Accueil > Archives > 1997 (nº 1065 à 1104) > 1087 (5-11 juin 1997) > [Vilvorde, Valeo… À qui le tour ?]

Vilvorde, Valeo… À qui le tour ?

Le jeudi 5 juin 1997.

Samedi soir, il fait un peu froid sur la Z.I. d’Évreux. Devant les portes de Valeo, la solidarité nous réchauffe. Nous sommes là. Pourquoi ? Valeo fermera sûrement, tout est peut-être perdu. Ici, c’est un combat pour la dignité qui est mené par des ouvriers et des ouvrières jetés à la rue comme des chiens. En face, une poignée de nervis interdit l’accès à l’usine.

Tout a commencé en septembre 1996 avec l’annonce par la direction d’un sureffectif de 120 salariés sur le site d’Évreux. Valeo propose des préretraites, du temps partiel, des stages et des mutations.

Le mépris patronal

Le 6 janvier dernier, le « cadeau de Noël » de Valeo à ses employés est l’annonce par voie de presse, de la fermeture du site. 350 personnes sur le carreau.

La colère monte, la résistance s’organise et commencent les menaces, les brimades, les « propositions » (on a proposé des sommes d’environ 80 000 FF à des délégués syndicaux) et les « vos syndicats vous manipulent ».

Le 25 février, « les Valeos » défilent dans les rues de Rouen pour obtenir l’intervention de l’État afin d’empêcher la fermeture du site. Ce même jour, l’action de Valeo atteignait les 950 FF.

Au retour de Rouen, les ouvriers et les ouvrières venus reprendre leurs postes sont renvoyés chez eux. Le personnel demande donc qu’on lui donne quatre heures de congés. Voyant cela et refusant toute discussion, les responsables s’enferment dans un bureau. Ils diront le lendemain qu’ils ont été séquestrés. Un peu plus tard, six salariés (pris au hasard) reçoivent leur lettre de licenciement pour séquestration. C’est la grève.

Face à la mobilisation montante, la direction propose la réintégration des six salariés en cas de reprise du travail. La grève avec occupation s’installe. Après une semaine, le travail reprend assorti de nombreux débrayages et ralentissements de la production.

Le sort de Valeo n’est toujours pas réglé. Le dialogue est quasi inexistant. Le 28 avril, la grève reprenait, décidée par les salariés, sans directives syndicales.

Le personnel reçoit une lettre proposant une prime à la reprise du travail. Dans le même temps, les postes sont occupés peu à peu par des cadres venus d’autres sites. Les problèmes financiers et l’essoufflement aidant, le travail reprenait petit à petit mais la mobilisation restait forte.

Le 30 mai, une nouvelle lettre est adressée aux salariés, leur proposant des mutations et, donnant un délai de réflexion, ce courrier invite les salariés à rester chez eux d’ici là.

Une lutte désespérée

Vendredi soir à 0 h 45, des déménageurs protégés par des nervis tentent de déménager les machines dans la plus totale illégalité, le sort du site n’étant pas réglé. Les travailleurs empêchent toute sortie des camions et c’est un nouveau face à face.

Quelle sera l’issue de ce bras de fer ? Que dire de tout cela ? Au moment où j’écris ces lignes, je pense à Jean-Luc, qui vient avec d’autres de me faire l’historique du conflit. Vingt-et-un ans de boîte, 6 800 FF par mois primes incluses (salaire seul : 5 200 FF). Je pense à cet autre à qui on propose une mutation alors que son épouse est aide-soignante au centre hospitalier d’Évreux ; à ce couple, salarié de Valeo, qui n’ose plus envisager l’avenir.

Les travailleurs continueront-ils à se laisser faire ? N’est-il pas temps, tous ensemble, de renverser ce système qui de Vilvorde à Valeo jette les salariés comme des mouchoirs usagés ?

Pour les anarchistes, il est clair que tant que le salariat existera, il y aura exploitation et inégalités. Notre but est donc que les salariés s’organisent pour abolir ce système. Le rouleau compresseur est en marche, il est temps de prendre conscience des limites posées par les luttes limitées à la seule défense de l’emploi. Il est temps de passer de la colère, de l’exaspération à un véritable mouvement révolutionnaire capable de poser les jalons d’une société où nous pourrons envisager l’avenir sans avoir la peur et la colère au ventre.

Bruno, groupe d’Évreux