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À Buenos-Aires-sur-Seine, la peur et les lois servent l’injustice

Le jeudi 1er avril 2004.

« En France, l’État, paré des vertus républicaines et démocratiques, organise et quadrille notre vie quotidienne pour anticiper d’éventuelles explosions sociales. »



Le 19 février, une manifestation de plus s’est déroulée à Buenos Aires. Ce jour-là, des représentants d’assemblées de quartier, de syndicats, des militants politiques se mêlaient aux « piqueteros », aux travestis et aux prostitué.e.s. Leur objectif commun était de protester contre une proposition qui allait être discutée pour être appliquée à la province de Buenos Aires. Cette proposition de réformer le Code de cohabitation visait à durcir la répression contre certaines catégories de population : l’âge auquel les enfants pouvaient être envoyés en prison passait de 18 à 16 ans ; interdiction du travail ambulant mais aussi du travail des « cartoneros » (récupérateurs de cartons) dans la majeure partie de la capitale fédérale ; interdiction de réunions de plus de quatre personnes sans permis ; menace de prison pour les prostitué.e.s, mais les proxénètes ne seraient plus menacés que d’une amende ; détention pour ceux et celles qui changent leur aspect physique (travesti.e.s, piqueteros, etc.) dans la rue ; possibilité pour la police d’exercer la responsabilité du juge de première instance s’il n’y a pas de juge disponible au bon moment, etc. Le 19 février, par 32 voix contre 22, ces propositions furent repoussées. Jusqu’à quand ?

Au même moment, mais à quelques milliers de kilomètres de là, en France, le Syndicat de la magistrature rendait public et commentait le futur projet de loi Sarkozy, sur la prévention de la délinquance. Après la loi sur la sécurité quotidienne, la loi sur la sécurité intérieure, cette nouvelle loi dite « Perben II » où la police d’État renforce encore ses pouvoirs (notamment avec une garde à vue passant à 96 heures, sans recours à un avocat), le ministre de l’Intérieur va toujours plus loin.

Les quartiers « sensibles » seraient équipés de dispositifs de vidéo surveillance [1], et la police aurait accès aux images en temps réel ; un propriétaire de logement pourrait faciliter l’expulsion de locataires pour trouble du voisinage, à la place d’un huissier ou d’un officier de police judiciaire ; les parents seront sanctionnés par un stage de soutien à la parentalité puis par les amendes et la prison si leurs enfants font preuve d’absentéisme scolaire [2] ; diverses structures auront pour objectifs de surveiller les parents, les professionnels de l’éducation, de la santé et de la prévention afin de recueillir les noms et les faits délictueux commis par des enfants ; les « jeunes filles de famille d’origine étrangère » seront « incitées à accéder à des internats », etc.

D’un côté, pour les politiciens argentins, il y a une volonté de pacifier la rue pour permettre à l’économie et aux classes moyennes de se rassurer. Pour cela, la répression qui cible clairement les protestataires (piqueteros), ceux qui se réunissent (assemblées de quartier, etc.), les plus pauvres (cartoneros, prostitué.e.s, les enfants, etc.), est un moyen pour contrer l’ébullition sociale. Cette ébullition découle d’une situation économique, politique et sociale, explosive, préparée et achevée par les castes politiciennes au pouvoir. L’État se protège donc et tente de mettre la bourgeoisie du pays et les intérêts du FMI à l’abri de la contestation.

De l’autre côté, en France, l’État et son gouvernement, tous deux parés des vertus républicaines et démocratiques, organisent et quadrillent notre vie quotidienne pour anticiper sur d’éventuelles explosions sociales. Ici aussi, ce sont les pauvres qui sont visés ; les plus faibles qui sont criminalisés ; les moyens alternatifs à la répression qui sont liquidés, etc. Et chez nous aussi, le prétexte est de chasser la grande criminalité, alors que les mesures prises touchent tout un chacun. Et que la police voit ses moyens développés, sa présence renforcée, jusqu’à devenir indiscutables.

En renforçant dans la réalité et dans les têtes que la répression est la seule à apporter une réponse, se cache l’idée qu’il n’y a qu’une criminalité, originaire d’une seule classe sociale et des mêmes quartiers, que l’injustice sociale n’existe pas, et qu’elle ne génère pas d’effets secondaires. Au bout du compte, tout cela se résumerait à un combat entre l’ordre et les voyous. La répression est alors la seule réponse : c’est la voie vers le fascisme. Pour justifier la répression, la peur est une arme incontournable pour les pouvoirs.

Daniel, groupe Gard-Vaucluse


[1Le conseil régional du Languedoc-Roussillon, avant-gardiste, a voté l’instauration de la vidéo surveillance dans les lycées.

[2Cela a déjà fait l’objet d’un décret relatif au contrôle de l’assiduité scolaire ; les parents encourent jusqu’à 750 euros d’amende.