Accueil > Archives > 2004 (nº 1342 à 1380) > 1365 (24 juin-7 juillet 2004) > [L’Illusion du démocratisme révolutionnaire en Amérique latine]

L’Illusion du démocratisme révolutionnaire en Amérique latine

Le jeudi 24 juin 2004.

Avec l’élection de Lula au Brésil et de Chavez au Venezuela, les mouvements sociaux et libertaires se retrouvent face à une situation paradoxale. Il y a certainement matière à réflexion pour notre propre situation.

Aperçu et mise au point au Venezuela : chavisme et anarchisme

Les opposants au régime de Chavez (la droite, les patrons, etc.) se positionnent dans une logique de changement de personne. Les partisans de Chavez le défendent.

D’un côté, la Coordination démocratique aiguise ses armes contre le « castro-communisme » et pour la liberté. De l’autre, les « chavistes » (partisans de Chavez) évoquent la menace de « coup d’état », de « fascisme » car « Chavez est le peuple ».

Les anarchistes, eux, rappellent qu’il est important de mettre en place d’autres formes d’organisation sociale qui amèneront à la disparition de ces deux blocs.

La capacité de réalisation doit être redonnée au peuple car, depuis un siècle, toutes les tentatives de transformation à travers la structure étatique se sont révélées désastreuses. Croire qu’il est possible de réaliser des changements révolutionnaires à travers l’état, c’est évacuer sa propre logique. L’état est né en tant que forme de réalisation du capitalisme. Un état peut-il être anticapitaliste, socialiste, antilibéral ?

Un gouvernement de gauche reste inefficace car il subordonne son action aux visées électorales, et même ses groupes les plus radicaux jouent un rôle de bouée d’oxygène face aux dégâts de la démocratie, tout en restant dans le cadre électoral.

La réalité vénézuélienne en est la preuve : le gouvernement limite les mouvements sociaux et les luttes afin de les concilier avec les demandes du capitalisme global.

Certains s’exaltent de la reconnaissance par le gouvernement de l’existence de 80 % de personnes pauvres, de leurs besoins et de leurs revendications en tant que citoyens, mais ce sont les gens qui sortiront dans la rue pour faire valoir leurs droits. Car quels sont les changements effectués durant ces années de gouvernement ? Mis à part le discours, quelles sont les améliorations ?

La réalité est de 20 % (au moins) de chômage et, dans cette population économiquement active, 54 % des personnes sont dans l’économie informelle et se débrouillent comme elles peuvent.

Les anarchistes fondent leur rejet du pouvoir en place sur l’analyse qu’ils font du chavisme qui a des pratiques autoritaires, militaristes, corrompues, démagogiques et de soumission aux pouvoirs transnationaux qui invalident le discours apparemment de gauche et antiglobalisation de la « révolution bolivarienne ».

Les affrontements qui existent entre les autoritaires qui gouvernent et les autoritaires de l’opposition sont plus en lien avec la conquête du pouvoir et des avantages personnels qu’entre différents projets sociaux. Nous devons mettre en avant deux concepts forts : autogestion et autonomie.

Le gouvernement entretient la menace du coup d’état pour diriger l’attention ailleurs et, lorsque après le 11 avril 2002 [1], les secteurs les plus radicaux du chavisme ont voulu pousser plus loin la révolution, le sommet a stoppé court ces volontés. La base s’autolimite pour ne pas risquer de donner des arguments à l’opposition.

Par exemple, dans les universités, les partisans de Chavez ont opté pour des actions de rue en soutien au gouvernement tout en délaissant l’université au profit de l’opposition. Du coup, ils ont perdu un espace où ils étaient implantés. Les bases chavistes n’ont pas pris possession des usines car il n’y a pas d’organisation syndicale qui le défende. Les ouvriers ne comprennent pas la portée de cette revendication qui était plus un mot d’ordre, sous forme de menace, de Chavez qu’une réelle volonté politique. D’ailleurs, il a en même temps déclaré « l’inviolabilité de la propriété privée ».

Il y a cependant des personnes pleines de bonnes intentions dans les cercles bolivariens. On a souvent traité les anarchistes de contre-révolutionnaires et on a vu apparaître des « anarcho-chavistes », ce qui est une imposture.

Par ailleurs, les anarchistes du Venezuela revendiquent pour l’objection de conscience, le refus de l’instruction militaire dans les lycées, etc.

Anarchisme et illusion démocratique

Même si on peut défendre le moindre mal, (la démocratie contre le fascisme), la situation en Amérique latine peut nous interroger.

Comment se fait-il qu’un continent en pleine crise économique puisse laisser les « communistes révolutionnaires » arriver au pouvoir ? Certes, nous ne sommes plus au temps des soutiens explicites aux contre-révolutionnaires de droite et d’extrême droite, aux généraux assassins, mais tout de même…

Ne pourrions-nous pas y voir une « largesse » du capitalisme mondial (et états-uniens, en particulier) de laisser ces pays sortir de la crise en plaçant des gouvernements de gauche et évitant par là même des explosions révolutionnaires populaires ? N’est-ce pas un calcul machiavélique en attendant de reprendre la main, par les voies électorales, une fois la situation stabilisée ? Ne voit-on pas déjà les dirigeants révolutionnaires s’arranger du libéralisme et de ses réformes ?

Ces partis au pouvoir représentent (à plus grande échelle) notre extrême gauche ; et si les illusions électoralistes semblent bien loin (échec des listes LO-LCR), on peut se demander quel est leur rôle dans une société de plus en plus inégalitaire dont les victimes rejettent le système de représentation électoral. Ne servent-ils pas de caution démocratique à ce système ?

L’illusion du démocratisme révolutionnaire est battue en brèche par l’expérience latino-américaine. Les altermondialistes en sont arrivés à se présenter aux élections pour gérer ce monde capitaliste. Aucune voix (voie) anticapitaliste n’est mise en avant, sauf chez les anarchistes. à partir de là, la solution est simple : soit nos idées et nos pratiques seront reprises, soit nous aurons à supporter ce monde encore longtemps (au moins le temps de sa survie écologique).

Fred, groupe Proudhon FA, Besançon

Sources : comité de Relations anarchistes (Venezuela), La Riposte, El Libertario, Le Monde diplomatique.


[1Le coup d’État manqué contre Hugo Chavez, au Venezuela, qui a eu lieu entre le 12 et le 14 avril, a été le point culminant d’une série de grèves contre-révolutionnaires organisées par les cadres de la compagnie nationale pétrolière (PDVSA), en alliance avec les dirigeants syndicaux de droite de la CTV (Confédération des travailleurs vénézuéliens) et la fédération patronale. Après le choc initial de la prétendue démission du président, le peuple est descendu dans la rue pour exiger son retour au pouvoir. Au même moment, des unités de l’armée fidèles à Chavez se rebellaient. Les organisateurs du coup d’État ont perdu confiance et, face à la possibilité d’une guerre civile, ont cédé et libéré Chavez. Celui-ci est rentré au palais présidentiel, triomphalement, le 14 avril.