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Royaume-Uni

La série noire des gardes à vue

Le jeudi 12 juin 1997.

L’histoire de l’Afro-Américain Rodney King, qui avait été sauvagement frappé par des officiers de la police de Los Angeles ne nous est pas inconnue de ce côté de l’Atlantique. Un article, dans le journal britannique Guardian, faisait les commentaires suivants en janvier 1992 : « La plupart des caractéristiques de cette histoire ne sont pas inconnues aux lecteurs britanniques. Une police incontrôlée. Une surveillance civile inexistante ou inefficace ou les deux. Des chefs de police grandes gueules avec des comportements excentriques. Des prétentions au professionnalisme avec une bureaucratie introvertie et secrète. Une "culture de caserne" machiste parmi les flics de rue. » Des policiers de vingt-deux ans particulièrement agressifs pour qui le public est l’ennemi, etc.

Ce qui est également connu de certains lecteurs britanniques, c’est aussi ce prétexte de la part des média libéraux à affirmer que la police est « incontrôlée », alors qu’en fait ils mettent en application des politiques recevant un large soutien de la part des élites.

Depuis les émeutes de Los Angeles de 1992, certaines des caractéristiques du cas Rodney King sont devenues encore plus familières chez nous. La matraque spéciale utilisée par la police pour frapper Rodney est désormais couramment portée par la police londonienne et d’ailleurs. Ces matraques furent d’abord interdites par Kenneth Clarke, lorsqu’il était secrétaire d’État en novembre 1992, car « son potentiel de blessure est beaucoup plus fort que celui des matraques classiques. Les fabricants de ces matraques spéciales (que l’on retrouve dans certains arts martiaux asiatiques) se vantent de la force de l’impact qui, paraît-il, est neuf fois supérieure à celle des matraques classiques ». Cette nouvelle matraque a été mise en cause dans la mort de deux hommes noirs à Londres depuis son apparition.

S’il est vrai que la police britannique et même celle de Londres est moins brutale que celle des États-Unis, il ne faut pas dormir sur ses lauriers. Certains faits ont montré l’existence d’un racisme latent des policiers envers les officiers noirs ; la population noire est plus souvent arrêtée que la population blanche, et une fois arrêtés ses membres ont plus de risques de rester enfermés, sans parler de brutalité et de harcèlement, de la part de la police, plus forts également. En fait, la tendance est, aujourd’hui, quand même à se rapprocher du comportement des policiers américains. Cela ne peut que renforcer le danger dans lequel vit la population noire.

En 1995, le rapporteur des Nations unies travaillant sur les exécutions arbitraires, sommaires et extrajudiciaires, fit connaître son inquiétude concernant le « fait que les étrangers semblaient être, de manière disproportionnée victimes d’exécutions sommaires et arbitraires extrajudiciaires » au Royaume-Uni. En mars 1996, la commission des Nations unies concernant l’élimination de la discrimination raciale dit que « parmi les victimes de morts en garde à vue, au Royaume-Uni, il y a un nombre disproportionné de groupes minoritaires "et que" les allégations concernant la brutalité et le harcèlement perpétués par la police ne sont pas sérieusement étudiées et les policiers, reconnus coupables de faits condamnables, ne sont pas sérieusement punis ». La commission reconnut également que les brutalités de ces mêmes policiers sur des populations blanches étaient plus sévèrement punis. On apprit, par ailleurs, qu’entre octobre 1995 et décembre 1995, six hommes noirs moururent lors d’une garde à vue. Si l’on remonte aux dix dernières années précédant 1996, 576 personnes moururent durant une garde à vue. Entre 1991 et 1995, quatorze de ceux qui moururent appartenaient à des minorités ethniques — 18 % de ceux qui moururent en garde à vue. Il est important de comparer ces chiffres à ceux de la proportion de la population noire parmi la population générale du pays (5 %) et à la proportion de la population noire en prison : 15 %.

L’association des familles enquêtant sur la mort de leurs proches en garde à vue, signalèrent, l’année dernière, que « dans virtuellement chaque cas où l’on considère que la mort est survenue par l’utilisation de force brutale, les victimes se trouvent faire partie de la communauté noire ou d’une autre communauté minoritaire. Sur les quatorze morts survenues depuis 1991, au moins la moitié est due à l’abus de brutalités ». Deux cas connus, ceux de Brian Douglas et Wayne Douglas, dans le sud de Londres, mettent en cause l’usage de la nouvelle matraque qui a entraîné leur mort. Cela a amené les émeutes de Brixton en décembre 1995, d’autant plus que les policiers responsables n’ont pas été poursuivis. La colère causée par ces morts et par le mur du silence construit autour de ces cas par les autorités ne disparaîtra pas. Sans doute y aura-t-il encore des émeutes pour protester contre les morts d’un Cherry Groce, d’un Wayne Douglas, d’un Rodney King, etc., cependant nous ne pouvons être satisfaits de ces émeutes car, malheureusement ces protestations causent souvent du tort à la population noire elle-même. La population noire, qui réclame l’inculpation des officiers impliqués dans les meurtres cités, a brillé par son absence aux dernières élections. Comment peut-il en être autrement quand ce qui les touchent de près, à savoir l’assassinat de leurs proches lors de gardes à vue, est tout simplement ignoré ?

Milan Rai
extrait de Freedom du 24 mai dernier