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Le Pouvoir est au bout du neurone

Le jeudi 17 juin 2004.

« Vous avez beau ne pas vouloir vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous » a écrit Montalembert, cité p. 84 dans Le Trésor des méchancetés enfin réédité par l’ACL (Atelier de création libertaire). La technologie, c’est pareil, elle s’occupe de vous que cela vous plaise ou non. La presse se repasse de plaisantes fables concernant les avancées des neuroprothèses. Le nom est clair, il s’agit d’équipements à diriger par la seule pensée. Rien d’impossible, puisque la pensée se signale par une impulsion électrochimique échangée de neurone à neurone. Tout comme les ordinateurs qui fonctionnent par des impulsions électroniques échangées d’élément en élément.

Donc, en captant ces impulsions électrochimiques grâce à des électrodes greffées, jointes à des puces également greffées, on pourra : 1. les transformer en impulsions électroniques utilisables par l’ensemble de la galaxie électronico-informatique ; 2. utiliser ces impulsions pour commander prothèses et appareils implantés dans le corps humain. On a récemment obtenu qu’un singe déplace un point sur un écran sans se servir de ses pattes (aux dernières nouvelles, son compte en banque déborde de bananes).

Qui oserait s’élever contre les premières applications que l’on imagine ? Terminées les paralysies ! D’un coup de cerveau, le quadriplégique lance sa chaise roulante, manœuvre son bras artificiel, tape sur son clavier d’ordinateur. D’un coup de cerveau, le chirurgien âgé dont la main tremble retrouve sûreté et précision. D’un coup de cerveau, le muet de naissance se lance dans un discours plus éloquent encore que ceux de Bush promettant la mort à l’ennemi et le hamburger à l’ami. Bien sûr, l’argent, cette métropole qui a nos imaginations pour colonies, a vu le lien avec les avancées de la miniaturisation. Car on s’approche des paiements sans intervention humaine : la minuscule puce électronique dans le produit convoité sera identifiée par les scanners des magasins, qui débiteront automatiquement les comptes, et pour les achats un peu complexes, un coup de cerveau, et hop ! voilà le contrat de retraite privée dont le Medef jure qu’il nous irait si bien. Quel lien entre la minuscule puce électronique du produit et votre compte ? Mais l’électronique que l’on vous aura greffée dans le crâne ou sous l’aisselle, voyons ! Les senseurs, scanners, transmetteurs, capteurs sentiront, scanneront, transmettront et capteront vos puces à vous. Plus jamais de portefeuille encombrant, plus jamais de pickpockets, plus jamais de regrets d’avoir manqué un achat parce que l’on a oublié son porte-monnaie. En outre, on ne pourra plus se perdre ; car d’autres avancées encore, celles de la cartographie, font qu’il n’y a plus rien de caché sur la planète. Tout ce qui est géographiquement répertorié se retrouve sur Internet : en un coup de cerveau, on saura tout des plans d’accès des centres commerciaux. Remercions le progrès.

Et blâmons sans perdre une seconde les grincheux qui lisent les mauvais auteurs : Ivan Illich, ou Jacques Ellul et Paul Virilio (édités eux aussi par l’ACL), ces prophètes de malheur qui prétendent qu’un outil n’a jamais un seul usage, qu’on peut tout détourner, que les choix techniques ont des conséquences sociales, que, de l’atome à la télévision en passant par l’automobile et le Zyklon B, la technologie a prouvé qu’elle sort de la boîte de Pandore. En effet, les grincheux murmurent qu’avec une puce dans le cervelet, on ne pourra plus descendre dans le métro sans recevoir dans la tête les publicités du jour ; vous souvenez-vous, en janvier de cette année dans le métro, des venimeux petits haut-parleurs qui crachaient un jingle dès que vous passiez devant ? Avec une puce dans nos cerveaux, les jingles n’auront plus à craindre les pointes de parapluie qui firent tant de mal aux haut-parleurs sans défense. Avec une puce dans le cerveau, et le monde entier équipé pour ne servir que les empucés, on ne pourra plus fuir nulle part sans laisser une trace électronique ni sans souffrir du bannissement universel, si par exemple on doit de l’argent, ou si on appartient à un syndicat malpoli. Et les employeurs n’emploieront pas de non-empucés, car ils voudront savoir si leurs empucés malades sont bien chez eux à gémir et non sur la Côte à jouir.

Nulles prisons ; il suffira d’équiper les rues pour que les condamnés qui s’aventureraient hors de chez eux reçoivent quelques impulsions assez douloureuses pour assurer la paix aux bons citoyens. Quant à l’amateurisme des tortionnaires d’Abu Ghraib, il sera oublié. Activons la bonne électrode, et le silencieux obstiné souffrira… de la soif ? de la faim ? de vertiges ? de cauchemars ? des mêmes impulsions que l’on aura soigneusement décodées chez les toxicomanes en manque ?

Messieurs les ingénieurs, merci !

Nestor Potkine, Puce numéro 7665 5433 6577 2 B