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Insurrection à T’Kout

contre le pouvoir algérien
Le jeudi 3 juin 2004.

« Pour vous, gouverner c’est mentir ; pour nous, collaborer c’est trahir »



En Algérie, « tout le monde » se félicite du retour de la démocratie dans le pays, suite à la dernière présidentielle qui a vu la réélection de Boutéflika à la tête du pays. La communauté internationale avait dans son ensemble plébiscité Boutéflika, et Chirac avait été le premier président étranger à lui rendre visite. Puis on apprend ces jours-ci que plusieurs ministres français se rendront en visite officielle d’ici à quelques semaines. D’abord, ce sera « Nicolas Sarkozy, [qui] conduira très prochainement une délégation composée d’une douzaine de chefs de groupes industriels et d’investisseurs, dont les patrons de TotalFinaElf, de la RATP et d’Alstom » 1. Super ! On sait que tous ces gros patrons et ministres sont réputés pour leur dévouement et leur altruisme. En particulier, TotalFinaElf qui n’a que de bonnes intentions, comme on a pu le voir dans les pays d’Afrique francophone ou en Birmanie.

Tout le monde se félicite ? Enfin presque. Il semble que certains aient des critiques à formuler sur la démocratie algérienne. Parmi les discordances, faisons un peu de publicité à Lounis Aggoun et à Jean-Baptiste Rivoire, coauteurs du livre Françalgérie : crimes et mensonges d’ÉtatHistoire secrète de la guerre d’indépendance à la « troisième guerre » d’Algérie 2. Cette lecture est vraiment très instructive… Faisons aussi un peu de publicité au livre de Mohammed Benchicou, 3 Boutéflika : Une imposture algérienne, interdit en Algérie. Benchicou, comme les autres journalistes algériens qui assument une certaine indépendance, est victime d’une cabale entretenue par le pouvoir algérien contre la critique médiatique.

Les journalistes ne sont pas les seuls à douter du démocratisme de l’État algérien. La population aussi, semble-t-il.

Déjà, depuis les événements du Printemps noir, au printemps 2001, les mots d’ordres du Mouvement des citoyens 4 — autrement dénommé les aârouchs — sont massivement suivis. « Oulèch smah ! Pas d’vote ! » Les campagnes successives de boycott des différents scrutins sont massivement suivies dans toute la Kabylie, et trouvent des échos dans le reste de l’Algérie. Les chiffres officieux de participation aux présidentielles ne vont guère au-delà de 30 % en moyenne pour toute l’Algérie, et pas plus de quelques pour cent en Kabylie. Cela fait déjà 38 mois que cette région s’est soulevée pour faire face à la répression de l’État. On se souvient que l’assassinat, le 18 avril 2001 du jeune Massinissah Guermah, par les gendarmes, a été l’étincelle qui mit le feu aux poudres. On compte à ce jour 126 morts (martyrs assassinés par les forces de l’ordre) en liaison avec les événements du Printemps noir. Mais, pendant que le Premier ministre Ahmed Ouyahia réitère ses appels officiels au Mouvement des citoyens pour la reprise du dialogue, l’histoire se répète tragiquement.

Cette fois-ci, c’est dans les Aurès, chez les Chaouis, qu’un autre soulèvement populaire est gravement réprimé.

Ainsi le 13 mai 2004, à T’kout, dans la willaya de Batna, les Groupes locaux de défense (milices créées par le pouvoir pour la guerre sale « contre le terrorisme ») assassinent Chaib Argabi, 19 ans, sans aucune raison, lors d’un banal contrôle d’identité (et alors que dans ce village tout le monde se connaît bien). L’ami qui est avec lui est enlevé et séquestré dans les locaux du GLD. Dès le lendemain, les manifestations pacifiques éclatent en signe de solidarité et de colère. Celles-ci sont réprimées par la gendarmerie, aidée de l’armée, et très brutalement. Puis une chasse aux manifestants est engagée dans toute la ville, et les arrestations se succèdent jusque tard dans la nuit et y compris dans les domiciles. D’autres s’enfuient de la ville et trouvent refuge dans les forêts voisines et dans d’autres villes. Parmi les incarcérations, beaucoup de délégués du Mouvement des citoyens. Le Congrès mondial amazigh (CMA) dénonce des centaines de passages à tabac, des dizaines d’arrestations, ainsi qu’une forte probabilité de tortures des personnes incarcérées 5. C’est effectivement ce qui arrive, et un jeune témoigne : Comment j’ai été torturé 6. Le 24 mai, un premier groupe de 22 personnes est déféré devant un tribunal. Les peines écopées vont de trois à huit mois de prison ferme.

Mais la ville est bouclée ce jour-là pour repousser une délégation des aârouchs venue de Kabylie pour faire la jonction.

T’Kout n’est pas la seule ville à se soulever. On en compte aussi de multiples dans l’actualité récente de l’Algérie : Djelfa, Sidi Rached, Bordj Bou Arréridj. Et l’opinion publique n’en est quasiment pas informée. Pour cause, de tels exemples pourraient faire tache d’huile…

Joignons notre voix à celles des Algériennes et Algériens. Dénonçons la répression boutéflikienne ! Et dénonçons ses complices de Chiraquie, ou d’ailleurs, toujours en soif de tunes.

Solidarité avec la population algérienne et avec tous les opprimés de la Terre !

Manuel Sanschaise


1. Dépêche Associated Press du 27 mai 2004.

2. Paru le 24 avril 2004, aux Éditions La Découverte

3. Directeur du quotidien algérien Lle Matin, journal à grand tirage, mais qui parle quand même des pauvres (une fois n’est pas coutume). Actuellement sous contrôle judiciaire en Algérie.

4. Mouvement transpartisan et horizontal, qui exerce une influence plus ou moins forte dans toute l’Algérie. En Kabylie, c’est la population dans son grand ensemble qui coordonne sa lutte au sein du Mouvement des citoyens, toujours maître de la rue depuis le printemps 2001.

5. Lettre envoyée aux instances internationales, CMA, le 17 mai 2004.

6. Le Matin du 26 mai 2004.