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Kabylie

Le Printemps noir est aussi le temps des cerises

Le jeudi 1er avril 2004.

Sur le champ médiatique français, le spectacle est désolant pour qui s’intéresse un tant soi peu à la comédie électorale. Tellement grotesque que ça ne fait rire personne, ça ne fait pas pleurer non plus. ça aurait plutôt tendance à susciter l’indifférence.

Sous d’autres cieux, pas très loin d’ici, de l’autre côté de la Méditerranée, il y a quelque chose qui se passe.

« Tu connais la Kabylie, lui dis-je, le joli pays ?

 Pas b’soin d’traverser la mer, la moitié de la Kabylie est ici, et alors ? »

Comme la plaisanterie n’a pas d’intention xénophobe, elle est recevable. Elle devient même très intéressante, mais passons.

En Algérie, le 8 avril 2004, c’est les élections présidentielles. On y fait du cinéma multipartiste autour de la couronne de Boutéflika, la marionnette des généraux sanguinaires.

« Et alors ?

 Ben alors… »

Un petit rappel est ici nécessaire.

Le 18 avril 2001, à Beni Douala (15 km de Tizi Ouzou), la gendarmerie enlève Massinissa Guermah, jeune lycéen ordinaire de 19 ans, et l’assassine en le criblant de balles pendant son séjour au poste.

C’est l’étincelle qui met le feu aux poudres. Depuis si longtemps que cette région subit l’oppression de l’état, la dureté économique, la brutalité militaro-policière… Le lendemain, la gendarmerie est attaquée par les jeunes. Les gendarmes se défendent brutalement. Les émeutes quotidiennes s’étendent ensuite à une vitesse foudroyante. Pour les seules journées du samedi 28 et dimanche 29 avril, on dénombre près de 50 morts.

À Tizi Ouzou ou à Béjaiä, c’est toute la population qui s’insurge. Les événements se succèdent, les marches de protestation aux foules intenses, y compris sur Alger, les émeutes, le saccage des locaux de tous les partis politiques (FFS, RCD, RND, PT, etc.), les attaques de gendarmeries, les fermetures de mairies, etc. C’est le Printemps noir. Près de 130 personnes seront assassinées par les forces de l’ordre, et l’on comptera d’innombrables blessés.

Très tôt, la population, massivement unie contre le pouvoir assassin, s’organise sur les bases de la démocratie directe. Dans les villages ou dans les quartiers des différentes villes, surgissent des comités populaires, faisant référence aux anciennes djemaàs, les assemblées communales de jadis. Plus de deux cents assemblées de village envoient leurs délégués (avec des mandats révocables) aux différentes coordinations par niveaux territoriaux (interwillayas, par exemple). Coordonnées par une présidence tournante, la CICB (Coordination intercommunale de Béjaïa) et la CADC (Coordination des Aârouchs, Daïra et communes autour de Tizi Ouzou) adoptent à El Kseur une plateforme revendicative non négociable.

Ses quinze points demandent, entre autres, le départ des gendarmes, des minima sociaux dans toute l’Algérie afin de lutter contre la « clochardisation de la jeunesse », la fin de l’arabisation forcée et la reconnaissance de leur identité kabyle, la prise en compte officielle des victimes de la répression féroce du Printemps noir comme martyrs du peuple algérien, avec mesures effectives de soutien aux personnes et à leurs familles.

Pour éviter toute manœuvre politique de division ou de prise de contrôle sur le mouvement, la plateforme d’El Kseur est accompagnée d’un Code de l’honneur du délégué. Gare à celui qui le prend à la légère ! Dans les assemblées, les décisions sont prises à l’unanimité.

La plupart du temps, les belles plages de Kabylie sont fréquentées, et l’on aime profiter de la mer et du paysage. Mais, soudainement, la plage se vide, les rideaux des commerces se verrouillent. Tout le monde veut suivre les mots d’ordre de grève générale décrétés par le Mouvement des citoyens. Les boycotts sont massifs, comme celui du paiement de la facture d’électricité (contentieux Sonelgaz). Lors des élections législatives de mai 2002, l’agitation atteint un paroxysme, plusieurs jours d’émeutes, des bureaux de vote sont fermés par les jeunes. Le taux de participation n’aura été que de 2 ou 3 % (au mieux).

Le pouvoir ne reste pas sans réponses : des centaines d’arrestations se succèdent. La pression constante de la rue réussit à faire libérer des groupes de prisonniers (y compris leurs délégués). Les tentatives de manœuvres politiques sont dé-mystifiées (comme les fameux « délégués Taïwan » produits par le pouvoir).

Depuis 2001 que ça dure, non seulement le Mouvement des citoyens tient la dictature algérienne en échec, mais il la fait reculer. En janvier 2004, des négociations ont été engagées avec Ahmed Ouhayia, le ministre de l’Intérieur (au nom du président), et la plupart des points de la plateforme d’El Kseur ont été accordés, avec des réalisations effectives (en cours).

Actuellement, elles achoppent sur l’organisation d’un référendum concernant l’identité berbère : « On ne soumet pas son identité au vote ! », clament les Aârouchs.

Il est donc probable que la campagne de boycott du scrutin présidentiel du 8 avril sera fort suivie en Kabylie. Et il est probable qu’elle aura aussi ses effets dans le reste de l’Algérie…

Ulah Smah Ulac, l’pouvoir assassin ! (Pas de pardon au pouvoir assassin).

Errant solidaire