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Pour que l’égalité des droits inscrite dans la loi soit une égalité pratiquée dans la vie

Le jeudi 10 avril 1997.

Voici le texte de la plate-forme adoptée lors des Assises nationales pour les droits des femmes. Si certaines camarades y ont participé, d’autres avaient au contraire refusé de s’y rendre afin de ne pas se compromettre dans une grand-messe à vocation politicienne. Nous laisserons aux lecteurs — et lectrices — le soin de voir qui a fait le bon choix.



Pendant plus d’un an, un Collectif national comprenant 166 associations, syndicats, partis politiques et collectifs locaux a recueilli les témoignages de plusieurs milliers de femmes et préparé en commission des Assises nationales pour les droits des femmes. La lutte pour les droits des femmes set inscrite dans le mouvement social.

Les Assises ont permis de mesurer l’écart qui se creuse entre les conditions de vie des femmes et leurs aspirations, de constater une régression dans l’application de droits qui semblaient acquis ainsi que la persistance d’inégalités séculaires.

Les femmes sont les premières concernées par le travail à temps partiel imposé, le chômage et la précarité qui minent les bases économiques de leur indépendance.

Leurs droits récents à disposer de leurs corps et à décider de leur maternité sont remis en cause, tant par les réductions des dépenses de santé que par des propagandes obscurantistes et une politique nataliste et familialiste.

Bien qu’elles aient dénoncé et rendu plus visibles les violences dont elles sont l’objet, celles-ci perdurent.

Le principe d’égalité est reconnu par la loi, mais dans la pratique de la vie privée, sociale et politique, il en va tout autrement. Leur exclusion de la sphère publique et politique demeure une injustice criante.

La France n’applique pas les engagements qu’elle a contractés lors de la Conférence mondiale sur les femmes à Pékin.

Au Nord comme au Sud, les femmes refusent la mainmise sur leurs conditions de vie et développent des actions de résistance et de solidarité.

Par son refus des retours en arrière, par sa détermination à faire de l’égalité une réalité, la lutte pour les droits des femmes est un vecteur essentiel de la démocratie. Or, celle-ci est non seulement en recul, mais menacée dans son existence même. Le chômage augmente, la précarité s’accroît et le Front national avance dans les urnes et dans les têtes.

C’est pourquoi, les organisations signataires partie prenante de ces Assises demandent l’application des lois existantes en faveur de l’égalité et du respect des droits des femmes et mettront tout en œuvre pour obtenir dans l’immédiat satisfaction sur les points qui suivent.

Droit au travail

La reconnaissance du droit au travail des femmes constitue le point central de nos revendications, ce qui nécessite de s’opposer aux plans de licenciement.

Pour le droit des femmes à un emploi à plein temps, qualifié et valorisant qui garantisse leur autonomie financière :

Réduction massive et immédiate du temps de travail à 32 heures pour toute et tous (sans réduction de salaire, sans intensification du travail et sans contrepartie en terme de "flexibilité", avec embauches compensatoires).

Ceci implique la suppression de mesures qui concernent particulièrement les femmes.

  • travail à temps partiel contraint ;
  • lois sur le temps partiel consentant des avantages aux entreprises pour inciter au temps partiel ;
  • loi quinquennale, loi Robien qui aggrave la flexibilité.

Mais aussi :

  • ransformation des contrats précaires en CDI à temps plein ;
  • respect du Droit du travail ;
  • mise en œuvre effective de la loi sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, avec obligation de résultats, en matière d’accès aux postes, de formation continue et de promotion, et amélioration de cette loi notamment pour empêcher les discriminations sexistes, salariales à l’embauche :
  • progression des salaires féminins avec notamment élévation du SMIC et des bas salaires ;
  • pour le droit des filles d’accéder à toutes les filières de formation débouchant sur un emploi qualifié ;
  • partage égalitaire des tâches domestiques et familiales, exigences qui sera portée par une campagne spécifique ;
  • création d’un service public national d’accueil pour la petite enfance, développement des écoles maternelles dès deux ans, ouverts à toutes, chômeuses, précaires et étudiantes comprises, ainsi que de nouveaux équipements collectifs.

Une réelle égalité des femmes face à l’emploi leur permettra de ne pas quitter le marché du travail pour des incitations financières telles que l’Allocation parentale d’éducation. En effet, la précarité ne leur laisse guère le choix.

Droit à la dignité

Pour lutter contre la déchirure sociale et la précarité :

  • Structure d’accueil de qualité pour les enfants handicapés ;
  • Maintien et revalorisation de l’Allocation de parent isolé dont l’octroi doit rester indépendant du RMI ;
  • Maintien et revalorisation des allocations familiales du premier au dernier enfant, de l’allocation logement et de rentrée scolaire ;
  • Égalité des prestations familiales entre la métropole et les DOM-TOM ;
  • Revenu minimum garanti de 18 ans jusqu’au premier emploi ;
  • création d’un recours à la faillite civile avec apurement de toutes les dettes, y compris les dettes fiscales ;
  • priorité au relogement des femmes ayant a charge des enfants ou victimes de violences ;
  • interdiction du fichier des personnes ayant au moins trois mois de loyer de retard ;
  • baisse de la TVA sur les produits et services de première nécessité avec interdiction de coupure d’accès aux réseaux publics (eau, gaz, électricité, téléphone…) ;
  • augmentation du nombre des structures publiques de proximité et accès à l’aide médicale gratuite facilitée ;
  • suppression du forfait hospitalier ;
  • accès de tous les chômeurs, précaires, aux prestations sociales.

Droit à la citoyenneté pleine et entière

Les femmes ne sont toujours pas considérées comme des citoyennes à part entière, ce qui favorise et renforce les autres atteintes à la démocratie. Le défense de la citoyenneté politique et sociale passe pour elles par la laïcité de l’État et de l’école car elle permet la liberté de conscience, la tolérance, l’égalité, la solidarité, la justice sociale et de lutte contre le sexisme, le racisme et toute forme d’exclusion. Par son projet d’émancipation, elle relie l’individu à un projet collectif. Nous luttons contre tous les intégrismes et soutenons les luttes des femmes qui en sont victimes.

  • Création d’un véritable Ministère des droits des femmes avec mise en place de plans d’égalité dans tous les domaines et à tous les niveaux, dans les entreprises, les administrations, les établissements scolaires.
  • Création d’un organisme de recours public contre les discriminations.
  • Subventions pour les associations qui luttent pour les droits des femmes.

Nous portons l’exigence de parité qui s’exprime dans la société. La parité est un des moyens de construction d’une réelle égalité. La question de mesures volontariste (loi, quotas, règles de fonctionnement, selon le type d’instance) est donc posée. Nous rejetons la proposition scandaleuse d’A. Juppé. Nous réaffirmons que l’égalité s’établira par la construction d’un rapport de forces dans nos luttes.

  • Promotion d’une représentation égalitaire de femmes et d’hommes dans les fonctions élues, à la direction des partis et dans toutes les instances décisionnelles ;
  • Interdiction du cumul des mandats et limitation de leur renouvellement ;
  • généralisation du scrutin de liste à la proportionnelle à toutes les élections avec alternance homme-femme ;
  • adoption d’un statut de l’élu (e) et de mesures publiques pour assurer leur mandat et faciliter le retour à la vie professionnelle ;
  • accès des femmes aux directions des partis, des syndicats et des associations.

Pour une citoyenneté ouverte et plurielle :

  • abrogation des lois Pasqua et Debré et retour au droit du sol ;
  • droit de vote aux immigré (e) s aux élections locales.

Droits de la personne

Pour mieux lutter contre les violences :

  • application stricte de toutes les lois existant sur les violences à l’encontre des femmes et des enfants, y compris des handicapé (e) s ;
  • application de la procédure pénale de façon identique dans tous les tribunaux et pour toutes les femmes et les enfants, et interdiction de la multiplication des actes qui tendent à mettre en doute leur parole : enquête de moralité, expertise psychiatrique, confrontations multiples, reconstitution des faits :
  • suppression du droit de garde et de visite pour le parent auteur de maltraitances et/ou de violences sexuelles. Dans ce cadre là, arrêt des poursuites contre les femmes pour non présentation d’enfant. Droit pour les associations militant contre les violences à se substituer aux femmes, à leur demande, pour déposer plainte, comme les syndicats peuvent déjà le faire dans les procédures pour harcèlement sexuel ;
  • loi permettant de poursuivre un collègue en cas de harcèlement sexuel ;
  • formation obligatoire de tous les personnels susceptibles d’intervenir en cas de violences ;
  • interdiction du recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales, harcèlement sexuel ou maltraitance ;
  • droit d’asile politique pour les femmes persécutées en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou victimes de violences sexistes ;
  • concernant la prostitution, application de la convention de l’ONU de 1949 ratifiée par la France en 1960 notamment par la mise en place de services spécialisés publics dans chaque département.

Pour l’autonomie des femmes dans la vie publique comme dans la vie privée :

  • réforme des noms et des appellations des femmes ;
  • statut autonome pour les femmes immigrées ;
  • abrogation des conventions bilatérales défavorables aux femmes migrantes, signature d’accord bilatéraux protecteurs des droits des femmes alignés sur les principes fondamentaux d’égalité entre les personnes et les sexes ;
  • accès égal aux prestations sociales.

Pour le droit de choisir sa sexualité, son orientation sexuelle et pour lutter contre les représentation normatives des rôles sociaux de sexe :

  • égalité de traitement pour tous les couples hétérosexuels et homosexuels, par la création d’un Contrat d’union sociale ;
  • développement d’une éducation non sexiste et non normative dès la petite enfance, dans les programmes, les manuels, les pratiques pédagogiques, et formation des responsables enseignants, associations des parents d’élèves, travailleurs sociaux, médecins scolaires et personnel médical ;
  • lutte contre toutes les discriminations, racistes, sexistes, homophobes.

Droit de choisir et droit à la santé

Pour le droit de choisir ou refuser la maternité :

  • octroi de l’allocation familiale dès le premier enfant et refus des mesures natalistes ;
  • droit à l’avortement : la femme qui en fait la demande, quel que soit son âge, son origine doit disposer des moyens d’interrompre sa grossesse quand elle l’a choisi, avec le choix de la méthode, RU 486 y compris ;
  • dépénalisation de l’avortement, suppression de l’article 223-12 du Code pénal ;
  • stricte application de la loi 1993 (dite Neiertz) sur l’entrave à l’IVG ;
  • statut unique pour les centres d’IVG et de planification, et un statut pour les médecins qui y exercent ;
  • remboursement de tous les moyens contraceptifs sur ordonnance ;
  • maintien des dispositions des lois de bioéthique de 1994 qui n’ont pas reconnu de statut à l’embryon.

Pour la prise en compte de la spécificité de la santé des femmes :

  • des campagnes publiques d’information, d’éducation, de prévention, de dépistage, une politique de recherche, y compris pour le droit de choisir ;
  • accès aux nouveaux traitement du sida ;
  • moyens suffisants accordés aux établissements sanitaires publics pour garantir l’accès aux soins de toutes et tous.

Solidarités internationales

Pour soutenir toutes les femmes de la planète qui résistent aux guerres, aux violences, aux intégrismes, à la pauvreté, aux discriminations sexistes et racistes :

  • soutien de toutes les luttes pour l’instauration de la démocratie ;
  • refus des plans d’ajustement structurels dictés par le FMI, le G7, la Banque mondiale, l’OMC qui accroissent les charges de travail non rémunéré des femmes et entraînent la désintégration des liens économiques et sociaux ;
  • nouvelles règles du commerce international respectant les impératifs sociaux, culturels et écologiques définis par les populations elles-mêmes, et en particulier par les femmes. Refus du commerce des armes, utilisation de l’argent du surarmement pour le développement humain ;
  • abolition de la dette ;
  • interdiction de l’arme alimentaire.

Pour la paix, une Europe des droit et des libertés :

  • alignement des législations sociales ou concernant les femmes sur celles des pays les plus avancés ;
  • soutien aux femmes qui luttent pour la souveraineté de leur peuple.

Les dangers que connaissent les unes nous menacent toutes. Les victoires des unes sont des victoires pour toutes. Fortes de nos expériences, dans la diversité de nos situations, notre espoir est dans la solidarité.