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éditorial du nº 1374

Le jeudi 4 novembre 2004.

Ainsi l’Europe s’apprête à implanter, dans le Maghreb et ailleurs, des
camps de rétention, sorte de gares de triage pour viande humaine. De
réalistes technocrates plantent de petits drapeaux sur la carte de la
misère. C’est ce qu’ils appellent, dans leur jargon, externaliser la
gestion des flux migratoires. Le ministre italien des affaires étrangères
parle lui d’installer des « guichets » aux portes de l’occident, comme si
il ne s’agissait que d’acheter une place de cinéma. Pour celles et ceux
qui auront les moyens de se payer l’entrée (car ces vastes réserves de
main d’œuvre bon marché attireront, n’en doutons pas, biznessmen et
mafias), le film risque d’être gore. Quant aux autres, on ose à peine
imaginer à quoi se réduira leurs existences, des années dans ces camps.
Contentons-nous de constater que l’Europe, forteresse, renoue avec les
aspects les plus lugubres de son histoire, tant l’idée de guichet renvoie
à celle de comptoirs, de sinistre mémoire. Les négriers sont prêts. La
traite peut reprendre.

Ceux qui auront réussi à passer à travers la trémie se verront octroyer le
droit d’aller manipuler des matériaux radioactifs dans les usines vétustes
du groupe AFE. Lorsqu’ils développeront leur leucémie ou autre cancer, ils
seront déjà expulsés depuis longtemps, ce qui aura pour avantage de ne pas
les comptabiliser dans les statistiques des personnes contaminées.
L’humiliation devrait pourtant s’arrêter devant ces femmes des industries
avec leurs doigts bouffés aux acides et leurs poumons en rade. Comme le
disait Ferré dans les années 70…

Contaminée, l’école l’est assurément par la convention liant, depuis peu,
le monde enseignant et celui, peu recommandable, de la police. Non
contents d’être chargés de « sécuriser (sic) les abords des collèges et
lycées », les flics passeront dans les classes faire de la prévention
(re-sic). C’est peu dire qu’un tabou est ici brisé, comme disent les
journalistes. Sous prétexte de vérifier que cordes-à-sauter et scoubidous
sont bien aux normes, c’est leur présence que les bleus imposeront aux
enfants. Ils s’y feront, ils devront s’y faire, on fera en sorte qu’ils
s’y fassent. L’école n’est après tout que notre premier encasernement,
censé nous préparer aux autres. À ce jour, nous attendons toujours une
réaction, même symbolique, des syndicats de l’enseignement. On peut
toujours attendre.