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Intermittents

La Production documentaire indépendante menacée

Le jeudi 20 mai 2004.

En un an, la réforme des Assedic du spectacle compte une réussite à son actif : avoir fait l’unanimité contre elle.

La Scam, société des auteurs qui est loin d’avoir la réputation d’une organisation extrémiste, dénonce la « régression de la culture et de la création » et mentionne « la désespérance de ceux qui devraient les faire vivre », leur « situation humaine parfois dramatique ». On ne saurait mieux dire…

Les Assedic sont la face émergée de l’iceberg, leur déficit chronique, le symptôme d’une situation paradoxale périodiquement dénoncée dans l’indifférence générale. On l’a d’abord chuchoté, puis publié, hurlé enfin : les Assedic sont un des piliers fondamentaux du financement de la culture.

Le Monde titre sur « la spirale infernale de l’appauvrissement des intermittents », le Monde libertaire pourrait titrer sur la spirale diabolique du cycle Assedic-travail dans les secteurs réputés florissants.

L’Addoc (association des documentaristes) constate : « La télévision publique n’a jamais diffusé autant de documentaires, et pourtant le documentaire est en crise. » Le groupe du 24 juillet (auteurs et réalisateurs) dénonce « la paupérisation de l’économie réelle du documentaire, jusqu’ici masquée par le régime des allocations chômage des intermittents. »

Les structures de production ne peuvent plus payer la totalité des jours nécessaires à la réalisation des projets. Désormais, le « financement Assedic » dépasse le cadre de l’écriture et des recherches, souvent rémunérées a posteriori. Trop fréquemment, les salaires n’ont plus qu’un lointain rapport avec le nombre de jours travaillés. Olivier Horn, grand prix Scam pour son documentaire Un amour à Pékin, expliquait en substance que le tournage s’était étalé de 1997 à 2002. France 5 a fini par l’acheter : « Nous avons partagé une bourse d’aide à l’écriture avec le coauteur, et j’ai eu 20 000 francs de salaire… On vit grâce au statut des intermittents… », conclut-il. Ce documentaire remporte un franc succès et a été plusieurs fois rediffusé. Une histoire banale.

La demande existe, les documentaires sont diffusés. Le financement n’est pas au rendez-vous. Un hiatus que les mesures annoncées ne semblent pas devoir combler.

Là où on nous promet une réforme audacieuse, on voit surtout du replâtrage pour pallier les dégâts causés par la réforme : 507 heures de travail en 11 mois pour 8 mois d’indemnités (507 heures en 9 mois pour 2005).

Le résultat ne s’est pas fait attendre. La CGT avance le chiffre de 1500 exclus par mois. Et voilà qu’on s’avise que les intermittents du spectacle ont rarement accès aux ASS, qu’il faut mettre sur pied de toute urgence un système similaire pour les laissés-pour-compte. Certains allocataires touchant à peine plus que les ASS, la formule de la SRF (Société des réalisateurs de films) : une signature d’accords « hâtive et inconséquente » prend tout son sens.

La suppression de la date anniversaire est à la fois discriminatoire et ruineuse. Discriminatoire car « à travail égal, allocations inégales » : les heures effectuées en début d’ouverture de droits peuvent ne pas être prises en compte. Ruineuse, car des économies, inéquitables certes, mais relativement indolores, se faisaient grâce à l’écart non indemnisé entre la date anniversaire et celle du dernier contrat de travail. Au mieux, l’augmentation des dépenses sera compensée par les exclusions : où est l’économie ?

On parle de concertation, mais non de réouverture des négociations, la date de fin 2005 est inchangée. Il y a pourtant des raisons de négocier. Le conseil d’État a annulé l’agrément de l’assurance chômage, cadre dont les annexes dépendent.

Les intermittents n’arrivent pas les mains vides. Lors des précédentes négociations, la CGT et la CFDT avaient signé un accord avec les principales fédérations d’employeurs du spectacle. Le Medef l’a écarté. Aujourd’hui, un « comité de suivi » regroupant syndicats, organisations professionnelles et coordinations, élabore des propositions incluant des mesures d’économie : déplafonnement de cotisations, collaboration financière des collectivités locales et des employeurs recourant massivement, pour ne pas dire abusivement, à l’intermittence (par exemple les chaînes de télévision).

Malgré les promesses de financement, le scepticisme demeure, bien compréhensible, si l’on en juge par la réforme du Cosip, dont on mesurera les effets à la rentrée.

En mars, le groupe du 24 juillet organisait le « salon des refusés ». Films refusés ? Pas partout, les chaînes locales les ont acceptés, permettant ainsi leur financement par le Cosip.

Créé en 1986, ce fonds avait pour vocation de favoriser la production, afin d’éviter aux nouvelles chaînes privées d’acheter des « programmes au mètre ». Constitué par une taxe parafiscale de 5,5 % prélevée sur les chaînes publiques et privées, son attribution automatique est déclenchée par un pré-achat de diffusion audiovisuelle de 6 000 euros minimum, en argent ou en industrie.

Est-il besoin de préciser que les chaînes locales « pauvres » choisissent l’apport d’industrie ? Éternel grief, les chaînes locales payent peu de taxes et bénéficient du Cosip. Le Cosip ne suffit plus à la demande ! TF1 porte plainte à Bruxelles contre le « dirigisme » de l’État. Pourtant, ces grosses chaînes bénéficient du Cosip pour leurs productions et en récupèrent une partie (20 %) via leurs filiales.

Le scandale de Pop Star, qui a bénéficié du Cosip, réservé aux œuvres de création, a mis le feu aux poudres. Il fallait réformer le Cosip ! Mais qui diffuse les œuvres de flux déguisées ?

D’après l’enquête menée par le groupe du 24 juillet, 55 % des œuvres diffusées sur les chaînes locales sont classées par la Scam en 1 ou 2 (documentaires de création) contre 6 % sur les chaînes hertziennes, soit 9 fois plus de création produite grâce à ces chaînes « fauchées ». Véritable poumons pour la création, on voit dans ce secteur nombre de réalisateurs confirmés, chassés des chaînes par le formatage.

Si l’on fait la chasse au flux déguisé, la logique voudrait qu’on regardât de très près les programmes des chaînes hertziennes.

Et bien non ! Qui va devoir désormais passer en commission sélective ? Les productions financées par des apports en industrie, c’est-à- dire les productions diffusées sur les chaînes locales.

Il y a discrimination par l’argent : les « producteurs pauvres » devront justifier d’une création élaborée, sachant que création ou non, l’objectif avoué est d’éliminer 30 % des œuvres qu’ils présentent. Les chaînes hertziennes utiliseront leur Cosip sans passer sous les fourches caudines de la sélection, et, sauf abus criant, pourront l’employer à des œuvres de flux déguisé. Les productions culturelles « fauchées », si on me permet ce pléonasme, seront pénalisées par une réduction de leur Cosip : 50 000 francs en moins sur un documentaire de 52 minutes, soit une amputation d’à peu près un tiers du budget en argent frais.

Les structures qui n’auront pas suffisamment d’avance de caisse seront ainsi éliminées. On attend l’inéluctable cascade de fermetures, et cessations de paiement. Les survivants de ce jeu de chaises musicales devront s’appuyer d’avantage sur les Assedic ou mettre la clef sous la porte. Ce secteur qui, touchant en global 8 % du Cosip, assume 50 % de la production de création, sera saccagé. Les producteurs dont les projets seront refusés, s’ils ne trouvent pas un diffuseur « riche », ou d’autres projets pour utiliser leur Cosip à temps, le perdront, et seront ainsi dépossédés de l’argent qui leur appartient en bonne justice.

Et le petit producteur spolié se verra expulsé de sa propriété.

Qui disait la propriété c’est le vol ? « C’est une logique de concentration libérale, l’argent va à l’argent », concluait le rapporteur du groupe du 24 juillet au Salon des refusés.

Michèle Rollin


La Fédération anarchiste apporte son soutien aux intermittent.e.s en lutte et condamne au plus haut point les violences policières subies à Cannes ce samedi. L’État fait à nouveau la preuve de son intransigeance et de sa brutalité. La police, bras armé de l’État, est là pour mater toute tentative de remise en cause du système inégalitaire capitaliste. Les intermittent.e.s ne sauraient sans contenter du « droit » de monter les marches, véritable récupération mise en scène du spectacle de la contestation, mais l’État ne veut tolérer d’autres formes de manifestation que celles qu’il consent à accorder. Nous sommes donc dans une logique d’affrontement radical dont il s’agit de prendre toute la mesure.

Ce nouvel épisode de la violence policière et étatique contre le mouvement social nous prouve, si besoin était, la nécessité de construire des convergences de luttes, des solidarités concrètes et des groupes de défense. La présence de José Bové et Michael Moore pourrait en être le symbole si cela se traduisait par des actes et une présence militante. Plus que jamais uni.e.s contre le capitalisme et l’État !

Fédération anarchiste