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Anarchisme & homosexualités

une lutte toujours en devenir ?
Le jeudi 1er avril 2004.

À Paris et dans les grands centres urbains plus ou moins protégés par l’anonymat, l’affirmation lesbienne, gay, transgenre ou bisexuel.le (LGTB) est devenue aujourd’hui une réalité courante et « relativement » simple à vivre. Pourtant, elle relève parfois, dans certaines situations individuelles ou géographiquement plus isolées, du véritable défit social, et implique la remise en cause et la lutte contre ses fondements : le patriarcat et l’ordre moral.1

En revanche, se vivre « femme, homme, LTGB et anarchiste », à la ville comme à la campagne, est une problématique beaucoup plus complexe. Nous nous trouvons alors confronté.e.s à la mise en perspective de différents niveaux de lutte, partagé.e.s entre nos pratiques affinitaires et nos convictions face à l’urgence sociale. Cette position nous oblige alors à réfléchir sur le sens profond de notre engagement politique global, en y intégrant la sphère personnelle.

Peu d’anarchistes ont posé le problème en ces termes, sinon quelques rares exceptions. Pour parler des plus récentes, Daniel Guérin a toujours essayé de mettre en adéquation ces deux combats. Michel Foucault aurait également pu le faire, s’il avait été un peu plus anar… Pour parler des plus ancien.ne.s, Emma Goldman au début du xxe siècle défend en Amérique, lors de ses prises de positions « les opprimés victimes d’injustice sociale, tout comme ceux victimes des préjugés puritains » (les homosexuel.le.s), tout en prônant l’amour libre et le droit à la contraception.

Zo d’Axa, enfin, soutient également la lutte des homosexuel.le.s dans leur « contestation concrète des valeurs morales » de l’époque. Qu’importe le nombre : nous sommes deux, nous sommes trois…

Ce sont surtout les militant.e.s anonymes qui intègrent dans leur lutte globale au sein de l’organisation leur vécu quotidien. Ce postulat militant n’est pourtant pas l’apanage exclusif des LGTB. Par exemple, les anarcha-féministes se trouvent également confrontées à une réalité similaire. Comment, en effet, mettre en adéquation pertinente, pratiques individuelles et convictions politiques militantes ?

Comment faire coexister notre fibre anarchiste, antiautoritaire, antireligieuse, antisécuritaire et antiélectoraliste, avec d’autres schémas plus personnels ? Pour ne citer que le combat des femmes et des LTGB : revendiquer depuis des siècles, la reconnaissance des droits fondamentaux et communautaires, tout en validant la libre disposition de nos corps ? L’IVG et la contraception pour les femmes, le droit aux papiers pour les transgenres et les exclu.e.s, le Pacs, l’adoption et l’homoparentalité, pour les homos et lesbiennes. Malheureusement, toutes ces revendications ne peuvent, pour l’instant, que passer par les incontournables filets légalistes, et c’est bien là que se noue le nœud gordien.

Pour essayer d’envisager la question selon un autre angle, si j’étais économiste (Michel Bakounine et Louise Michel m’en préservent !), j’hésiterais entre une approche micro politique et une autre plus macro, « qui engloberait le tout » ! Mais il existe une autre solution politique d’urgence, et c’est celle que j’ai choisie, n’ayant pas d’autres choix : militer dans une orga anarchiste et, conjointement, dans une des assoces LGTB. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, ce n’est pas toujours en adéquation et aussi satisfaisant qu’on pourrait le penser.

« Communautaire » ou affinitaire

Je suis très satisfait de militer auprès des mes compagnes et compagnons LTGB, au sein d’Act-Up Paris. J’ai l’impression que nous y faisons un vrai travail militant quotidien, utile, concret et constructif. Nous faisons avancer les choses et nous positionnons sur les problématiques sociales les plus dures. Comme par exemple, lutter contre la persécution sécuritaire exercée sur les plus fragiles socialement : les séropos en général, les séropos sans papiers, les séropos en prison plus particulièrement et, voire, les prostitué.e.s (de gré ou de force) qui doivent faire un choix entre un statut légal ou la très radicale solution abolitionniste. Si vous étiez un.e prostitué.e politisé.e, que feriez vous ? Ce n’est pas toujours simple, et l’on pourrait encore compliquer la question à loisir, sans parler du voile !

Pourtant, cette présence et cette lutte quotidienne auprès des plus fragiles, menées au jour le jour sont plus qu’importantes, mais elles me semblent amputées d’une vision politique plus large, plus globale et surtout à plus long terme. C’est-à-dire, la remise en question politique globale de l’ordre patriarcal et de l’ordre moral en général. Retour au nœud gordien.

Du côté de l’anarchie

Je suis satisfait de militer auprès de mes camarades anarchistes à la FA. Nos luttes sont réparties sur des causes et des combats fondés, et nous avons les mêmes ennemi.e.s : le patronat, l’exploitation de « l’homme par l’homme », entraînant souvent celle de « la femme par l’homme », etc. Mais, grâce à la présence, et au relais des anarchaféministes, depuis de nombreuses années, nous avons pu avancer, tout en posant ponctuellement de nouveaux défits, comme au sein de la nouvelle commission antipatriarcale de la FA. Nous voilà doté.e.s de nouveaux outils de lutte, avec lesquels nous suivrons les traces des Louise Michel, d’Emma Goldman, des Mujere Libres ou autres Daniel Guérin. Et tellement d’autres anonymes, dans le combat global contre l’antipatriarcat, jamais acquis, tout comme celui de l’abolition du capitalisme en général.

En tant qu’homo et anarchiste, personnellement, je n’ai jamais eu à me plaindre de l’accueil de mes camarades de la FA : militer en 1972 au groupe Germinal ne m’empêchait pas de militer également au FHAR.2 Après quelques années d’absence, « les années sida », l’organisation a vu d’un bon œil la création du Claaaaaash en 1998. Les six « a » sous-entendaient, la mise en perspective sur le même front : de la lutte contre le capitalisme, la religion, le racisme et incluant celles contre le sexisme et l’homophobie, au sein d’une vision globale et anarchiste. Elle englobait un positionnement fédéral, contre des manifestations mercantiles (par exemple, la lesbian, gay, bi, trans pride, en 2000) et ouvrait quelques éléments de réflexion sur la sexualité, voire la nécessité d’une « déconstruction des genres ». Retour au nœud gordien.

Contre les oppressions

Pourtant, nous ne vivons pas aujourd’hui, dans un monde idéal anarchiste avec des genres déconstruits. Nous avons encore beaucoup de mal à faire reconnaître l’oppression que nous subissons quotidiennement, nous, les femmes, les LGTB et les hommes pro-féministes. Et les militant.e.s anarchistes ont encore du mal à se mobiliser, lors des actions de positionnement que nous organisons. Et je ne comprends toujours pas pourquoi, dans la mesure où nous n’hésitons pas à apparaître, pratiquement au sein de toutes les autres luttes. C’est dommage car à chaque fois que nous, les anars, sommes présent.e.s dans les luttes féministes, c’est dingue le nombre de Monde libetaire que je vends, par exemple, lors d’actions contre les anti-IVG ou les « phobistes » : un signe qui ne trompe pas ?

À bas les lois et les genres

Les lois ne régleront jamais la montée en puissance des antichoix. Ne laissons pas l’initiative aux « sociaux démocrates » qui ne nous proposent qu’une voie légaliste. La rue nous appartient, et nous devons y exprimer notre solidarité avec les victimes de crimes homophobes (Sébastien) ou sexistes (Sohane) aux côtés d’autres victimes de l’ordre moral. Avec la montée du « tout religieux », nous assistons à une recrudescence de ces crimes, qui existaient déjà au Moyen Âge et étaient perpétrés contre « les sorcières et les sodomites ».

Les anarchistes n’ont-ils pas leur mot à dire face à ces agissements, et peut-on hésiter à soutenir la lutte des féministes et des LGTB, face au retour de bâton du patriarcat et de l’ordre moral ? Allons-nous, encore une fois de plus, laisser les lois nous soumettre, aux bons soins d’une Christine Boutin, présidente de la commission anti-homophobie à l’Assemblée nationale, ou d’un Garaud anti-IVG, et pour un statut de l’embryon ?

Il me semble que les anarchistes, anarcha-féministes et LGTB ont gagné une place légitime et historique dans le combat libertaire contre l’ordre patr iarcal. J’espère que nous serons en première ligne dans cette lutte pour le droit de décider de nos corps, comme nous serons également présent.e.s sur toutes les autres.

L’anarchie comme prolongement de l’individu et comme libération des hommes, des femmes et des LGTB (dans l’ordre ou dans le désordre) ! Incluse, la déconstruction du genre, pour un combat commun contre le capitalisme, le racisme, le machisme, le sexisme, les phobies, toutes et tous ensemble, sous les plis du drapeau noir !

la Fiotte noire


1. Voir les articles du Monde libertaire consacrés à Sébastien, brûlé vif par des homophobes dans le Nord-Pas-de-Calais en février 2004, ou encore à Sohane, brûlée vive en banlieue parisienne parce que seulement femme voulant se libérer du patriarcat.

2. Front homosexuel d’action révolutionnaire (à tendance hautement maoïste et trotskiste, mais qui rassemblait également quelques anars)