Accueil > Archives > 1991 (nº 809 à 851) > .837 (19-25 sept. 1991) > [Pulsions vengeresses et obséquiosité sadique]

Faits divers

Pulsions vengeresses et obséquiosité sadique

Le jeudi 19 septembre 1991.

L’actualité chargée de la fin août a presque fait oublier un chapelet de faits divers estivaux particulièrement bien fourni. De l’appel de phares à la botte de carottes, en passant par le lapin de clapier ou la voiture hypothéquée, le prix dérisoire de la vie humaine s’est plutôt diversifié. Mais pas les commentaires médiatiques, fidèles aux deux options traditionnelles, au choix : « drame de l’autodéfense » (interview compréhensive du comité de soutien de l’assassin à la clé), ou « crime atroce » (interview complaisante des pétitionnaires pour la peine de mort en prime). Ce n’est pas dur d’être journaliste !

À propos de la peine de mort, on peut comprendre les proches des victimes d’un meurtre, et leurs pulsions vengeresses. En revanche, ceux qui leur tendent un micro avec une obséquiosité sadique, puis prétendent donner un poids « moral » douteux aux propos ainsi recueillis sous le choc, sont d’abjects salauds. Rappelons que, même dans sa conception étatique et autoritaire, l’institution judiciaire est sensée, précisément, aller au-delà des réactions passionnelles. C’est même sa raison d’être, en principe. Mais cela demande de réfléchir et, surtout au mois d’août, c’est moins bon pour l’audience qu’un scoop lepéniste bien gras, coco !

Manifestons, en passant, notre admiration devant un ordre social qui brime chaque jour un peu plus la liberté de l’individu (que l’on songe aux conditions d’embauche à Eurodisneyland), mais autorise n’importe quel hystérique à posséder chez lui une arme à feu ; quitte à s’indigner ou s’affliger, selon les cas, après usage meurtrier de ladite arme à feu. Question : combien d’armuriers sont-ils pour la peine de mort ?

Autres questions, posées aux champions de la lutte contre la détention (nous-mêmes !) : quelles mesures immédiates peut-on envisager après un meurtre pour assurer la sécurité de l’assassin et éviter son lynchage ? Ensuite, comment prendre en compte les risques de vengeance et les parer ? Enfin, quel règlement ? Boycott collectif du « coupable », bannissement ? Mais où, et combien de temps ?

Ceux à qui ces interrogations déplaisent peuvent les évacuer (ce qui n’empêche pas les autres d’y réfléchir !) par un argument statistique : les meurtres sont rares, et les anarchistes disposent de solides lignes directrices pour régler la grande majorité des conflits : médiation, arbitrage par des « juges » acceptés par les deux parties, réparations des torts avérés (et non punition).

Je l’ai d’ailleurs entendu l’autre jour au journal de France-Inter : l’institution judiciaire est « rétrograde et incompétente » ; elle « aggrave les problèmes plus qu’elle ne les résout » ; « la prison est un non-sens, un véritable gâchis familial et social ». Bien entendu, il s’agissait d’un cas de garde d’enfant litigieux, avec emprisonnement du père « dans l’illégalité ». Il restait, il reste à généraliser intelligemment ces remarques de bon sens aux autres types de conflits. À votre avis, faut-il compter, pour ce gros et passionnant travail, sur les journalistes ou sur les anarchistes ?

COQ’S


N.B. : les lecteurs intéressés trouveront, exposée plus en détail, matière à fructueuse réflexion dans le nº 3 des Œillets rouges.