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Rien à attendre du gouvernement !

Le jeudi 12 juin 1997.

Pas de pause dans les luttes sociales !

Le deuxième tour des élections législatives aura été marqué par la sévère défaite de la droite sans pour autant laisser au PS une victoire éclatante puisqu’il n’a pas la majorité absolue.

Cet état de fait est une menace qui peut, selon l’évolution de la situation sociale, être à l’origine de ruptures avec le PC et d’alliances politiques avec le centre droit qui pourront « stupéfier l’Europe » comme s’est plu à dire Jospin lors d’un meeting électoral.

Pour le moment, nous n’en sommes pas là, et la gauche, toute à son bonheur, a dû se mettre d’accord, lors d’entretiens discrets et de petites phrases lâchées à bon escient, sur quelques mesures immédiates permettant à chacun de légitimer sa participation au gouvernement.

Les alliés du PS face à un avenir délicat !

C’est ainsi que Hue a pu assurer au PC que le smic serait revalorisé à hauteur de 8 % au 1er juillet et que d’autres petites gâteries suivraient même si, pour le moment, il n’était pas possible de les annoncer publiquement pour cause de discours programme de Jospin à l’Assemblée nationale le 18 juin prochain.

De toute façon, on voyait mal comment les réunions de cellules auraient pu refuser la participation de ministres communistes puisque cette stratégie d’alliance avait été définie depuis longtemps et qu’il était politiquement impossible de laisser tomber le PS au lendemain d’une victoire électorale qui donnait au PC un nombre de députés presque inespéré.

En ce sens, la consultation de la « base militante » et du comité national faisait quelque peu caricature de démocratie directe. Les ministères attribués au PC recoupent les compétences de ceux de 1981. Sans plus. Ils lâcheront leur poste lorsque le grand écart ne sera plus possible.

Plus comique aura été la prestation de Voynet, la cheftaine des Verts lorsque, très sérieusement, elle avertissait Jospin qu’il fallait respecter les accords passés sinon on allait voir ce qu’on allait voir. D’ailleurs les écolos n’étaient pas que des écolos et pouvaient aussi prétendre à des ministères sérieux.

Finalement Voynet a été posée là où elle devait l’être, et l’élargissement de son ministère à l’aménagement du territoire est loin d’être un cadeau au vu des conflits en suspens (autoroutes, décharges, etc.). Bien entendu, elle pourra mettre à son actif l’arrêt définitif du canal Rhin-Rhône qui était loin de faire l’unanimité y compris dans les hautes sphères économiques. Quant à Superphénix, elle a compris que cela prendrait un peu plus de temps. Pour le reste, elle devra faire avec… et ses petits camarades ministres sauront lui rappeler la dure réalité des rapports de force électoraux.

Chevènement a discrètement pris le ministère de l’Intérieur. Pourtant, il s’agit d’un poste sensible et nous ne manquerons pas d’être attentifs à la manière dont vont être traitées la scandaleuse situation des sans-papiers, la politique vis-à-vis de l’émigration ou l’attitude des policiers lors des manifestations et conflits sociaux.

Avec ce républicain nationaliste, il semble que Jospin ait choisi un moyen terme entre ceux qui veulent la suppression totale des lois Pasqua-Debré et les tenants d’une politique sécuritaire à outrance.

Il y a fort à parier pour que nous nous trouverons face à des décisions bâtardes du style quotas d’immigrés par pays et expulsions humanitaires des « illégaux ». Des catastrophes en perspectives.

Le tragi-comique au pouvoir

Le PS détient les postes clés de l’économie, de l’armée, de la politique étrangère, etc. Strauss-Khan, Aubry, Le Pensec entre autres ont déjà fait leurs preuves comme ministres et on ne voit vraiment pas pourquoi ni comment les milieux financiers et industriels auraient pu avoir le moindre frisson d’inquiétude à leur sujet.

Ce ne sont ni Péchiney, Carrefour ou autres partenaires de la fondation « Agir contre le chômage », pilotée par Martine Aubry, qui vont nous démentir.

Les seules originalités auront été d’avoir sacrifié à la mode du moment, à savoir de mettre en relief la présence de nombreuses femmes à des postes de responsabilités et de s’assurer que les postulants ne traînent pas de casseroles dans quelque affaire que ce soit.

Bref, il paraît que ce gouvernement est très compétitif, qu’il va être disponible puisque la tendance est furieusement au non-cumul des mandats et que nous allons être étonnés par son audace et son efficacité.

Apparemment, Chirac fait face à la situation avec un esprit républicain à toute épreuve, et l’ambiance des premières réunions de travail est, nous dit-on, cordiale, aimable et détendue. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes d’autant plus que la droite est très occupée à régler ses comptes, ce qui va lui prendre un certain temps. Comble du succès, la bourse monte à Paris !

Ni cadeau ni temps mort dans les luttes sociales !

Comment expliquer alors que, dès le résultat connu, un certain nombre d’empêcheurs de tourner en rond se soient sentis obligés d’aller se rappeler au bon souvenir de la gauche devant la permanence électorale du PS à Paris ?

Des collectifs de sans-papiers, de chômeurs, de sans-logis, des syndicats… avec banderoles, drapeaux et slogans ont tenu à signifier qu’il n’était pas question de se satisfaire d’une simple victoire électorale et qu’il fallait maintenant répondre aux besoins des populations touchées de plein fouet par le capitalisme triomphant.

En l’espace de quelques jours, les organisations syndicales CGT et FO ont fait connaître leur impatience à voir traiter rapidement les dossiers des salaires, de l’emploi, de la protection sociale, des plans de licenciements, des privatisations en cours ou prévues, leurs réserves sur la monnaie unique, etc.

Cela fait beaucoup de prises de position qui sonnent comme autant d’avertissements lourds de sous-entendus qui doivent rendre moins serein qu’il n’y paraît M. Jospin. À l’évidence, personne n’a confiance en personne et cette élection n’a aucunement détendu le climat social à l’image de l’absence de fête populaire au soir du 1er juin. En conséquence, il n’y aura ni cadeau ni temps mort sur le terrain des luttes sociales parce que chacun joue une partie difficile.

Les risques calculés de la gauche syndicale

Dans une certaine mesure, le PS a les coudées franches puisqu’il représente les classes moyennes et qu’il n’a jamais caché que son programme politique consiste à assurer la pérennité de l’ordre social existant en facilitant les nécessaires mutations et adaptations à la mondialisation du capitalisme. Il a déjà fait ses preuves en ce domaine et personne ne se fait réellement d’illusions sur sa volonté d’être autre chose que ce qu’il est, à savoir une des composantes des classes bourgeoises.

Pour le mouvement syndical institutionnel et la CGT en particulier, l’enjeu est de taille. Depuis quelques années déjà, les pratiques et les stratégies syndicales sont remises en cause ouvertement et l’apparition de petites organisations concurrentes : SUD, CRC, CNT et autres, posent à moyen terme des questions de fond même si, pour le moment, c’est surtout la CFDT qui en fait les frais. Par ailleurs, les récents mouvements sociaux ont démontré que ce ne sont plus les confédérations qui contrôlent totalement les mouvements de grève. Cela a été le cas en novembre 1995 et encore dernièrement lors de la grève des contrôleurs SNCF.

Il est clair que les bureaucrates vivent ces évolutions comme une réelle menace de perte de légitimité de leur pouvoir de représentation auprès du patronat et de l’État. Leur intérêt est donc de précéder d’éventuels mouvements de mécontentement qui pourraient s’exprimer rapidement si le gouvernement de gauche décevait, et c’est le plus probable.

Le meilleur moyen est pour eux de prendre le taureau par les cornes et de développer des positions radicales pour montrer leur détermination à défendre les intérêts des travailleurs. Ils espèrent ainsi être en mesure d’orienter le mécontentement et de ne pas être en quelque sorte débordés. C’est peut-être finement joué mais risqué parce qu’en même temps cette attitude donne du contenu aux critiques de celles et ceux qui contestent la capacité de la gauche à proposer des solutions. La démarche de la CGT peut ainsi contribuer à accélérer des dynamiques sociales qu’elle finira par ne plus maîtriser.

L’attitude inverse de la CFDT, qui souhaite que rien ne soit modifié répond au même souci, même si, en plus, il y va de sa crédibilité due à son engagement sur les projets de réforme de la protection sociale qu’elle a élaborées avec Juppé. Une hausse significative des salaires, et la réduction du temps de travail à 35 heures payées 39 heures, lui apparaissent comme des mesures qui vont mettre de l’huile sur le feu de la contestation sociale.

L’annonce faite par PSA d’un plan de réduction d’effectifs important ne laisse rien au hasard du calendrier. Il s’articule parfaitement avec l’affaire de Renault Vilvorde et va servir de test pour le patronat.

Une gauche gestionnaire

De l’attitude du gouvernement face à des demandes contradictoires va dépendre le climat politique qui va s’installer très rapidement. Il est difficile de penser qu’au-delà de quelques mesures de circonstances imposées par la décence électorale, ce gouvernement soit en capacité de peser sur la réalité du chômage, de la précarité, de la misère.

L’annonce de 700 000 créations d’emplois va se traduire concrètement dans le secteur public par une première tranche de 20 000 emplois avec des contrats de cinq ans payés au SMIC et dans le secteur privé par une « allocation publique » équivalent à un demi-SMIC pour toute embauche de jeune.

Cela va nécessiter de réduire les aides aux contrats à durée déterminée et aux stages de formation afin de contenir les dépenses publiques. À ce rythme-là, on est loin du compte face aux millions de chômeurs et précaires.

Le taux de la hausse du SMIC est encore incertain et si c’est toujours ça de pris, c’est, même à 8 %, loin d’être suffisant pour répondre aux besoins des populations.

Quant aux privatisations, on voit mal comment Jospin va s’en sortir. Pour qui veut lire entre les lignes, il est certain qu’elles seront faites avec peut-être un peu de décalage, le temps de procéder à une consultation, à France Télécom par exemple. Mais le premier des ministres a clairement dit qu’il n’était pas question de s’aligner sur l’opinion des employés qui sont massivement pour le maintien dans le service public.

Peut-être que les ventes de Thomson et Dassault-Aérospatiale seront gelées un moment mais l’État devra renflouer Thomson multimédia, le GAN et Réseau ferré de France à hauteur de 50 milliards de francs en vendant le Crédit lyonnais, GAN-CIC et Air France (ces trois entreprises doivent être privatisées suite à un accord avec Bruxelles au moment de leur renflouement).

Finalement, ces élections n’auront pas changé grand-chose à notre réalité quotidienne et, tout bien pesé, il n’est pas aussi sûr que cela que la droite en sorte totalement défaite.

C’est un gouvernement de gauche qui va être chargé de faire avaler les grandes échéances sur l’euro et quelques autres dossiers sociaux épineux. Cela ne va pas être sans risque et sans casse. Dans un an, la droite aura peut-être beau jeu de dénoncer l’incapacité gouvernementale de Jospin et les troubles sociaux. Séguin ou un autre aura eu le temps de faire le ménage et ces messieurs de la haute seront en position intéressante pour jouer leur carte aux cantonales et surtout aux régionales. Ce qui peut modifier totalement la situation politique nationale.

Bernard
groupe Déjacque (Lyon)