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Un verdict bâtard !

Le jeudi 5 juin 1997.

Ce 28 mai était jugé à Orléans Alexis, objecteur-déserteur et membre du groupe libertaire de Tours. 40 à 50 personnes étaient venus le soutenir dont les membres de ROOC (Rassemblement orléanais des objecteurs de conscience) et d’AL Orléans. Une grande partie d’entre nous assistèrent au procès qui fut précédé d’un jugement sur un délit commun. À celui-ci, un jeune récemment majeur fut condamner à deux mois fermes pour le racket de deux blousons. Notant que ce jeune, abandonné par ses parents, passa son adolescence dans des foyers et, pour arranger le tout, est en situation bâtarde pour ne pas dire « irrégulière » (ah oui ! il est de nationalité algérienne), on appréciera le tact psychologique du tribunal et le séjour de « dissuasion » offert à ce jeune bientôt… papa.

Mais revenons à notre Alexis. « J’ai déserté pour protester contre la "double durée" de l’objection et contre le non-statut de salarié au sein de l’association où j’étais. » Face à cela, le procureur réclama l’ajournement et un renvoi de l’accusé devant les affaires militaires qui décideront de son exemption (ou non, et en fonction de cette régularisation, Alexis sera jugé) ou non, pour désertion, car malgré l’abolition prochaine du service national, « la loi est toujours valable sur notre territoire, une sanction serait une question de principe ». « Double peine » rétorqua l’avocat d’Alexis. Dans une plaidoirie remarquable, il expliqua qu’Alexis n’avait pas « triché » aux trois jours, qu’il a accepté le service civil et par symbole (et par « une prise de conscience tardive »), [Alexis] a décidé de partir ; que la condamnation de ce type de service était celle de la majorité d’entre-nous puisqu’il est aboli ; que cette « double peine » est contraire à la résolution du Parlement européen de 1983. Il en appelle à la relaxe, citant en exemple ces femmes de Bobigny qui, ayant avorté illégalement, furent relaxées car jugées après l’adoption de la loi autorisant l’IVG. Il argua également que l’État, depuis le 15 janvier, ne prend en charge que le quart des indemnités des objecteurs (les trois quarts restant étant aux frais de l’association, ce qui pose de nombreux problèmes de places pour les nouveaux objecteurs) et « qu’il serait malvenu de reprocher à Alexis d’avoir fait trois semaines d’économie budgétaire » à un État qui n’est plus capable de payer.

Après un portrait de l’Alexis militant-citoyen (sans-logis, sans-papiers…), il conclut qu’une régularisation serait impossible puisque personne ne voudrait prendre un objecteur pour trois semaines. Mais les juges n’étaient pas du même avis et donnèrent raison au procureur, repoussant le procès au 24 septembre après une régularisation. Verdict bâtard, comme l’explique Etienne du ROOC : « La justice s’en tire bien car elle ne le relaxe pas et elle ne le condamne pas. C’est une victoire pour nous et pour Alexis puisque la justice admet implicitement la validité de son acte. » Je ne suis pas d’accord, elle n’admet que la demande du procureur qui peut effectivement laisser penser à un arrangement préalable, comme le déclare Alexis : « Le procès était décidé par avance. J’ai fait le choix regrettable de laisser mes opinions politiques de côté et je risque maintenant une peine. J’irai donc voir les autorités militaires pour me faire exempter, s’ils refusent, je recomparaîtrai donc le 24 septembre pour désertion. » Laisser Alexis aux mains des affaires militaires (quelle joie pour un antimilitariste, l’exemption n’est pas à portée de main) le met dans une situation bâtarde (décidément !). Demandeur d’emploi, il ne touche rien des ASSEDIC et ne risque pas d’être embauché de sitôt vu sa non-régularisation. De plus les 2 600 signatures de soutien données par l’avocat risquent d’avoir moins d’impact dans quelques mois et le procureur sera affiné au combat.

À l’heure où 30 % des appelés sont exemptés et à la veille du « Rendez-vous citoyen » est soulevé le problème de l’avenir de l’objection et, plus loin, du refus de tout type de Rendez-vous civique et de service, gratuit ou exploité, rendu à l’État. Décidément, la société s’abâtardit sur de nombreux points, cette « dégénérescence » libérale, nous devons en dénoncer les dangers pour avancer notre alternative et nous « bâtardiser » du mariage que d’autres veulent nous imposer : État et Armée.

No !
groupe libertaire de Blois.