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Cinéma

« Port Djema »

d’Éric Heumann
Le jeudi 8 mai 1997.

Dans le cynisme politique ambiant, ce premier film du producteur Éric Heumann, fait l’effet d’une bombe. Pourquoi ? Parce que les choses inavouables pratiquées par la France en matière de décolonisation et de décolonisation n’ont jamais aussi bien été montrées. Sans emphase, sans pathos inutile.

Un médecin français est assassiné à Port Djema. Son ami débarque, question de tenir une parole donnée. Une tension, une atmosphère s’installe. La mort rode. Le scénario du film a été écrit d’après une idée originale de Jacques Lebas, qui fut longtemps à la tête de Médecins du monde. Le film transporte du vécu, de l’authenticité, ça se sent. Éric Heumann et Jacques Lebas fignolent leur propos, Lam Le (vous vous rappelez son magnifique film Poussière d’Empire) leur donne un coup de main.

Ce premier film est certes le film d’un producteur de réalisations ambitieuses comme Indochine ou Le regard d’Ulysse, mais pour Port Djema, son ambition, c’est le juste regard sur ce milieu diplomatique pourri, sur « l’humanitaire » et ses enjeux, que personne ne contrôle, sur des populations tampons ou victimes de guerres civiles changeant de fronts, de camps, de combattants d’une minute à l’autre.

Par moments, la qualité de l’image vous saisit, ne vous lâche plus. Déambulations, recherche, le chaos africain attrapé au vol. Filmé avec maestria, le film aborde plusieurs problématiques. L’entreprise humanitaire apparaît dans toute sa complexité. L’engagement, le courage, la lâcheté cessent d’être des mots pour se couler dans des situations. La succession de plans dominés par la violence et d’autres, où le temps semble suspendu crée un rythme original, une lenteur truffée d’imprévus, de gestes quotidiens, de rebondissements spectaculaires. Les comédiens y sont pour beaucoup. Surtout Jean-Yves Dubois, l’interprète de Pierre Feldman, le médecin à la recherche de son ami. Visage neutre, corps mu par une tension, une passion toute en retenue. Grâce à lui, le climat étrange, l’atmosphère se transmet. Chistophe Odent, le représentant « diplomatique », celui qui explique que la France soutient le gouvernement le jour — et les rebelles la nuit — interprète toute l’ambiguïté de son rôle.

Ainsi, les Afriques dans toute leur diversité apparaissent et l’éternel commentaire télévisé sur deux ethnies qui s’affrontent est dépassé par une vérité qui se dégage des images. Le spectateur peut trouver lui-même sa place et sa position.

Un très beau film. Berlin lui a décerné un Ours d’argent. Et comme dit Éric Heumann, qui lui aussi est fidèle à la parole donnée « l’argent m’intéresse, mais uniquement pour en faire quelque chose » ! Il produira les prochains films de Lam Le et de Théo Angelopoulos.

Heike Hurst
émission Fondu au Noir (Radio Libertaire)