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« Les Sublimes » par la compagnie Hendrick Van Der Zee

Le jeudi 8 avril 2004.

Un spectacle « coup de poing », sorte de théâtre de combat, pas vraiment militant mais qui a choisi son camp et qui ne veut pas en rester là.



Créé dans une friche industrielle, les Sublimes est un spectacle, mixage de cirque-théâtre-danse-vidéo, brassant des images d’aujourd’hui pour montrer les attaques du libéralisme sur les individus.

Sur la scène, ou sur la piste, comme on voudra, douze artistes, comédiens, danseurs, jongleurs, acrobates se confrontent, se rencontrent, se mettent à nu, « entre impudeur et danger », prennent des risques jusqu’à l’épuisement. Il est question des parcours et des trajectoires de la vie, mais aussi de la dignité. Pas une histoire construite, juste un spectacle bâti comme un coup de poing ponctué par des textes (Che Guevara, Michel Onfray, Richard Durn, J.-L. Godard, etc.) et des vidéos pour donner la voix aux victimes du monde contemporain et du libéralisme : Mireille qui s’occupe des étrangers chercheurs d’asile, Brigitte, ex-ouvrière de chez Levi’s, et d’autres… Le metteur en scène intervient également, comme un Monsieur Loyal, non pas pour régler le spectacle, mais pour apporter la seule partie vraiment narrative du spectacle. Il nous raconte sa vie, dans le Nord, les corons, son père mineur et communiste, lui passé du maoïsme (« parce que les maoïstes parlaient des ouvriers ») au communisme libertaire. Il s’agit en définitive d’une « plongée au cœur du désordre du monde. Monde bestial où il faut sans cesse avoir l’esprit en alerte, lutter, se battre ».

Ce spectacle, pas banal, s’appelle les Sublimes et tourne toute cette année sur les scènes françaises.

Peut-être que ce spectacle n’aurait jamais existé s’il n’avait trouvé installation sur un ancien carreau de mine du Pas-de-Calais, à Loos-en-Gohelle. L’activité de la mine a cessé en 1986, mais la ville a voulu sauvegarder le lieu et le transformer en centre culturel et social. Et travailler à des spectacles dans cet ancien lieu industriel, mémoire de l’exploitation, du danger et de la lutte, où, quotidiennement, les mineurs venaient se changer (« la salle des pendus »), ça laisse des traces. « Ça travaille », dit Guy Alloucherie cofondateur et metteur en scène du Ballatum Théâtre et, depuis 1987, de la compagnie Hendrick Van der Zee.

« Pour bien situer l’endroit, le site se trouve sur une ligne qui va de l’usine Metaleurop à Sangatte, en passant par les anciennes usines Levi’s à La Bassée. »

Aux côtés de Culture commune (Scène nationale du bassin minier), Guy Alloucherie et sa troupe ont choisi d’aller à la rencontre des habitants. « Quand on travaille dans des lieux chargés d’histoire sociale, quand on se trouve au milieu d’un monde ouvrier précarisé, on ne peut pas être uniquement des artistes qui jouent. On est obligé de s’impliquer, de rencontrer. » Ont été mis en place des stages, avec les enfants et les adultes, de théâtre, de danse et de cirque, des séminaires, divers lieux de paroles où se sont rencontrés les acteurs de la compagnie et les gens des quartiers. Ces rencontres ont bouleversé les façons de voir et de pratiquer le théâtre.

 » Nous avons cherché ce qui pourrait lier notre engagement militant et les spectacles de la compagnie. Cela touchait au fond et à la forme de nos spectacles. L’envie était forte et le besoin indispensable de parler du monde d’aujourd’hui. »

Pour ce faire, alors que règnent chômage et précarité, alors que des licenciements sont annoncés chaque jour, alors qu’il y a des guerres multiples, il n’est plus possible de jouer du théâtre comme avant, comme si de rien n’était. Oubliés Marivaux ou Tchekov (auteurs qu’avait montés et joués Guy Alloucherie), il faut passer à autre chose. Ce qui a motivé la création des Sublimes, c’est « une envie de parler du monde d’aujourd’hui et de prendre position contre la pensée unique et le capitalisme qui en arrive à son stade ultime puisqu’il n’a plus de comptes à rendre qu’à lui-même, en continuant à exploiter des millions de gens à travers le monde au profit d’une minorité de spéculateurs sans scrupules. Avec les armes dont nous disposons : le cirque, le théâtre, la danse, la vidéo, etc. »

En résulte ce spectacle « coup de poing », sorte de théâtre de combat, pas vraiment militant mais qui a choisi son camp et qui ne veut pas en rester là. Les Sublimes est à mettre aux côtés du mouvement des intermittents et de tout ce qui s’est développé autour et depuis : certains théâtres ont fait le choix de devenir des lieux de paroles et d’échanges sur les mouvements sociaux ; des troupes ont cherché à créer des ponts avec des publics qui ne sont pas touchés habituellement par ces formes artistiques ; des théâtreux ont dit qu’ils feraient des spectacles plus « concernés » pour dire et changer le monde. On discute beaucoup en ce moment, dans l’attente sans doute d’un véritable mouvement social qui peine à se créer. Puissent toutes ces expériences déboucher et, en attendant, ne boudons pas notre plaisir devant des spectacles de ce type.

Jean-Pierre Levaray