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éditorial du nº 1376

Le jeudi 18 novembre 2004.

« Il ne saurait être question de mettre en cause le chagrin spontané : comme tout sentiment vrai, il est respectable. C’est le chagrin organisé qui est détestable parce que, au fond, il est faux, froid et gourmand. » Les mots de Stig Dagerman résonnent à notre oreille, rappelés par ce cirque des funérailles de Yasser Arafat. Tout y était : les militaires chamarrés de décorations, au pas de cérémonie s’il vous plaît, les ministres en berne, l’œil humide de peine et de concupiscence mêlées. Et le peuple de Ramallah, qui submerge tout, qui arrache le corps du vieux chef des mains des officiels. Son grand homme est mort. Il est orphelin.

Le grand homme avait le pouvoir. Le grand homme avait l’argent — ce qui n’est pas sans poser de problèmes successoraux… Le grand homme était la Cause, il était l’Idée, il était la Palestine. Et couic, le voilà mort.

Arafat était le fils de la diploma tie délicate des temps de la guerre froide. Il est parvenu à imposer son autorité en incarnant le point d’équilibre des factions palestiniennes. Et ce pouvoir une fois constitué est devenu personnel (« Qui t’a fait roi ? — Qui t’a fait baron ? », échange bien connu depuis Jules jusqu’à Tito…). Ce genre de pourrissement — si tant est qu’il y ait eu du bon au début — ne vaut rien pour les peuples. Le raïs vieillissant s’accroche au pouvoir de toutes ses griffes… et tant pis si les problèmes terribles ne sont jamais réglés !

Bien malin qui pourra dire l’avenir dans la région. Entre les arrivistes pressés de signer le premier accord, même très défavorable, avec Israël, et les fondamentalistes religieux, le grand écart sera périlleux. Chacun défendra ses intérêts de faction, intérêts de pouvoir ou d’argent.

Mais ces temps incertains pourraient être féconds. Le peuple de Palestine a l’occasion de jouer une carte : celle du fédéralisme, celle des conseils indépendants des groupes politiciens ou militaires, pour faire entendre ses aspirations à la paix, et le prix qu’il entend payer pour cela. Ce qui implique un bouleversement des équilibres dans le camp palestinien, et de rudes tensions. Voudra-t-il se donner ce moyen, ou préfèrera-t-il se choisir une nouvelle idole ?