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Santé

Kouchner dans les bottes de Juppé

Le jeudi 18 septembre 1997.

Dernière victime de la politique de santé : la maternité de Pithiviers. Elle restera fermée. C’est une décision du secrétaire d’État, ministre délégué à la santé Bernard Kouchner, suite à sa visite dans cet établissement hospitalier du Loiret le 8 septembre. Début juillet, un accident d’anesthésie avait coûté la vie à une femme. Conclusion : le service de chirurgie sera transféré à Étampes dans l’Essonne et la maternité devra embaucher deux médecins anesthésistes avant de pouvoir rouvrir. Sachant qu’il manque trois cent quarante anesthésistes dans les hôpitaux dont soixante-dix dans les centres hospitaliers universitaires (CHU)…, la maternité, célèbre pour ses techniques d’accouchement sans douleur, risque de souffrir longtemps !

Scénario identique dans les autres établissements sanitaires, où, si le régime imposé par Juppé en 1995 ne coûte pas la vie à tous les usagers (heureusement !), il n’en reste pas moins inquiétant sur les conséquences quant à la qualité des soins dispensés. Pénurie d’infirmières, de personnels administratifs et ouvriers, l’hôpital en France est malmené. Et cela dure depuis 1975, date des premières restrictions budgétaires dictées à l’époque par Mme Veil, alors ministre de la Santé ! Des gouvernements successifs, les « réformes » n’ont rien changé. La santé coûte trop cher, il faut restructurer : fermeture des hôpitaux de proximité, redéploiements, diminution des effectifs… une seule préoccupation : diminuer les dépenses.

À la différence de ses prédécesseurs, Juppé en avait fait tout un plan… devenu célèbre en décembre 1995. Aujourd’hui, il s’explique. Le 1eré mars 1997 ont été installés les agences régionales de l’hospitalisation avec à leurs têtes des super préfets sanitaires chargés d’exécuter les basses œuvres : « rationaliser l’offre de soins » et « favoriser la complémentarité entre établissements » (dixit Dominique Cadreau, directeur de l’agence Ile-de-France et ancien patron d’une chaîne de cliniques privées). En langage social-libéral, c’est à l’exemple de la Seine Saint-Denis « se partager le marché de la cardiologie pour les hôpitaux d’Aulnay, de Montfermeil et du Raincy. À charge pour eux de se répartir urgences, coronographies, angioplasties et actes chirurgicaux »… Voire, si l’hôpital public ne fait plus le poids, d’offrir le service au privé. Ainsi, toujours dans le 93, l’hôpital de Saint-Denis adresse ses urgences au « Centre cardiologique du Nord », une clinique réputée…

Avec les restructurations budgétaires, il faudra aussi apprendre à se déplacer. Fini l’hôpital à deux pas de chez soi. « Accoucher à Étampes, mais être pris en charge à Pithiviers » : 50 km ! Les fausses routes ne seront plus permises…

Ainsi, pouvoir de droite ou de gauche, les ministres se suivent et se ressemblent étrangement. La santé coûte trop cher… mais elle rapporte aussi… Selon le quotidien Le Monde « la valeur ajoutée qui est égale à la différence de la production de biens […] et la valeur des consommations intermédiaires (médicaments) s’est élevée à 415 milliards de francs en 1992 », l’équivalent de la branche « transport et communications ». De quoi ravir… les accros du libéralisme. La santé, un marché comme les autres… Pas étonnant alors qu’elle soit soumise aux règles d’or de l’économie capitaliste : les hôpitaux peu rentables seront fermés… ceux moyennement satisfaisants (par exemple, l’hôpital public) maintenus pour faire bonne figure… quant aux cliniques privées à but lucratif… leur développement est assuré puisque la santé est un secteur « créateur de richesses ».

Alain Dervin
groupe Pierre Besnard (Paris)