blankass, ce sont des gens avec qui on n’a pas de partage au même titre qu’on peut l’avoir avec les Escrocs ou les Teupuh, mais on avait la volonté d’inviter plein de gens. Pas pour faire les malins en disant : y’a un tel qui joue… Comme on voulait plein de styles différents, il est évident que la participation des Escrocs nous aidait a faire des trucs un peu « soleil » qu’on ne sait pas faire.

ML : Pour finir, en concert à Millau l’été dernier, vous aviez eu des mots sévères contre les femmes. On vous en a fait des remarques ?

Frankoi : Je pense qu’elles sont amplement méritées, par contre qu’il y ait une incompréhension sur l’état d’esprit dans lequel on les fait oui, mais on les cherche.

Kraspek : Globalement elles sont mérités, bien évidemment, on va pas essayer maintenant de faire amende honorable ou quoi que se soit, mais quand tu vas voir une pièce de théâtre, tu ne t’attends pas à ce que l’acteur te raconte sa vie. Il va te raconter la vie du rôle qu’il joue. Moi, je suis payé pour faire du spectacle, tous les gens qui croient que ce qu’on peut dire sur scène c’est notre vie, se trompent. On nous paye pour raconter des histoires, c’est notre métier. En ce qui me concerne, parce que c’est souvent à moi que s’adressent ces remarques, je suis passionné par les dames, et tu ne trouveras pas plus galant homme que moi. Maintenant, j’ai envie de sortir le ventre, et de dire : « Aller vous faire foutre, toutes les filles sont des connes » ; moi, ça me fait rire. Guitry a fait ce travail-là pendant des années, et si ça se trouve, il aimait beaucoup les dames et, à mon avis, quand on aura hersé tout ce qu’il a labouré, on pourra commencer à parler des dames. On a cette remarque très souvent mais beaucoup moins maintenant, mais j’ai déjà entendu des trucs du genre : « Macho une balle, Kraspek une rafale » ; tant pis, c’est un jeu.

Frankoi : On l’a beaucoup moins maintenant, parce qu’avant en trio, Kraspek développait un personnage absolument excessif dans ce sens-là, mais il y avait toujours David qui prenait le contre-pied, donc maintenant qu’on n’a plus le contre-pied systématique, on va moins jouer avec ça.

Kraspek : Par contre, on va continuer à jouer Marie Odile, parce que souvent c’est ce morceau qui pose problème, et je continue à le chanter bien évidemment. Maintenant je répond à ces gens-là que s’ils n’ont pas assez d’humour pour comprendre qu’on fait se travail-là comme ça, c’est eux qui ont un problème avec les femmes, c’est pas moi.

ML : Maintenant, votre projet, il y a un disque en préparation je crois ?

Frankoi : Un album qu’on compte sortir le dernier trimestre 2004.

Kraspek : Qui est globalement, si la question arrive, de quel style va-t-il être ? puisqu’on a surpris tout le monde avec l’album Noir, il va être à cheval entre les deux selon moi. Mais on va changer de ton, ça va toujours être un petit peu « pipi caca » mais moins qu’avant, un petit peu anarcho bien évidemment, peut-être un petit peu moins qu’avant. On règle quelques comptes, globalement on avait envie de dire un truc et on va le dire. L’idée, c’est que le travail de l’artiste, si tant est qu’on en soit, encore qu’on se considère plutôt comme des artisans, c’est pas de faire ce qu’on te demande de faire mais c’est d’amener des choses nouvelles, donc voilà, ça va peut-être encore en surprendre quelques-uns. On n’a actuellement aucune idée comment on va jouer cet album sur scène, par contre on enregistre principalement Frankoi et moi, avec d’autre gens avec qui on sous-traite les cuivres, parce qu’on ne sait pas les faire. Il va être encore surprenant, en tout cas je l’espère.

ML : Merci et bon concert !