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60 millions d’amis

« Conversation avec mon chien sur la France et les Français », de Joan-Lluís Lluís
Le jeudi 24 juin 2004.

Un petit livre, du genre Le Racisme expliqué à ma fille, mais pas si bien pensant… L’auteur est catalan et interpelle les Français. La France n’est pas le pays que l’on nous dit ; il n’est pas non plus celui que croient la plupart des Français… Pour nous raconter tout ça, et pour se mettre à la hauteur, Joan-Lluís Lluís parle avec son chien. Il s’agit donc d’un réquisitoire.

Bien sûr, les Catalans, comme d’autres, ont appris à l’école que leurs ancêtres étaient gaulois. Ils ont été réprimés par les instituteurs pour ne plus parler leur langue. Un travail de répression bien organisé par l’État, avec toutes les conséquences que cela peut avoir concernant le nationalisme, la langue servant à unifier, normaliser, et qu’avaient dénoncé en leur temps les anarchistes : le nationalisme mène à la guerre, entre autres raisons parce qu’il normalise la chair à canon.

Joan-Lluís Lluís écrit là un excellent résumé de l’histoire de la France en guerre — Seconde Guerre mondiale, guerres coloniales — dans lequel il montre toute la fierté des Français pour une histoire écrite de manière à pouvoir en être fier, mais pourtant pas si glorieuse en vérité, voire même franchement pourrie. Depuis la collaboration massive des années quarante jusqu’à la grotte d’Ouvéa où l’on exécuta les blessés sans autre procès il n’y a pas si longtemps… La France continue cependant à donner des leçons de démocratie. Mais cette démocratie qui se veut une référence pour le reste du monde impose son modèle au moyen d’une force qui n’a rien de démocratique.

Autre point intéressant, Joan-Lluís Lluís montre comment les Français peuvent finalement être fiers de ne parler qu’une seule langue : tout simplement parce qu’ils sont les meilleurs… et qu’en plus l’anglais est un ennemi. Un peu comme si chacun était un supporter, mais il s’agit plutôt pour les Français de se consoler de leur médiocrité. On serait tenté d’ajouter qu’ils ne l’ont pas forcément cherché, mais ils ont tout de même voté pour… enfin, ils ont voté ! Toujours est-il qu’on reconnaît là un trait de caractère plutôt bien partagé…

Intéressante aussi la tentative d’expliquer la république par son caractère religieux. Darien, dans La Belle France avait déjà vu ça il y a un siècle. Bien plus tôt encore, et brillamment, Bakounine avait écrit Dieu et l’État et cela ne concernait pas que la France. Joan-Lluís Lluís paraît plus confus, plus limité dans son élan, sur ses désirs en tant que Catalan aujourd’hui. Sa référence à la Corse est loin d’être convaincante, pour ne pas dire douteuse. Que veut-il quand il réclame une république « diverse et divisible » plutôt que « une et indivisible » ? Le lecteur reste sur sa faim.

Il reste un livre qui, s’il ne convainct pas les militants anarchistes, qui le sont déjà pour ce qui est de l’anticolonialisme et qui ne le seront jamais quant à l’indépendantisme, a néanmoins son utilité, ne serait-ce que par sa vision de l’histoire de la France. En quelque sorte, une idée de cadeau pour un parent réac…

Le Furet


Joan-Lluís Lluís, Conversation avec mon chien sur la France et les Français, traduit du catalan par Cathy Ytak. Éditions Cherche midi.