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L’Éducation sexiste

Le jeudi 29 avril 2004.

Dans ce texte, après avoir passé en revue les causes liées à la discrimination sexiste que subissent les femmes dans leur vie, je déclinerai les moyens devant être apportés pour y remédier et ceux réellement mis en place actuellement et parlerai de mon vécu pour éclairer mes propos : en espérant que cette analyse servira de réflexion (hélas, présentement, je suis un peu pessimiste en la matière !) pour la remise en cause de cette éducation source d’une inégalité encore très présente dans notre vie, quel que soit le milieu social et politique.

En quoi l’éducation est-elle sexiste ?

Dès la naissance, quand la petite fille a la chance de naître (peut-on d’ailleurs parler de chance quand elle est au mieux dissimulée sous une burka, au pire utilisée comme proie sexuelle et monnaie d’échanges par les hommes ?) et même avant la naissance, l’enfant déclarée de sexe féminin subit des discriminations liées à ce sexe.

Avant la naissance, des femmes essaient d’éliminer le fœtus femelle soit par peur de ce qui attend ces futures filles, soit parce que la restriction des naissances (comme en Chine), ou encore le paiement de la dot future, rend ces femmes à naître peu intéressantes. Et quand les fœtus ne sont pas éliminés, ces femmes peuvent subir la pression patriarcale et être beaucoup moins intéressées par leurs bébés que s’il était de sexe masculin.

Après la naissance, l’allaitement maternel des bébés féminins est souvent moins long, l’apprentissage de la propreté beaucoup plus exigeant, et s’ensuit une éducation où les caractéristiques sexistes sont prégnantes : dans l’habillement, les jouets que l’on met à sa disposition, le comportement que l’on attend d’elle, l’éducation parentale et scolaire, l’environnement médiatique.

Voici quelques exemples pour avaliser mes propos.

Parlons de l’attitude des garçons par rapport aux filles : il est courant de voir de tout jeunes garçons mettre la main aux fesses des filles et s’étonner qu’on leur fasse des remarques par rapport à cette attitude, celle-ci étant passée dans les mœurs. Dans les cours d’école, la majeure partie de l’espace est réservée aux parties de foot ou de basket. Si l’on écoute les enfants ainsi que les adolescent.e.s, voire les adultes, on peut compter le nombre de « putains » qui émaillent leurs propos, ce dernier vocable étant passé dans le langage courant.

Si, comme moi, vous avez la chance de vous retrouver, à la plage, installé.e à côté d’adolescents en mal de puberté, vous entendrez des propos édifiants du genre : « Dis donc, une telle était bonne, chaude… » (j’en passe et des meilleurs).

Regardons maintenant du côté de l’éducation des petites filles par leurs parents : ces dernier.e.s sont toujours étonné.e.s quand leurs filles dérogent aux lois dites de la nature qui veulent qu’elles soient douces, soumises et pas douées dans le domaine scientifique ou technologique.

Un autre environnement favorise la discrimination sexiste : celui de la littérature enfantine.

Dans les livres qui s’adressent aux jeunes enfants, les mamans sont dévolues au rôle de femme au foyer ou de bonne ménagère. Actuellement est encensée la collection de livres intitulée Martine… dont la connotation sexiste est à faire frémir.

Leirn (cf. page Internet des Chiennes de garde) analyse l’attitude plus que sexiste de Rousseau dont les textes sont décortiqués en long et en large pendant la scolarité secondaire en particulier dans les classes de lycée. Il écrit : « Rousseau, dans l’Émile prend position : “ Ainsi, toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes, leur plaire, leur être utile, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà qui cause cette différence. ” »

Je n’ai pas souvenir d’avoir jamais étudié dans ma scolarité et d’avoir entendu mes filles, qui sont d’une autre génération, en parler ; je ne résiste cependant pas au plaisir de citer notre grand ami Proudhon, même si je sais très bien que le temps n’est pas encore venu d’une étude de cet éminent anarchiste dans les classes préparant au baccalauréat : « Ménagère ou courtisane, telle est la place de la femme. J’inclinerais plutôt à mettre la femme en réclusion. » Heureusement que pour contrebalancer l’antiféminisme quelque peu primaire de Proudhon, Malatesta a tenu ces propos (cf. Au café, p. 100) : à la question d’un des deux personnages mis en scène dans ce livre (Ambroise) « Que ferez vous des femmes ? », Georges l’anarchiste répond : « Que ferez-vous des femmes ? Demandez plutôt : que feront les femmes ? — Et je vous répondrai qu’elles feront ce qu’elles voudront et que, puisqu’elles ont, au même titre que les hommes, besoin de vivre en société, il est certain qu’elles voudront s’accorder avec leurs semblables, mâles ou femelles, pour satisfaire à leurs besoins au plus grand avantage et d’elles-mêmes et de tous. »

Je terminerai ce chapitre par quelques nombres : en France, le taux de chômeuses (environ 10,9 %, selon l’Insee le 19 avriil 2004) est plus élevé que celui des chômeurs (8,7 %), 160 professions sont uniquement masculines, les salaires sont inférieurs de 25 %.

Quant à la participation des femmes à la formation initiale, on constate encore une domination masculine puisque 55 % des hommes en bénéficient contre seulement 45 % de femmes. En sciences, les femmes sont considérablement sous-représentées, soit 25 % des effectifs des étudiant.e.s en sciences et technologies. En faculté d’ingénierie, elles ne sont que 6 %.

En 1990, 130 millions d’enfants étaient privé.e.s d’enseignement primaire dont 81 millions de filles. Chaque année, plus de quinze millions de filles âgées de 15 à 19 ans deviennent mères : difficile de faire des études quand on a charge de famille si jeune !

Les moyens à mettre en place

Un bulletin officiel de l’Éducation nationale (nº 10 du 9 mars 2000) indique toutes les bonnes résolutions prises par le ministère de cette époque. Je vais vous en citer quelques extraits :

« Prendre en compte systématiquement dans les conseils de classe et les réunions de parents la dimension sexuée de l’orientation […].

 » Inscrire systématiquement la question de l’égalité des chances entre les filles et les garçons dans les objectifs d’éducation à l’orientation.

 » 2.1 Prévenir les violences sexistes.

 » Privilégier des approches pédagogiques susceptibles de dénoncer les mécanismes traditionnels de domination pour remplacer par l’apprentissage de modèles relationnels respectueux et égalitaires […].

 » 3.2 Former l’ensemble des membres de la communauté éducative à l’égalité des chances

 » Introduire systématiquement une formation spécifique dans la formation spécifique des enseignants au sein de l’IUFM (institut universitaire de formation des maîtr.ess.es) »

Ironie de l’intitulé de l’IUFM : il n’est pas féminisé, c’est moi qui l’ai fait ! Justement à propos de féminisation des textes :

« De la féminisation des textes :

 » À cet effet, nous vous demandons, à chaque fois qu’il s’agit de termes dont le féminin est d’usage courant, d’utiliser l’appellation professionnelle féminine des noms de métiers dans tous les textes et documents émis par vos services, en vous référant aux règles définies dans le guide édité par l’Inalf (institut national de la langue française). Chaque opportunité doit être saisie d’introduire la forme féminine dans tous les textes et documents émis par vos services… »

Et la réalité quelle est-elle ?

Les blagues sur les blondes sont toujours au goût du jour.

Les textes cités ci-dessus restent lettres mortes : depuis la diffusion de ce BO (bulletin officiel), je n’ai jamais vu passer entre mes mains ou être utilisé dans les classes un texte sur l’éducation sexiste. Mes filles ne m’ont non plus jamais parlé de telles initiatives pendant leurs scolarités secondaires.

Dernièrement, j’ai encore eu un exemple du refus de mes collègues féminines de féminiser leur fonction : nous sommes maîtresses E, c’est-à-dire institutrices spécialisées chargées de l’aide pédagogique. À chaque fois que mes collègues se présentent, elles disent : « maître E ».

Régulièrement, on me corrige mes textes syndicaux qui sont trop féminisés à leur goût : c’est vrai que ça alourdit le discours, autrement écrit : « Nous sommes lourdes ! » (même dans l’écriture, nous sommes mises au régime !).

Bon, parlons maintenant des journaux qui s’adressent à la population féminine adolescente : c’est édifiant ! On explique aux jeunes filles comment faire pour appâter leurs copains futurs petits amis ainsi que toutes les stratégies pour devenir de parfaites futures femmes à la fois putes et soumises.

Cette année, la mode est au rose Barbie mais je doute que ces messieurs s’y mettent.

Quant aux publicités sexistes, elles sont innombrables : sur celles-ci la nudité, qui ne me pose pas problème quand elle est désexualisée, est hélas utilisée histoire de solliciter la libido de ces messieurs en vue de les faire mieux acheter et culpabiliser ces dames qui ne sont jamais assez comme la femme découpée en rondelles pour une image stéréotypée de synthèse à laquelle jamais aucune femme n’arrivera à ressembler.

Il n’y a pas plus de textes féminins dans les programmes scolaires et la féminisation des métiers est loin d’être rentrée dans les mœurs.

La norme de l’hétérosexualité fait force de loi.

Bon alors, quand s’y met-on à l’égalité des sexes ?

Is@, anarchaféministe