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Face à un mutualité capitalisée

Quel avenir pour la Sécurité sociale ?

la contre réforme de la sécurité sociale et de l’assurance-maladie
Le jeudi 10 juin 2004.

La contre-réforme de la Sécurité sociale et de l’assurance-maladie met à l’ordre du jour la nécessité d’avoir recours aux assurances sociales de type mutuelle d’assurance à but lucratif auxquelles on peut opposer les sociétés mutualistes ou les mutuelles ouvrières à vocation sociale et humanitaire.

La « réforme » de l’assurance-maladie, que le matraquage médiatique nous présente comme une hausse « incontrôlable » et une « explosion » des dépenses de santé, ne vise pas à rétablir la balance comptable, mais cache en réalité un objectif purement marchand de « faire du fric ». En effet, même si la tendance réelle à la hausse des dépenses est inversée, elle ne suffira pas pour créer suffisamment de profit. Pour cela, le but est de faire passer le plus possible cette assurance sociale dans le secteur des assurances privées comme le préconisent le FMI et surtout l’OMC dans le cadre de la libéralisation des services publics engagée depuis les accords de Marrakech en 1994.

En fait, on retrouve les mêmes recettes que pour les retraites :

  • Faire baisser le salaire socialisé, c’est-à-dire réduire le financement de la protection sociale par les cotisations sociales ;
  • Dégager parallèlement de la place pour un financement par l’épargne, donc par le capital financier.

D’où des baisses, l’une radicale sur les retraites par répartition, l’autre programmée sur le financement des dépenses de santé par la Sécurité sociale toujours dans le but d’ouvrir le plus largement possible ce champ sur la couverture santé privée, gérée par des organismes qui font de plus en plus partie intégrante du marché financier capitaliste. Ces organismes sont, bien sûr, « les sociétés d’assurances » mais aussi les institutions de prévoyance au titre ix du code de la Sécurité sociale et, pour la Mutualité, les mutuelles d’assurance.

Face à ces attaques décisives des acquis sociaux des travailleurs, la Mutualité doit jouer un rôle de vecteur idéologique et, pour bien le comprendre, il est nécessaire de faire son état des lieux actuel. En espérant faire percevoir aux travailleurs la possibilité d’une autre solution et permettre aux militants syndicaux de se saisir de ce dossier dans le cadre des affrontements à venir.

Dès la fin du xixe siècle, le syndicalisme se méfiait d’un mouvement mutualiste qui, dans son ensemble, s’intégrait à la politique officielle et était protégé par l’État. Un délégué lors du Congrès de Paris en 1903 déclarait alors :

« La Mutualité transforme l’action syndicale en quelque chose d’innommable, à la solde d’un maître, gouvernement ou patron. »

Malgré tout, certains syndicats, soucieux de la protection sociale des travailleurs, créent entre les deux guerres, et en particulier lors du Front populaire, des sociétés mutuellistes dans les entreprises. Aujourd’hui, le mouvement syndical est plus ou moins bien implanté dans les mutuelles avec ses places fortes dans les administrations étatiques et les entreprises publiques (Éducation nationale avec la MGEN, PTT, SNCF, EDF, etc.). Il est certain que les militants syndicalistes, les syndicalistes révolutionnaires et les anarchosyndicalistes devront se battre dans leurs mutuelles contre les directions qui sous la pression de la contre-révolution conservatrice du gouvernement de droite vont devoir négocier, louvoyer dans tous les sens, en mettant en avant les principes bien malmenés d’une Mutualité s’opposant aux assurances, tenter de faire avaler des couleuvres en désignant comme « ennemi » les organismes à but lucratif et déclarer au final que dans la situation de gravité actuelle, il s’agit grâce à la « réforme » gouvernementale de « sauver la Sécu et la Mutu », ces deux organismes, frères indissociables !

Il semble, en effet, que le scénario soit déjà écrit et, pour lutter contre cela, il faudra imposé une rupture radicale avec cette gabegie et proposer un projet alternatif sur lequel il nous faudra réfléchir le plus rapidement possible.

Un point synthétique sur les dépenses de santé

Les dépenses de santé se situent actuellement en France à 9,5 % du PIB (produit intérieur brut), bien loin derrière des pays comme la Suisse, l’Allemagne ou les États-Unis qui pourtant ont comme règle un système d’assurance-maladie privé. Nos régimes obligatoires, régime général de la Sécurité sociale, régime agricole et la Canam, couvrent plus de 95 % de la population. Les régimes complémentaires sont très nombreux et, en 2002, il y avait 1 500 opérateurs de droit privé, c’est-à-dire 1 300 mutuelles, 51 institutions de prévoyance (IP), qui gèrent aussi les retraites complémentaires dans le privé, et 118 entreprises d’assurance — les sociétés d’assurance mutuelle — régies par le Code des assurances. Les cotisations ont représenté 11,3 milliards pour la Mutualité, 4 milliards pour les assurances privées et 7 milliards pour les IP. L’ensemble de ces organismes est soumis aux mêmes règles de concurrence, et le mouvement de concentration déjà engagé, processus typiquement capitaliste, devrait s’accroître et s’accélérer.

Dans la prise en charge des dépenses de santé en 2001, la part prise par les mutuelles fut de 7,5 %, celle des sociétés d’assurance de 2,4 % et celle des IP de 2,3 %. Si la part de la Sécurité sociale a diminué de 0,5 %, celle des organismes complémentaires a augmenté au même moment de 2 %, soit 1,3 pour les mutuelles. Dans le financement de la consommation médicale totale, on retiendra que la part de la Sécurité sociale, c’est-à-dire le financement par salaire socialisé, est passée de 44 % en 1950 à 72 % en 1991. C’est le mouvement inverse que la bourgeoisie entrepreneuriale et patronale et ses alliés institutionnels nationaux et internationaux veulent mettre en place.

Observation critique des principaux aspects de la Mutualité actuelle

Tout d’abord, on rappellera qu’a son origine, la Mutualité s’est construite sur trois principes fondamentaux, celui de la démocratie avec « un assuré, une voix », celui de « l’égalité des mutualistes » et celui de la solidarité par la « mutualisation des risques ». Ce qui signifiait alors l’absence de différence aussi bien en fonction de l’âge, de la situation familiale, de l’état de santé, et chaque adhérent devait bénéficier d’une couverture identique.

Camarades, à présent, ouvrons les yeux et comparons ces principes fondateurs avec la réalité présente des pratiques de nos mutuelles !

L’application en 2001 de la directive européenne a aggravé le mouvement, déjà bien entamé, de mise en concurrence des organismes complémentaires et, aujourd’hui, la situation générale est celle de pratiques tarifaires. Prenons pour les mutuelles deux exemples importants :

 La cotisation en fonction de l’âge est une pratique qui est devenue fréquente, bien qu’elle soit purement assurantielle. Les jeunes adhérents cotisent moins car leur coût en remboursement est bien inférieur, et qu’il faut, dans la logique concurrentielle, saisir et conserver leur « clientèle ». Certains de nos bureaucrates mutualistes cherchent à justifier celle-ci, en avançant l’argumentation spécieuse d’une solidarité mutualiste pour des jeunes qui gagneraient moins, ce qui n’est pas forcément vrai car des jeunes cadres gagnent bien plus que de vieilles ouvrières ou de vieux ouvriers ou employé.e.s. Ainsi, les cotisations augmentent en fonction de l’âge et débordent les retraites dont les revenus diminuent !

Le salaire socialisé, base du principe de socialisation, qui correspond à la cotisation comme pourcentage unique du salaire, disparaît de plus en plus des tarifications des mutuelles. Étant donné que les jeunes sont statistiquement moins malades, c’est comme si on leur justifiait une cotisation moindre à la Sécurité sociale. On est ici dans la logique du « contributif », c’est-à-dire cotiser en fonction de ce que l’on « coûtera », et percevoir en fonction de ce que l’on « a cotisé ». On est loin de la socialisation des salaires. Cette pratique de cotisation en rapport avec l’âge se retrouve par exemple chez nos camarades cheminots, à la mutuelle de l’ANPE gérée par le SNU (FSU), à la mutuelle du ministère de l’équipement gérée par FO et la CGT où, historiquement, la cotisation était un pourcentage du brut, et dans bien d’autres.

Camarades, observez et étudiez bien vos mutuelles ! L’une des conséquences, c’est que les retraités se voient appliquer une cotisation plus forte que les actifs alors que leurs ressources ont diminué par rapport à leur salaire d’activité. Nos mutuelles font de « la sélection des risques » comme de vulgaires assurances et, dès à présent, la liste de celles qui, gérées par des syndicats, tournent le dos au principe de base de la solidarité de classe est bien longue, beaucoup trop longue.

 Le nombre des contrats et des forfaits de prise en charge se multiplie en fonction bien entendu de la cotisation, et l’on recherche les « besoins » du consommateur et à attirer et à garder dans une logique marchande « la clientèle » au sein d’une même mutuelle. Par exemple, comme la convention collective oblige à une couverture complémentaire, on laissera les salariés « choisir », parmi les trois formules proposées par la mutuelle mais imposées par le patronat ou l’administration, en fonction du niveau de son salaire. Que devient, ici, la solidarité de classe ?

Il est, à présent, important de comprendre les raisons qui ont conduit les mutuelles à ce type de pratiques, qui bien qu’elles ne soient par toujours récentes, se sont propagées en se généralisant pour certaines d’entre elles, dans le cadre de plus en plus dur de la concurrence officielle de ces dernières années. Devant le chantage de la logique financière, certains militants ont voté en trahissant les principes mêmes de la Mutualité.

Le cœur-même du vrai problème de la Mutualité, c’est que les directions des plus grosses mutuelles, des fédérations et unions mutualistes, déjà contaminées par la présence en leur sein du secteur des mutuelles d’assurance, n’ont absolument pas lutté contre la mise en place de la concurrence qui est le principe sur lequel s’appuie la théorie du marché et du capitalisme libéral.

Cette réalité est le fait incontournable sur lequel tout militant syndicaliste, libertaire, syndicaliste révolutionnaire ou anarcho-syndicaliste ou/et qui défend « la lutte des classe » doit mettre au point sa position au sein des mutuelles.

La Mutualité serait divisée entre ceux qui acceptent les contre-réformes libérales et ceux qui y seraient opposés mais qui, malheureusement, pour le moment ne se font pas beaucoup entendre.

À la suite des deux directives européennes de 1992 sur la concurrence des organisations de prestations financières à des individus, un nouveau code de la Mutualité a été mis en place en 2001 et, désormais, le marché est libre entre les mutuelles, les sociétés d’assurances et les institutions de prévoyance.

La Communauté européenne du « fric », sous la pression des institutions économiques internationales — FMI, OMC, etc. — à la solde de la globalisation capitaliste étatsunienne a fait son travail de sape. Alors, en France, les dirigeants de nos mutuelles se mobilisent pour maintenir la fiction de « la Mutualité française » ou « à la française » qui n’aurait soit-disant rien à voir et serait opposée à l’assurance. Ce discours médiatisé nous cache encore une fois la réalité, et les positions syndicales restent malheureusement aveugles et contribuent même parfois à maintenir l’illusion en empêchant les travailleurs de connaître la vérité. La plupart du temps, dans leurs tracts, les syndicats repoussent l’entrée des compagnies d’assurance à but lucratif ainsi que les recours aux techniques assurantielles.

Souvent, nos camarades font comme si ces assurances à but lucratif n’étaient pas déjà présentes dans la Mutualité et, par là, ils trompent les travailleurs.

En effet, on a vu que de plus en plus les mutuelles rejoignent les pratiques et la gestion financière des assurances, car le cadre concurrentiel est sans pitié et nous impose une orientation radicale en retrouvant les bases de la fondation de la Sécurité sociale.

La réalité, c’est que cette gestion financière des mutuelles, en s’opposant à la répartition, construit de plus en plus une capitalisation de type rente ou épargne. Les provisions des mutuelles deviennent des placements financiers qui génèrent des rendements favorisant à conforter les prestations dues.

En effet, si les mutuelles sont des organismes privés à but non lucratif à l’inverse des assurances qui rémunèrent des actionnaires, du moment qu’elles acceptent la concurrence, elles deviennent inéluctablement des organismes de placement financiers.

Et, se moquant des affectations multiples de nos dirigeants mutualistes, la Cour de justice de la communauté européenne (CJCE), lors de son arrêt de septembre 2000, a pris crûment, pour définir un régime de nature économique, les critères suivants : affiliation facultative, application du principe de capitalisation, prestation dépendant uniquement du montant versé par les bénéficiaires et des résultats financiers des investissements effectués. Avec, en plus, « ni la poursuite d’une finalité à caractère social, ni l’absence de but lucratif, ni les exigences de solidarité, ni les autres règles relatives notamment aux restrictions auxquelles l’organisme gestionnaire est soumis dans la réalisation de ses investissements n’enlèvent à l’activité exercée par un tel organisme gestionnaire sa nature économique. » Il est clair que la justice européenne est une justice de classe à la solde de l’oligarchie entrepreneuriale et patronale capitaliste internationale. La Mutualité européenne est bien donc devenue un organisme financier et le mutualisme une marchandise comme une autre !

Michel Sahuc