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« Je voudrais mesurer vos danaïdes démocraties »

Le jeudi 1er avril 2004.

Le verdict des urnes est tombé ! Badaboum ! La vague rose l’emporte, comme jamais lors d’élections régionales. Vous connaissez depuis dimanche soir les chiffres et avez eu droit à toutes les analyses chiffrées de nos talentueux commentateurs politiques. Je n’y reviendrai pas. Il s’agit seulement ici de rappeler les principales « avancées » obtenues la dernière fois où cette gauche, aujourd’hui victorieuse, était au pouvoir. La réduction du temps de travail et en conséquence la précarisation accrue des conditions de travail avec une remise en cause profonde des conventions collectives. La mise en place de la CMU permettant pour la première fois l’entrée des capitaux privés dans notre système d’assurance maladie. Les premières lois sécuritaires avec la LSQ… Mais soyons joueurs : la gauche se refait une santé.

Rappelons aussi combien Mitterrand fut un grand homme politique. Ses successeurs peuvent le remercier. Sa tactique dans les années 80 consistant à donner à l’extrême droite un poids électoral par le jeu proportionnel lors des premières élections régionales est un franc succès. La gauche aujourd’hui ne peut démentir ces faits tant la présence de l’extrême droite lors de ce second tour dans de nombreuses régions a accentué son écart face à la droite. Mais cette gauche du nouveau millénaire est toute aussi responsable que Mitterrand à l’époque, tant elle a joué le jeu du sécuritaire et de Le Pen lors des élections en 2002. Et ce n’est pas l’éviction de l’antenne de France Culture de la chronique de Miguel Benasayag trois jours avant le premier tour de ces élections qui nous rassure : Miguel Benasayag se contentait ce jeudi 18 mars de comparer le programme de Le Pen et les réalisations de Sarkozy ministre. Quoiqu’il en soit sur la santé de notre démocratie, je vous le rappelle : la gauche est contente.

Et puis après ? Qu’allons nous faire de nos vies ? Quelle réponse avons nous de ces résultats ? Pas grand chose. Les licenciements vont continuer, le désordre social s’affirme de jour en jour. L’alternance politique n’y change rien. Les vies se brisent chaque jour d’avantage. Les travailleurs de Lustucru, Candia, Alstom, STMicroelectronics et Noroxo sont là pour en témoigner.

À écouter les médias lors de cette campagne électorale, il y avait là une certaine dose d’absurdité. D’un côté, nos politiciens débattaient, convainquaient et mobilisaient les électeurs ; de l’autre, en fin de journal télévisé, l’urgence sociale frappaient à la porte : des licenciements collectifs à la fin de la trêve hivernale pour les expulsions. Et il n’était point besoin de s’appeler Olivier Mazerolle ou David Pujadas pour savoir que les premiers n’ont que peu d’influence sur la seconde. Pire peut être que ce constat : nous ne demandons même plus à nos politiciens de nous faire miroiter quelque rêve d’embellie sociale tant ils nous ont convaincus de l’inéluctabilité d’une société figée dans ses déséquilibres.

Finalement, les élections passées à la moulinette médiatique ne sont plus qu’un spectacle comme les autres. Un prime-time de plus. Entre collègues de travail, lors de la pause-café, on parle alors des résultats électoraux comme du beau temps. Pourtant, que je sache, en démocratie représentative, ce sont bien les élections qui sont le canevas de la vie publique. Ce n’est plus le cas et les désillusions sont grandes parmi les républicains authentiques. Nous aimerions croire en conséquence qu’il saute aux yeux de tous que les élections ne sont là que pour légitimer la place de nos politiciens et la clique qui les emploie : la bourgeoisie en l’occurrence. Ce n’est pas le cas.

Nombreux sont encore les arguments qui ne permettent pas le doute en la république. Un consensus, qui devrait nous faire froid à l’échine, vient nous expliquer l’importance de sauvegarder le moins pire des systèmes. Des femmes nous rappellent qu’elles n’ont obtenu le droit de vote que depuis 1945. D’autres plus pragmatiques nous signifient qu’il existe toujours un candidat plus préférable aux autres. Ces vérités toutes faites se ramassent à la pelle et nous feraient rire si leur fonction première n’était pas de nous égarer dans un déni total des réalités sociales. Oui, la démocratie parlementaire n’est rien d’autre qu’un système de domination comme les autres. Les nuances avec les autres régimes, si elles existent, restent faibles à nos yeux. L’idéologie marxiste n’est pas innocente en la matière. En faisant de la démocratie parlementaire une voie circonstancielle vers la révolution prolétarienne, elle a légitimé pour une part ce système réformiste. Ce ne sont pas les trotskistes d’aujourd’hui qui inverseront ces faits historiques, et, malheureusement pour eux, ils n’auront même pas ce coup-ci leur part du gâteau dans les chambres régionales.

Notre posture se refuse la fuite dans le déni. Non content d’avoir vidé les individus de leur capacité politique par le biais de la délégation parlementaire, nos politiciens ont vidé de sens l’action politique par appétit de pouvoir en laissant l’extrême droite s’installer et arbitrer le jeu politique. Autant dire que la démagogie et les jeux politiciens deviennent la règle.

Notre désir anarchiste appelle des changements si profonds que nous serons satisfaits que lorsque seront épuisées toutes les possibilités du réformisme. C’est peu dire du sort que l’on réserve à cette démagogie rampante et exponentielle. Nous voulons reprendre en main nos vies. L’enjeu est de récupérer à chaque instant notre dignité perdue. C’est l’affaire du quotidien et non des échéances électorales.

Il n’y a pas là de notre part une attitude extrémiste simplificatrice. Non, seulement l’idée de cette nécessaire adéquation entre la fin que nous désirons et les moyens pour y parvenir. De la démocratie représentative ne peut accoucher la démocratie directe. Mais plus encore, rien ne naît de la soumission ou d’individus soumis. Le refus des humiliations quotidiennes, des autoritaires, que nous rencontrons à chaque instant, est un premier acte.

François Candebat