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Recalculés

Le jeudi 29 avril 2004.

Salopard ! C’est le mot qui vient lorsqu’on entend Chérèque, secrétaire de la CFDT, dire que la victoire des 35 « recalculés » marseillais est une catastrophe. Ça c’est un syndicaliste qui se préoccupe du social.

On le sait depuis des années que la CFDT ne constitue plus qu’une base avancée du Medef dans le monde syndical, mais là, il s’agit des mots de trop. Chérèque, pire que Notat et Kaspar.

Est-ce une volonté politique assumée de ne plus servir que de valet du patronat (voir le nombre d’accords bidons signés par ce syndicat dans les boîtes) et du libéralisme (soutien à Juppé et marchepied pour Raffarin) ou tout simplement parce que la CFDT, trop empêtrée dans ses fonctions paritaires et la fuite de ses adhérents (15 000 reconnus, mais bien plus, ainsi que des prises de positions critiques et les désaveux de certaines fédérations), ne peut plus faire autrement que de dire amen à toute proposition permettant de couvrir ses frais ?

Enfin, comment peut-on faire confiance à un syndicat dont les secrétaires généraux deviennent des patrons lorsqu’ils quittent leurs fonctions syndicales ?

En décembre 2002, la CFDT (soyons juste, accompagnée de la CGC et de la CFTC) signait un accord avec le patronat réduisant de sept mois les indemnités prévues lors de la signature des Plans d’aide au retour à l’emploi.

Le PARE n’était déjà pas engageant mais constituait pour les signataires, un « compromis qui, en contrepartie de la mise en œuvre de prestations et de suivis individuels pour inciter les chômeurs à retrouver rapidement un emploi (à quel prix ?), leur accordait une amélioration de leur indemnisation ».

Lorsqu’on ne veut pas faire cracher les patrons, lorsqu’on ne veut pas augmenter leurs cotisations (le patronat ne finance l’Unedic qu’à 25 % et a bénéficié de réductions de cotisation qui ont entraîné le déficit actuel), il est beaucoup plus facile de s’attaquer aux pauvres.

La CFDT semblant en faire un leitmotiv pour « sauver les systèmes », en témoignent dernièrement les positions et signatures sur la retraite et la remise en cause du statut des intermittents.

Le premier janvier 2004, 265 000 chômeurs voyaient donc leurs indemnités supprimées et sortaient par là même des statistiques du chômage. Ce n’était qu’un début car, d’ici à la fin de l’année, c’est plus de 850 000 chômeurs qui auraient été victimes de cet accord.

Parce que les chômeurs sont isolés et difficilement mobilisables de façon massive, il était sans doute plus facile de passer par la justice, et ce sont, sur 76 villes, 2 000 chômeurs « recalculés » qui ont porté plainte contre l’Unedic et l’Assedic, pour rupture de contrat.

Les 35 « recalculés » de Marseille, à la pointe de ce mouvement, ont obtenu gain de cause devant le tribunal de grande instance, le 15 avril dernier. L’Unedic et l’Assedic ont été condamnés à maintenir le versement des indemnités ainsi qu’à verser 1 000 euros d’indemnisation à chaque chômeur.

Depuis cette condamnation, c’est l’euphorie : les standards téléphoniques d’AC !, des mouvements de chômeurs et de la CGT explosent. Si tous les « recalculés » portent plainte ça ne va pas être triste.

Il ne s’agit que d’une première étape car une victoire juridique est toujours facilement remise en cause. Si, pour l’instant, les 35 de Marseille peuvent faire jurisprudence, il ne va pas manquer des juges (justice de classe aidant) pour faire payer les pauvres et préserver les riches.

De même, l’Unedic vient de faire appel, le Medef vient de déclarer que « le régime [risquait] d’être modifié et pas dans le bon sens », quant à la CFDT (qui cogère l’Unedic) elle se dit « contrainte de renégocier » mais seulement à l’automne.

Donc, si la mobilisation a permis cette victoire, il va sans dire que la bataille ne fait que commencer et qu’il va falloir se bouger si on ne veut pas que tous les acquis sociaux passent à la moulinette du « réalisme politique » (comme dirait Chérèque) c’est-à-dire du capitalisme.

Jean-Pierre Levaray