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Le Ras-le-bol des kiosquiers

Le jeudi 20 mai 2004.

Kiosquier, c’est pas le rêve : horaires étendus, rémunération minimale. Face à une distribution de la presse qui favorise plus l’industrie que la diffusion des idées, ils s’organisent.



Le mardi 11 mai restera une référence pour les diffuseurs de presse parisiens : pour beaucoup d’entre eux il s’agissait de leur première grève.

Le rassemblement place Colette a pu réunir environ 300 personnes (kiosquiers et libraires), du jamais vu dans la profession ! Il faut préciser que les deux syndicats de la profession appelaient ensemble à cette journée d’action : le SNDP (Syndicat national des diffuseurs de presse — CGT) et le SNPL (Syndicat national de la librairie et de la presse), et surtout que le ras-le-bol n’a cessé d’augmenter ces derniers mois.

Après qu’une délégation a été reçue par la directrice de cabinet du ministre de la Culture, qui a bien pris note de nos problèmes (faut dire qu’avec le festival de Cannes, les intermittents et tout ça, Donnedieu de Vabres a d’autres chats à fouetter…), le rassemblement s’est mué en manifestation pour se rendre à l’Hôtel de Ville où un déploiement démesuré de CRS, policiers et RG interdisait l’accès au bâtiment. Beaucoup d’attente : pour patienter l’Hôtel de Ville nous a fait livrer des sandwiches que certains ont refusé en les balançant sur le parvis (après tout, on n’est pas à vendre pour une bouchée de pain !). Finalement une délégation a été reçue, entendue et reconduite en attendant d’étudier plus à fond nos revendications.

Petit rappel : les kiosquiers sont rémunérés uniquement à la commission, c’est-à-dire 18 % (soit le pourcentage le plus faible d’Europe). Les horaires s’échelonnent entre 12 et 15 heures minimum par jour. Actuellement un tiers d’entre eux a un revenu mensuel équivalent au Smic (mais pour 12 heures par jour, 6 jours par semaine). Ceux qui le peuvent, car ils n’en n’ont pas tous les moyens financiers, se font remplacer une partie de la journée. Plusieurs possibilités : le ou la titulaire travaille avec son conjoint, le ou la titulaire s’associe avec un autre diffuseur, le ou la titulaire rétribue un remplaçant sur sa part de bénéfice.

Les revendications sont nombreuses mais les deux principales toujours mises en avant sont l’augmentation de la commission à 25 % et la diminution de la charge de travail.

En effet nombre d’éditeurs se servent des kiosques comme devanture publicitaire. Un nombre sans cesse croissant de magazines livrés en quantités invraisemblables ne se vendent pas : aucune importance, l’éditeur est déjà payé avec les encarts publicitaires. L’annonceur sera tout heureux de voir des piles de revues exposant sa pub (à moins de 250 000 exemplaires), il n’a que les chiffres du tirage et non pas ceux de la diffusion réelle, qui eux sont contrôlés par l’OJD 1. Cette pratique répétée par 3 000 titres en moyenne présents dans un point de vente, engorge littéralement kiosques et librairies, et plombent leur trésorerie.

Les mensuels sont payables par le diffuseur une semaine après leur livraison, c’est-à-dire que l’argent reste « bloqué » aux NMPP 2 trois semaines. Bref le rapport est juteux pour le distributeur.

Autre point expliquant le ras-le-bol des diffuseurs : la multiplication des produits « hors-presse », (gadgets, CD, K7, DVD, etc.) accompagnant mensuels, hebdos, et même quotidiens. Finalement le Pif gadget de mon enfance était un sacré précurseur ! Tous ces produits-plus transforment peu à peu les points de vente en bazars (au propre comme au figuré).

Quel avenir ?

La distribution est en pleine ébullition : les NMPP entament leur énième plan de restructuration, réinstallent des dépôts aux portes de Paris, et s’apprêtent à abandonner leur « super » centre de Lognes qui se révèle être un fiasco (on les avait pourtant prévenus !). Les MLP 3 connaissent un tassement de leurs titres et sont dans l’expectative. La SDVP 4 continue son maillage de la région parisienne, l’autodiffusion du Parisien pourrait donner des idées à d’autres, auquel cas on assisterait à un nouvel affaiblissement du principal distributeur.

Comme dans toutes les périodes de crise, les rumeurs vont bon train : transformation à long terme du gérant de kiosque en salarié type Relais H 5 ? Désengagement de la Ville de Paris au profit de l’AAP 6 qui s’auto-finance avec les affiches publicitaires apposées sur les kiosques ? Super-taxation des éditeurs sur les retours d’invendus (ce qui en calmerait certains sur les livraisons abusives) ? Enfin abrogation de la loi Bichet (1947) qui régit actuellement la distribution de la presse en France ? À l’origine cette loi unique au monde avait été créée pour que la coopérative ayant le monopole de la distribution (NMPP) fournisse dans les mêmes conditions toute la presse et notamment la presse dite d’opinion ; le principe étant que les « gros » éditeurs payaient pour que les « petits » soient distribués sur tout le territoire français (33 000 points de vente environ).

Au cas — probable — où cette loi serait un jour abrogée, attention au dérapage : les « gros » éditeurs n’attendent que la fin de l’obligation de payer pour les petits. Ce peut être une revue indépendante de jardinage, tricot, politique… Sûr que le groupe Hachette ne fera pas des pieds et des mains pour que Le Monde libertaire continue d’être distribué par le réseau !

Une seule information officielle : Olivier Pages (conseiller de Paris — Vert) et président de la Commission professionnelle des kiosquiers a prévenu les syndicats que l’attribution des kiosques prévue au 1er juillet est reportée à l’automne (pour attribution au 1er janvier 2005). Quand on sait que sur 330 kiosques plus de 60 sont actuellement fermés, une telle annonce n’est pas faite pour redonner le moral aux diffuseurs. Alors que faire ? Le rassemblement du 11 mai s’est spontanément transformé en assemblée générale d’où il est ressorti deux actions à mener. Tout d’abord, la suspension du paiement des factures hebdomadaires (les chèques ne seront plus adressés aux NMPP mais aux deux syndicats qui les conserveront en attendant des réponses concrètes et favorables à nos revendications). Puis… il y a un mois environ, à une petite vingtaine, nous avions bloqué un dépôt des NMPP durant la nuit. Cette fois-ci, les volontaires étant bien plus nombreux, ce sont tous les dépôts qui peuvent s’attendre à notre visite, histoire de vérifier l’adage : nous n’aurons que ce que nous prendrons !

Ramón Pino


1. OJD : Office de justification de la diffusion des supports de publicité.

2. NMPP : Nouvelles Messageries de la presse parisienne.

3. MLP : Messageries lyonnaises de presse.

4. SDVP : Société de diffusion et de vente du Parisien.

5. Relais H ou Relay : point de vente dans les gares et stations de métro du réseau Hachette.

6. AAP : Administration affichage et publicité.