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Service public des énergies renouvelables

Pour la convergence !

Le jeudi 3 juin 2004.

Au cours d’une série d’articles signés de Guy Darol puis de Stef@ (Le Monde libertaire 1350, 1355 et 1357 [1]), les lecteurs de notre journal ont pu prendre connaissance d’une problématique nouvelle à propos de la production d’énergie renouvelable. Il s’agissait pour Guy Darol d’un plaidoyer en faveur d’une implantation des champs de production industrielle d’énergie éolienne respectueuse des populations locales. Les exemples cités de « ratages » (surtout en Bretagne) étaient accompagnés d’une dénonciation des méthodes administratives (enquêtes d’utilité, informations incombant aux élus, etc.) et d’une mise en valeur d’une nouvelle filière de bénéfices pour des opérateurs privés, EDF leur rachetant l’énergie produite.

De son côté, Stef@, militant antinucléaire, mettait en avant l’ensemble des qualités (auditives, visuelles, techniques, écologiques, etc.) dont on peut parer les éoliennes. Elles sont incontestablement une partie de la réponse alternative à l’électronucléaire.

Mais la polémique entamée tourna court, sans doute par souci de ne pas lasser les fidèles du Monde Libertaire. Doit-on en rester à un constat qu’il existe des clivages entre antinucléaires et anti-éoliens ?

Il est vrai que le combat des antinucléaires est âpre, et ingrat. J’en sais quelque chose. Non contents d’avoir face à nous le pouvoir de l’argent et celui de l’État, l’autisme relatif de nos contemporains nous pousse parfois à nous appuyer sur des alternatives « concrètes » pour tenter de marquer des points contre l’atome civil et militaire. Ce pragmatisme dans l’effort se trouve maintenant enrayé par de nouveaux acteurs du débat que sont les anti-éoliens. Nous n’imaginions pas que des oppositions au développement énergétique renouvelable puissent exister. Et, pourtant, pourquoi ne pas entendre leurs arguments qui souvent recoupent ceux des opposants à l’atome ? Mais le débat n’est pas si simple. à partir d’une certaine frustration manifestée par des antinucléaires contre l’opposition à l’éolien, et de certaines aberrations entretenues par les anti-éoliens, les positions se durcissent.

Soyons francs : les plaidoyers contre l’éolien sont souvent très ambigus. Ainsi en va-t-il des propos d’un certain Alain Bruguier, responsable d’une fédération d’opposants, Vent de colère. Dans une récente déclaration [2], il affirmait : « En ce qui me concerne, je pense qu’il n’y a pas de procédé alternatif au nucléaire, pour l’instant. […] Sérieusement, le caractère aléatoire de l’éolien n’est pas acceptable. » Ce ne sont pas quelques précautions dans son discours qui masqueront ses intentions, pro-nucléaire et anti-éolien, industriel ou pas. Un autre opposant évoque la masse imposante de matériaux nécessaires à l’érection d’une éolienne (sans préciser s’il est opposé à l’industriel ou à l’individuel), encore un autre évoque le coût… Autant d’éléments à rapprocher avec le caractère colossal de la construction d’une tranche de réacteur nucléaire, et avec le coût énorme de l’énergie électronucléaire quand on y intègre le vrai coût, c’est-à-dire les frais du démantèlement des installations en fin de vie, la gestion des déchets pour des centaines d’années, etc. Une partie de cette opposition semble nourrie d’un individualisme libéral bien compris qui ne se mesure pas en termes de rapports égalitaires et complémentaires entre individu et collectivité. Bref, les mouvements antiéoliens sont traversés d’humeurs pas toujours bien inspirées…

S’associer pour gagner

Pourtant, à y bien regarder, bien des analyses se recoupent, dans les deux camps, chacun avec son vécu. Tout d’abord, le caractère démocratique illusoire des enquêtes d’utilité publique ; l’opacité des décisions prises par des élus qui se montrent parfois expéditifs dans la consultation, attirés qu’ils sont par la manne de la taxe professionnelle ; la dénonciation d’une nouvelle niche de profits engendrés par cette forme de production énergétique et payés par l’État à des opérateurs privés ; le refus de la privatisation du service public ; la nécessité de développer un bouquet énergétique alternatif aux énergies fossiles qui se raréfient, la volonté de permettre aux populations locales de maîtriser la gestion locale des ressources naturelles et énergétiques… Tous ces arguments ne sont pas déclinés d’un seul bloc par les associations anti-éoliennes, il y a des divergences, aussi. Mais sans doute pas plus que sur l’opinion de privatiser ou non EDF-GDF pour les antinucléaires du Réseau sortir du nucléaire, par exemple.

En réalité, à ne pas vouloir communiquer directement, et à s’affronter par articles interposés, dans le Monde Libertaire, notamment, les seuls à tirer bénéfice de cette polémique sont l’État, le lobby nucléaire et le capital. Le premier continue à privatiser le service des énergies, soit en confiant la filière nucléaire au privé soit en achetant de l’énergie éolienne industrielle à des opérateurs privés, donc en ne produisant pas lui même l’énergie, renouvelable ou pas. Le lobby nucléaire français justifie son développement par les oppositions aux énergies alternatives et au retard accumulé par la France en ce domaine. Et que dire du bonheur du capital qui fait son beurre de l’électronucléaire, et du marché émergent de la production d’énergies renouvelables ! Tout cela au détriment de la collectivité, et de la démocratie directe, de l’autogestion énergétique et politique des usagers et des travailleurs de la filière, pour faire court. Triste tableau.

Et si la convergence des luttes, chère aux anarchistes, était la solution à cette situation ? Et si ces deux camps retranchés étaient réconciliés autour d’une charte minimale incluant des revendications communes qui remettraient en cause quelques logiques de domination, propres au capital et à l’État : maintien du service public, développement des énergies alternatives, déconcentration de la production, gestion partagée travailleurs-usagers et délocalisée, économies drastiques énergétiques, sortie du nucléaire, etc.

à ce stade, déjà, il convient bien de lier ces revendications au seul objectif valable pour les anarchistes : l’abolition du capitalisme et du règne de la marchandise. à terme, on ne se bat pas seulement contre le nucléaire, donc pour un développement des énergies renouvelables, dans le gaspillage organisé par le capitalisme. La gabegie énergétique, avec ou sans renouvelable, reste une aberration sociale et écologique qui ne se justifie que par le règne de la marchandise. Nos revendications doivent donc toujours rester dans cet axe, même si nous ne sommes pas, à ce jour, dans le cas d’un rapport de force favorable.

Si cette convergence des luttes et des objectifs devait s’opérer, elle pourrait peut- être trouver des alliés parmi les travailleurs d’EDF-GDF, bien isolés eux aussi dans leur lutte contre la privatisation. Car, là aussi, des convergences sont probables, comme celle du refus du démantèlement du service public, ou de la privatisation de la production. Cette démarche pouvant orienter débats et luttes chez les uns et chez les autres aurait aussi l’immense mérite de faire sortir le mouvement antinucléaire de sa difficulté à engranger des progrès dans ses luttes. Il lui faudrait trouver des alliances avec d’autres pseudo-ennemis irréductibles, pourtant eux aussi inefficaces à contrer des agressions que l’État et le capital réalisent conjointement, encore une fois.

Mais il y a urgence, comme toujours. Pour gagner, il faut remettre en cause des cultures d’affrontements contre des groupes sociaux (travailleurs d’EDF, anti-éoliens, etc.) où la division profite à nos maîtres. L’opposition antinucléaire est souvent structurée localement en France ; l’impulsion peut partir de là. Et les libertaires ont peut-être là une orientation pour des luttes syndicales et écologiques. Face aux dangers environnementaux et sociaux que le nucléaire et les privatisations nous font courir, ce formidable pari de la convergence des luttes écologiques et ouvrières est-il vraiment hors de portée ?

Daniel


[1Numéroté par erreur 1356 (29 avril 2004).

[2Le Midi libre du 18 avril 2004