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Du « terrorisme »

Le jeudi 29 avril 2004.

La politique de Washington est centrée entièrement sur une prétendue lutte contre le terrorisme. l’invention d’un ennemi légitime tout : pillage au-delà des frontières, restriction des libertés en deçà.



Les autorités américaines semblent très soucieuses de veiller à ce que le terme de « terrorisme » soit correctement employé, mais elles veillent à éviter toute définition précise, ou en tout cas à circonscrire la définition dans certaines limites. « Un groupe de personnes qui prend le contrôle d’avions de ligne et les utilisent comme missiles guidés contre des milliers de personnes », si cela ne définit pas le terrorisme, qu’est-ce qui le définit ? On pourrait répliquer : « Un groupe d’États qui fait pendant douze ans le blocus d’un autre État, provoquant la mort de 500 000 enfants par manque de soins et de nourriture. Si cela ne définit pas le terrorisme, qu’est-ce qui le définit ? »

Sur le concept de « terrorisme »

Les médias ont tendance à utiliser le terme de la même façon que les autorités officielles. Ainsi, le Wall Street Journal a informé son personnel que le mot “terroriste” « devrait être utilisé avec précaution, et spécifiquement, pour décrire ces personnes et organisations non gouvernementales qui planifient et exécutent des actes de violence contre des cibles civiles et non combattantes ». Le message est clair : les États ne peuvent pas être terroristes.

Les gouvernements ne manquent pas de faire pression pour qu’on désigne leurs adversaires comme des terroristes. Dans le conflit israélo-palestinien, beaucoup plus de civils non combattants ont été tués que de soldats israéliens ; par ailleurs, le droit international est en faveur des Palestiniens. Pourtant, ce sont ces derniers qui sont les « terroristes ».

Le secrétaire d’État Donald Rumsfeld s’est rendu en Irak en 1983 et en 1984 comme émissaire du président Reagan pour créer des liens avec l’Irak, qui était en guerre contre l’Iran. Vers la même période, les États-Unis ont fourni des fonds, entraîné et armé la résistance afghane contre les Soviétiques ; dès que les Soviétiques se sont retirés, les « résistants » devinrent des « terroristes ».

Le bien contre le mal

En définissant la « guerre contre la terreur » comme une bataille du bien contre le mal, Bush a reproduit la rhétorique de Ben Laden en divisant le monde en deux camps diamétralement opposés. « La dernière chose que les Israéliens voulaient était de créer un “sionisme palestinien” et, pourtant, dans les premiers temps, Israël a aidé et soutenu le Hamas, qui s’opposait avec violence à l’idéologie laïque de l’OLP, de façon à miner Arafat.

C’est l’Occident qui a armé Ben Laden et les moudjahidins en Afghanistan pendant la guerre froide et qui a soutenu les talibans. Les idées religieuses de ces groupes ne furent pas du tout prises en considération. Pourtant, ceux qui ont étudié ces mouvements ont fait part de leurs craintes longtemps avant les attentats contre le WTC.

Dans le International Herald Tribune du 18 février 2004, un journaliste a écrit un article intitulé : « Terrorisme : un monde pris au piège par un mot ». Il raconte que lors d’une interview télévisée du 8 février dernier, George Bush répéta vingt-deux fois le mot « terrorisme » ou un synonyme, alors qu’aucun journaliste ne lui avait posé de question sur ce sujet. La politique étrangère américaine est entièrement centrée sur la lutte contre le terrorisme, qui sert à légitimer toute intervention que le président américain jugera nécessaire, où que ce soit.

Il est convenu de considérer que lorsqu’il y a un problème, la découverte d’une solution passe par la recherche des causes de ce problème. Les leaders politiques du monde anglo-saxon — États-Unis, Grande-Bretagne et Australie, dans l’ordre — semblent avoir oublié ce précepte. Pourtant, en son temps, Blair lui-même déclarait : « Il faut attaquer le crime, il faut attaquer les causes du crime ». Le terrorisme est un crime, mais on ne parle pas d’en définir les causes. On ne parle même pas d’en analyser les causes. Le terrorisme est devenu quelque chose d’abstrait, d’impalpable, de volatile, il est devenu une catégorie de l’esprit.

Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il commet des « assassinats de masse politiquement motivés », il se trouvera toujours un tordu pour se demander quelles sont ces motivations politiques. En disant : « attentat terroriste », on élude cette question. Le terrorisme relève de l’irrationnel, il n’a pas d’explication, il ne peut être que l’œuvre d’un fou.

« Le terrorisme est mauvais et détestable, mais il n’est pas sorti de rien. Si nous écartons simplement ces mouvements comme irrationnels et inexplicables, nous ne ressentirons pas le besoin d’examiner notre propre politique et nos comportements. Le nihilisme choquant des attentats suicides montre que ceux qui les font n’ont rien à perdre. L’extrémisme millénariste ou fondamentaliste est apparu dans presque toutes les traditions culturelles où existaient de grandes inégalités de richesse, de pouvoir et de statut. Le seul moyen de créer un monde plus sûr est de faire en sorte qu’il soit plus juste. » (« Our Role in the Terror », Karen Armstrong, The Guardian, 18 septembre 2003.)

Les Palestiniens ont longtemps résisté aux sirènes fondamentalistes, mais devant le blocage de toute perspective politique par les autorités israéliennes, ils se sont tournés vers les partis islamiques, ce qui en retour arrangeait les autorités israéliennes, qui ne veulent sourtout pas d’une solution politique au conflit. « Une fois que Dieu est introduit dans le conflit, les positions deviennent absolues, sacrées et plus difficiles à négocier », dit très justement Karen Armstrong.

Guerre de diversion massive

De plus en plus de journalistes américains contestent aujourd’hui la réelle volonté de l’administration Bush de combattre le terrorisme. Cette absence de volonté réelle est compensée par des manifestations verbales destinées à occulter l’inaction.

On désigne un adversaire impalpable, « le » terrorisme, dont on ignore tout, personnifié par Ben Laden qu’on s’obstine à ne pas pouvoir attraper.

La question du « terrorisme » est une non-question sur laquelle il n’est pas besoin de réfléchir. La guerre contre le « terrorisme » n’est pas une guerre, c’est une arme de diversion massive. Le « terrorisme » ne se combat pas avec des moyens militaires, il se combat par un ensemble de mesures de renseignement, de police, de prévention dont on ne voit jamais les effets à la télévision.

Même sur le terrain militaire, l’administration Bush ne prend pas de réelles mesures. Elle a refusé de donner au nouveau gouvernement afghan de véritables moyens de lutte, avec comme résultat le retour en force des talibans, qui contrôlent maintenant de nouveau un tiers du territoire afghan.

Les actes auxquels on applique le mot terroriste sont en général classés, par les stratèges, dans la rubrique « violence de basse intensité », non pas tant à cause du nombre de victimes, qui peut à l’occasion être grand, que par la relative modestie des moyens mis en œuvre. C’est pourquoi le « terrorisme » est le fait des pauvres, des faibles. La violence de haute technologie dont ils sont souvent les victimes n’est jamais désignée par le mot « terrorisme ». Pourtant, « alors que la plus grande partie de l’humanité a plus de raison de craindre la violence de haute technologie des forts que la violence de basse technologie des faibles, la manipulation mentale accomplie par ceux qui abusent du mot “terrorisme” revient à ça : la violence de basse technologie des faibles est une telle abomination qu’il n’y a pas de limites à la violence de haute technologie des forts déployée contre elle. », écrit John V. Whitbeck.

Fausses alertes

Selon des professionnels du renseignement, la Maison-Blanche organise des fausses alertes terroristes pour maintenir la pression sur les électeurs et pour que les sondages continuent de montrer un soutien à la politique du président. Un agent du FBI, cité par Jon Dougherty, déclare que « malheureusement, nous n’avons pas fait beaucoup de progrès contre al Qaïda ou dans la guerre contre le terrorisme ». D’autres sources au sein du FBI et de la CIA reconnaissent que le gouvernement fait pression sur les agences de renseignement pour trouver « quelque chose, n’importe quoi » pour justifier des alertes lancées par la Maison Blanche. Un autre agent du FBI faisait remarquer que chaque fois qu’on donnait une fausse alerte, on anesthésiait la population pour le jour où il y aura réellement du danger.

Le journal en ligne Knight-Ridder Newspapers a écrit que l’année précédant les attentats contre les tours jumelles, le FBI avait prévenu que des attaques terroristes pouvaient toucher les stades, les centrales nucléaires, les centres commerciaux, les synagogues, le métro, et d’autres lieux de New York, et qu’il fallait se méfier des petits avions et des gens qui faisaient de la plongée sous-marine.

Un stratège du parti démocrate, Russ Barksdale, déclara que « bien sûr, la Maison-Blanche va exploiter la menace terroriste à son avantage. […] Ils seraient idiots de ne pas le faire. Nous ferions la même chose. »

Il y a de nombreux exemples de manipulation et d’utilisation du terrorisme à des fins politiques par l’administration Bush. Début 2003, Powell défendit devant l’Onu un rapport des services secrets britanniques truffé de pages copiées-collées d’un travail d’étudiant, avec les mêmes fautes d’orthographe et de syntaxe. Ce rapport contenait des données dépassées de dix ans.

Le secrétaire d’État Colin Powell annonça l’existence d’une bande magnétique de grande importance lors d’une réunion d’un comité du budget au Sénat. Powell affirma que le contenu de cet enregistrement liait de façon évidente Saddam Hussein au terrorisme international et à al Qaïda. « Ce lien entre terroristes et États qui développent des armes de destruction massive ne peut plus être négligé et ignoré », déclara Powell.

La bande magnétique passa sur toutes les chaînes, et la première version de l’enregistrement fut copiée par quelques fans de l’info. Bien leur en prit, car elle racontait une tout autre histoire. Ousama Ben Laden criait certes vengeance contre les États-Unis si ces derniers attaquaient l’Irak, et demandait la solidarité du monde musulman. Mais Ben Laden appelait le peuple irakien à se soulever contre le « socialiste Saddam Hussein »… Plus tard, un nouveau commentaire apparaissait : la phrase de Ben Laden appelant les Irakiens à se soulever contre Saddam Hussein était coupée.

La crédibilité de Powell était quelque peu émoussée, mais l’enjeu était de taille. En effet, la chaîne MSNBC, avec NBC et CNBC appartient à General Electric, l’un des plus grands profiteurs de la guerre contre l’Irak. On en vient donc à se demander si c’était la première fois qu’une information était manipulée par les médias.

L’humanité a plus à craindre de la violence de haute technologie des forts que de la violence de basse technologie des faibles. La « lutte contre le terrorisme » sert en grande partie de prétexte pour mettre en place de graves mesures de limitation des libertés civiles aux États-Unis, permettant alors un véritable pillage des ressources nationales au profit de grandes compagnies privées. La « lutte contre le terrorisme » vise moins à faire cesser les activités d’al Qaïda qu’à mettre en œuvre le pillage de l’Irak, premier pas vers la subordination de tout le Moyen-Orient à la politique de l’impérialisme américain.

Raoul Boullard