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« Nous sommes enfermés dehors ! »

Le jeudi 20 mai 2004.

Citation qui date un peu, (La Haine de Kassovitz), mais la situation décrite est actuelle et conforme à la réalité : les intermittents stationnent devant le Palais, surnommé le bunker, et n’y pénètrent pas, car sans « badge » on n’y entre pas !

Ils ont été refoulés hors du centre de Cannes, ont été priés de s’installer au Théâtre des Mutilés, mettant l’association qui l’occupe dans l’embarras, car les petits enfants et leurs animatrices avaient préparé leur soirée de patronage. Les commerçants de Cannes ont manifesté pour faire savoir qu’ils ne supporteraient pas qu’on « les empêche de “travailler” ! », c’est-à-dire de se mettre plein les poches et de gagner en 10 jours ce qu’ils gagnent en quelques mois, en pleine saison, par ailleurs.

Les intermittents ne monteront les marches officiellement que dimanche, avec Agnès Jaoui. Car elle est, dimanche, 16 mai, en compétition avec Comme une image. Cette montée des marches, cette foulée du tapis rouge a été négociée bien avant le festival. Tout comme l’autre intervention très réglementée des intermittents qui montaient en tenue de soirée avec des pancartes dans le dos : « négociations ». Comptez le nombre des lettres qu’il y a dans le mot et vous aurez le nombre d’intermittents autorisés à monter les marches. Pourtant, d’après les chiffres communiqués, il y aurait au moins 300 intermittents accrédités officiellement. Depuis il y a eu des actions semblables, des pancartes tendues, demandant toujours la même chose : l’abrogation. Agnès Jaoui qui sera accompagnée d’une délégation d’intermittents — pendant sa montée des marches — incarne d’une certaine manière la lutte des intermittents. Depuis sa prestation remarquée aux Césars, où elle demandait de façon convaincante l’abrogation pure et simple du régime des intermittents en vigueur depuis le 1er janvier 2004. Elle stigmatisait l’absence d’écoute de la part du ministre remplacé depuis. Elle est devenue, de fait, une sorte de « pasionaria » de la cause des intermittents : nous avons compris, elle n’est pas « sage » Comme une image.

Malgré la pétition — déclaration des cinéastes français sélectionnés solidaires —, le Festival suit son cours. Nous sommes combien à nous rappeler que, il y a quelques années seulement, pendant la lutte des sans papiers et l’occupation de l’église Saint- Bernard, un film montait les marches tout a fait symboliquement. La projection de Nous les sans-papiers de France devait précéder tous les films. En fin de compte, c’étaient surtout les sections parallèles qui ont tenu cet engagement. Et le film figure maintenant dans la filmographie de Nicolas Philibert, alors qu’il s’agissait d’une création collective.

Au moment où je vous écris, une délégation d’intermittents est postée devant le bunker et réclame « santé, culture, éducation… ». Des actions plus dures sont annoncées à partir de dimanche. Pour le moment, les CRS les regardent et sourient !

Un film de Patricio Guzmán consacré à Salvador Allende rappelle que la personne qui a influencé durablement Allende était un cordonnier libertaire de Valparaiso, Juan de Marchi. Quand les ouvriers de l’Union Populaire se rappellent leur lutte, ils le disent bien : « Nous aurions dû désobéir, garder nos fusils et attaquer au moins une caserne… » Le film de Guzmán touche et bouleverse grâce à des archives qui nous donnent à voir des hommes décidés à mourir pour une idée. Alors que « Terre et cendres » de Atiq Rahimi nous parle humblement de l’état des survivants des bombardements en Afghanistan. Un grand père veille sur son petit fils qui cherche les voix des siens dans la carcasse d’un tank éventré : « Il a mangé leurs voix ! », dit-il.

Un documentaire de Jonathan Nossiter, Mondovino nous apprend que parfois l’action d’un seul homme (Robert Parker) peut suffire pour ébranler une tradition millénaire… que la globalisation signifie aussi que tous les Bordeaux auront, très bientôt, le même goût… !

D’autres se demandent « Si c’était la belle vie ou la vraie vie, la vraie ? » (Isild le Besco, actrice époustouflante, vit comme dans Roberto Zucco la fascination pour une sorte de gueule d’ange-casseur qui ne saura pas « tuer »… (cf. À tout de suite)… et Shrek 2 demande l’aide d’un King Kong très particulier, qu’il appelle Cake Kong, pour retrouver sa belle… Donc Dreamwork aussi banalise tout, exactement comme le fait Disney ! À quand la globalisation du rire bête et méchant ?

Heike Hurst