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STM groupons-nous et demain…

juillet 2004.

Différents articles du Monde libertaire et du Communard 35 [1], ainsi que l’intervention du délégué syndical de STMicroelectronics sur l’antenne de Radio libertaire se sont fait l’écho de la lutte des salariés. Le grand public a vu à la télévision le jeudi 10 juin les images de l’intervention des gardes mobiles dégageant la sortie de l’usine pour permettre aux 38-tonnes de déménager les machines, direction Singapour. L’usine STMicro emploie 600 salariés (dont 150 intérimaires) sur Rennes. STM a d’autres sites en France : Rousset, Crolles, Tours, etc. L’État français, à travers France Telecom et Areva, est actionnaire à 17 % de l’entreprise, qui faisait auparavant partie du groupe Thomson. L’État italien en est également actionnaire à 17 %. STM est le cinquième producteur mondial de puces électroniques pour le secteur automobile et les téléphones portables. Pour rire jaune, notons que le PDG français fait partie de la commission mandatée par Chirac pour « lutter contre la désindustrialisation de la France ». Dans le même ordre d’idées, STM est un de ces placements « éthiques » (et toc !), si chers à la CFDT.

La lutte des STMicro est exemplaire à plusieurs titres : cela fait bien longtemps qu’il n’y avait pas eu une telle lutte sur la région de Rennes. Elle dure depuis un an, et elle a entraîné une grande vague de sympathie autour d’elle, tant des habitants que des travailleurs du bassin rennais. De nombreuses initiatives de soutien ont eu lieu : concerts, rassemblements, discussions-débats sur le site de l’usine ou à l’extérieur, etc. Naturellement, au début de leur lutte, la plupart des salariés se berçaient d’illusions : les élus politiques, comme le maire de Rennes, Edmond Hervé, et les experts et autres notables « décisionnaires » au niveau économique, allaient pondre des rapports, et monter au créneau pour défendre « la haute technologie en Bretagne », etc.

L’UL et l’UD CFDT ont dès le début indiqué qu’elles se « battaient pour le reclassement du personnel ». Comprendre : « Salariés, ne vous battez pas, on va gérer vos licenciements », un peu le « remake » de Mitsubishi à Vitré… Bref, les sphères dirigeantes politico-syndicalo-économiques allaient faire pour le mieux. Circulez, y a rien à voir. Sans culture de luttes, ce discours a pu prendre, en partie, au début, chez les salariés : ils en étaient pour la plupart à attendre ou espérer un « sauveur suprême ». Au fur et à mesure de la lutte, leurs illusions se sont peu à peu dissipées : les députés, ministres et autres n’allaient rien pouvoir faire, si ce n’est des promesses. Les élections régionales et européennes sont passées par là, la gauche plurielle a raflé la mise : les derniers électeurs crédules se sont rendu compte qu’il n’y avait rien à attendre de plus de la gauche que de la droite. De même, les salariés ont beaucoup attendu des décisions de justice. Leur direction les ayant systématiquement attaqués pour avoir bloqué le site, et pour ne pas avoir signé le procès-verbal du comité d’entreprise qui oblige les représentants du personnel à négocier le plan social. À chaque fois, la justice a donné raison aux patrons. Des salariés de STM témoignaient dernièrement en disant : « On a été très crédules, on a beaucoup appris en luttant. »

On pourra regretter, au début de la lutte en particulier, de très fortes réticences à se battre en commun avec les salariés d’autres boîtes du bassin rennais, Thomson et Philips, elles aussi en butte à des plans de licenciements et de fermeture d’usine. Le corporatisme mine le monde du travail dans son ensemble. À STM, il a été peu à peu laminé par d’infatigables militants syndicaux qui ont tenté de faire la jonction entre les salariés de ces entreprises, en allant inlassablement discuter avec les uns et les autres à la porte de la boîte. Sur la fin de la lutte, ce sont les salariés de STMicro eux-mêmes qui allaient voir les salariés d’autres entreprises pour expliquer leur lutte et expliquer qu’il est important de lutter ensemble.

La lutte des STMicro ne s’est pas étendue aux autres sites de STM en France, sauf très ponctuellement : le site de Crolles s’est mis en grève une journée en solidarité avec les Rennais suite à l’intervention des gardes mobiles. Le site de Rennes a lui-même très peu été en grève, de nombreux salariés ont continué à travailler sur le site pendant cette année de lutte. Il n’est pas évident, de toute façon, que la grève aurait été la forme d’action la plus appropriée dans le cadre d’une usine dont la fermeture est prévue. Trois personnes ont fait la grève de la faim pendant de nombreux jours. Cela a été mal perçu par la plupart des salariés, car cela constituait un acte individuel, et les trois grévistes de la faim n’avaient prévenu personne de leur action. Cela a plutôt démobilisé le personnel. Cette action individuelle et pseudo-radicale a donc eu un effet de déstabilisation et de division de la lutte, qui doit rester collective pour être efficace. On pourra regretter aussi la façon dont la lutte fut menée : un leader charismatique et un « comité de crise » décidaient dans leur coin des actions à mener, et rendaient compte toutes les semaines devant l’assemblée générale des décisions prises. Bien souvent, les salariés n’avaient connaissance des actions qu’au dernier moment. Ils se sont donc moins impliqués qu’ils auraient pu. Mettre en place des AG décisionnelles aurait sans doute permis de relayer davantage la lutte auprès des salariés. Cela n’aurait pu que la renforcer.

Un appui fut apporté de l’extérieur, entre autres, par un comité de soutien, composé d’individus et d’organisations politiques et syndicales principalement issus de l’extrême gauche (SUD-LCR…), mais pas uniquement.

Les unions départementales des confédérations syndicales ont très peu soutenu la lutte des STM, en criant à la manipulation gauchiste. Le comble étant tout de même une récente déclaration de la secrétaire de l’UL CGT de Rennes, déclarant : «  STM, ça n’a profité qu’à l’extrême gauche et aux anarchistes. » Toujours est-il que, si la lutte a tenu dans la durée, c’est parce qu’elle a reçu l’appui, dans le cadre du comité de soutien, ou à l’extérieur de celui-ci, de militants politiques et syndicaux, principalement issus de l’extrême gauche et libertaires.

En refusant de mobiliser sur la question des licenciements, les UD se sont complètement décrédibilisées vis-à-vis des salariés de STM et bien au-delà. Cette attitude sera fort dommageable pour les luttes futures, car cela risque de dégoûter encore davantage les salariés du syndicalisme, alors que celui-ci n’a jamais été autant nécessaire.

Devant l’apathie des bureaucraties syndicales dans la lutte, le comité de soutien a pris la place laissée vacante… et organisé différentes initiatives ayant vocation à monter à terme une coordination de lutte contre les licenciements (suite à l’« appel de Rennes »). Comme toutes les coordinations, celle-ci peut être le lieu de toutes les manipulations politiciennes, ce qui nuirait en définitive à l’objectif affiché [2]. En tout cas, l’existence de ces espaces de lutte démontre qu’il y a une vraie volonté de se battre et de ne pas se laisser faire. C’est ce en quoi cette initiative est positive.

Plusieurs centaines de salariés ont déjà reçu leur lettre de licenciement depuis fin avril. La cellule de reclassement est elle-même une entreprise. Elle fait partie du même groupe que l’entreprise qui était en charge de trouver un repreneur à l’usine, mais le montant de ce contrat était inférieur au montant du contrat de reclassement ! On comprend que cette entreprise n’avait aucun intérêt financier à trouver un repreneur à l’usine, mais tout intérêt à « reclasser » les salariés. Le marché des licenciements est un marché très juteux. Les cellules de reclassement annoncent des taux de reclassement ahurissant : 98 % de salariés reclassés pour Mitsubishi à Vitré. Mais qu’est-ce que cela recouvre ? En fait, la cellule de reclassement est rémunérée en fonction du nombre de salariés qu’elle annonce comme reclassés ! Elle fait par exemple sortir de ses statistiques les salariés qui ont un « projet personnel ». Vous êtes enceinte ? Votre projet personnel, c’est « avoir un enfant ». Vous voulez vous reconvertir dans un secteur qui vous intéresse, mais sans « débouché économique connu » ? Vous avez plus de 50 ans ? Vous sortez des statistiques, car non reclassable potentiellement. Comme le dit Jean-Marie Michel, délégué syndical de STMicro, « être reclassé, c’est avant tout être déclassé ». En réalité, un an après leur plan social, seuls 10 % des salariés ont un emploi en CDI, et ceux-là subissent en moyenne une perte de salaire de 20 à 40 % [3].

Les perspectives d’avenir pour les salariés de STMicro sont relativement moroses : « reclassement », chômage, précarité, problèmes familiaux, de santé et d’argent… Les actionnaires, eux, se portent plutôt bien.

Si la lutte ne paye pas toujours, ne pas lutter ne peut être qu’un gage de défaite, l’exemple de l’usine Mitsubishi de Vitré est là. On constate que les mêmes erreurs sont refaites à chaque fois que les salariés luttent contre la fermeture de leur usine : la bagarre reste locale à cause d’une frilosité corporatiste qui empêche la jonction des luttes. On en a un nouvel exemple avec l’entreprise Thalès dans la région de Rennes (encore 600 travailleurs concernés). Cela a souvent comme conséquence une radicalisation apparente de la lutte, qui est souvent révélateur d’un grand désarroi devant l’inéluctable.

Il est clair que, en particulier sur la question de la lutte contre les licenciements, l’isolement ne peut que conduire à l’échec : quand un patron a décidé de fermer une usine, il est prêt à en payer le prix (temporaire), puisqu’il regagnera cet argent-là par la suite, d’autant qu’il a souvent fait en préalable des provisions financières pour payer le plan social. Il faut diffuser l’idée que la lutte contre les licenciements est aussi celle de la défense des droits de tous les travailleurs, chômeurs et précaires contre l’exploitation.

On peut presque faire aujourd’hui le bilan de la lutte des STM : ce n’est pas une victoire, puisque l’usine va très vraisemblablement fermer, les machines devraient être délocalisées progressivement dans les mois à venir et les salariés devraient avoir des indemnités de licenciement assez faibles. Néanmoins, il aura été utile et nécessaire de se battre. La solidarité avec les habitants du quartier et les travailleurs d’autres boîtes a plutôt bien fonctionné. De plus, les travailleurs de STM sont fiers de s’être battus, ils vont pouvoir partir la tête haute et auront beaucoup appris de cette lutte. L’état d’esprit des Rennais sera marqué pour longtemps par cette bagarre. De nombreux travailleurs ont appris de la lutte des STMicro, et se berceront moins d’illusions à l’avenir. Espérons que cette prise de conscience se concrétisera chez les salariés par leur investissement militant et la volonté de s’organiser pour mettre à bas le système capitaliste et étatique fondé sur l’exploitation de la majorité par une minorité.

Pierre


Le site Internet des salariés en lutte : http://membres.lycos.fr/tqmlosers/p....


[2La création de la coordination nationale contre les licenciements a été annoncée à Rennes le 26 juin.

[3Information issue de l’Agence France-Presse du 28 février 2004 : http://actu.voila.fr/Article/ article_actu_france_040228172246.5bixmixw.html.