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Après les retraites, la santé

Le Retour des pyromanes

Le jeudi 8 avril 2004.

Une politique de santé publique digne de ce nom accepterait l’augmentation des dépenses résultant de l’accession de tous aux soins. Si on peut réaliser des économies, c’est en rationalisant le système. Si on veut faire rentrer des sous, il faut augmenter les salaires et supprimer les exonérations de charges patronales.



La maîtrise de la croissance des dépenses de santé domine le débat actuel sur la réforme de la branche assurance maladie de la Sécurité sociale. En effet, l’augmentation de ces dépenses est assez spectaculaire : elles représentent 9,5 % du produit intérieur brut (PIB) français en 2001 contre 3 % en 1950. Toutes les prévisions s’accordent sur une poursuite de cette tendance en l’absence d’une réforme radicale de l’assurance maladie. Le comportement des assuré.e.s, qui consomment de plus en plus de soins médicaux, provoque l’indignation générale des hommes politiques.

Une situation schizophrénique

Nous voilà dans une situation plutôt schizophrénique : les mêmes hommes politiques qui condamnent habituellement les consommateurs de tabac, d’alcool et de drogues prohibées, bref, celles et ceux qui mettent leur santé « inutilement » en danger, n’hésitent pas à critiquer l’engouement des assuré.e.s pour les soins médicaux. Personne n’ose casser le consensus et affirmer : oui, nous dépensons une partie croissante de notre richesse pour notre santé, et il ne faut surtout pas que ça change !

Augmenter les dépenses de santé

En effet, l’augmentation irrésistible des dépenses de santé caractérise toute société qui s’enrichit. Il s’agit là d’une constante du développement économique, vérifiée à la fois sur le plan géographique et historique : la société française d’aujourd’hui dépense une partie supérieure de sa richesse en soins médicaux par rapport aux années 50, parce qu’elle est aujourd’hui nettement plus riche que dans les années 50. La société états-unienne dépense une partie supérieure de sa richesse (13,5 % du PIB) pour la santé comparée à la société française, parce qu’elle est (en moyenne) plus riche. L’explication de ce phénomène est assez simple : dans une société très pauvre, la quasi-totalité des revenus des classes populaires est consacrée à des produits de première nécessité (alimentation, vêtements, loyer, chauffage), il ne reste guère de ressources pour payer des soins médicaux. Nous devrions plutôt saluer le fait que, aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il existe des sociétés où même les moins aisé.e.s peuvent s’occuper plus ou moins correctement de leur santé. Il reste d’ailleurs encore des progrès à réaliser dans ce domaine, car beaucoup d’assuré.e.s, en particulier des hommes d’origine populaire, ont tendance à éviter à tout prix les cabinets des médecins et les hôpitaux. Une politique courageuse de santé devrait donc avoir comme objectif l’augmentation des dépenses de santé par une politique de sensibilisation et d’encouragement pour favoriser l’accès aux soins médicaux de ces larges parties de la société.

Un porte-avions « Léon Trotski » ?

Vouloir inverser la tendance historique de l’évolution des dépenses de santé signifie mécaniquement augmenter les dépenses dans d’autres secteurs de l’économie : mais veut-on vraiment encore plus de voitures, plus de téléphones portables, plus de gendarmes et un troisième porte-avions « François-Mitterrand », « Alain-Juppé » ou « Léon Trotski » (selon la conjoncture électorale) ? Face à ces alternatives aux effets secondaires redoutables, la préférence prononcée pour les soins médicaux paraît comme un excellent choix et comme signe d’une grande maturité de la population.

Se pose donc inévitablement la question du financement des dépenses de santé. Nos gouvernants et leurs souffleurs du Medef n’arrêtent pas de nous rappeler le trou d’environ 10 milliards d’euros en 2003 dans les caisses de la branche maladie de la Sécurité sociale. Or ils se gardent d’évoquer les véritables raisons de ce manque impressionnant de moyens : les exonérations et les dettes patronales vis-à-vis de l’assurance maladie, mais surtout la forte diminution de 9,5 % de la partie des salaires dans le partage du PIB depuis 1982. (1982 : 67,5 % ; 2001 : 58 %). Avec une répartition comme avant l’accès au pouvoir des socialistes, donc avec des salaires et des cotisations nettement plus élevés, l’assurance maladie serait aujourd’hui largement bénéficiaire. Il n’est donc que logique de faire supporter le déficit de l’assurance maladie au capital, dont la rémunération a augmenté au fur et à mesure que la partie des salaires a chuté.

Toutes les propositions du gouvernement se résument à faire payer aux assuré.e.s une partie croissante des dépenses (non-remboursement des médicaments et ticket « modérateur », qui est la partie non remboursée des soins) ou à diminuer la qualité des soins (notamment dans les hôpitaux en favorisant des critères comptables au détriment des critères médicaux). Les mêmes salarié.e.s, qui ont été les grands perdants de l’évolution économique depuis l’élection de François Mitterrand, sont donc priés de payer une deuxième fois pour compenser le manque de cotisations dû au fait qu’ils ont été systématiquement sous-payé.e.s depuis vingt ans !

Des médecins fonctionnaires ?

Enfin, s’il est vrai qu’une grande partie des assuré.e.s ne consomment pas assez de soins médicaux, il est indéniable que d’autres en consomment trop (pas dans la logique comptable des hommes politiques mais dans une logique médicale). En effet, les médecins indépendants sont payé.e.s en première ligne selon le nombre de actes médicaux effectués. Ce fonctionnement ouvre la voie à des abus : les médecins peuvent augmenter leurs revenus en prescrivant des traitements inutiles. Il y a aussi la tentation réelle de céder à la pression des patient.e.s qui ne veulent absolument pas renoncer à un traitement inutile, c’est-à-dire non justifié d’un point de vue médical.

Le meilleur moyen pour éviter ces dysfonctionnements est de déconnecter la rémunération des médecins du nombre de leurs actes médicaux. Or le seul cadre qui permette cette séparation est la transformation des médecins indépendant.e.s en fonctionnaires rémunéré.e.s par un salaire fixe (et surtout pas payé.e.s « au mérite » !). La même logique impose l’intégration des hôpitaux privés dans le secteur public et l’abandon de tout projet susceptible de renforcer la logique de marché dans le système public de santé.

Ne rêvons pas, entre des mesures extrêmement pénalisantes pour la grande majorité des assuré.e.s et une politique de santé cohérente et courageuse, le gouvernement n’hésitera certainement pas une seconde, toujours au service de sa clientèle électorale et du patronat.

Martin, militant FA, Toulouse