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Italie

Le Néo-fascisme des Ligues du Nord

Le jeudi 25 septembre 1997.

Le 14 septembre, la Ligue du Nord d’Umberto Bossi, cette organisation régionaliste, indépendantiste, et surtout néo-fasciste, organisait une manifestation à Venise. À ce propos, voici la traduction d’un article paru dans l’hebdomadaire de la Fédération anarchiste italienne.



Notons aussi, que le 20 septembre, une manifestation de plusieurs dizaines de millier de personnes a eu lieu dans cette même ville à l’appel de plusieurs syndicats afin de s’opposer aux Ligues.

Ce matin à Cannaregio, la gentille dame du bar commentait, désenchantée, qu’à Venise « c’est toujours le carnaval » mais que le 14 septembre elle fermera boutique car elle refuse de servir les Chemises vertes.

Ce sera une petite chose, mais c’est un beau geste concret contre le regroupement des ligues. Un geste spontané et désintéressé que la gauche devrait prendre en compte.

Durant cette dernière année, Venise a certainement été la scène d’un carnaval politique qui aurait plu aux situationnistes : premièrement le bluff de la situation « océanique » pour l’indépendance de la Padanie, puis les ballets préélectoraux avec Cacciari, femme vedette de la ligue, donnant l’assaut télécommandé au clocher de Saint-Marc, avec le spectacle sécessionniste qui suivit, géré en direct par Gad Lerner (journaliste de la télévision italienne, « grand animateur » de débats — NDT) jusqu’à l’arrivée de ce second Independance Day « padin » avec les différentes manifestations faites autour. Pour donner corps et visibilité médiatique à ces dernières, ils sont nombreux à se mobiliser, du Parti démocrate socialiste (ex Parti communiste — NDT) aux autonomes, au gouvernement, aux volontaires catholiques, aux confédérations syndicales, au Leoncavallo (squat), sur un éventail de mots d’ordre ambigus et inadaptés.

Il suffit de lire l’appel pour le 20 septembre des CGIL — CISL — UIL pour obtenir une désagréable impression de déjà vu : « […] face à la persistance du phénomène de rébellion anti-institutionnelle […] la région de Venise démocratique […] prendra ses distances […] avec les différentes formes d’illégalité et de violence qui peuvent se déclencher et qui poussent à l’illégalité… »

Et après, il y a l’évidente contradiction de fond, si le phénomène des ligues est vraiment dangereux (et en effet il ne faut pas le sous-évaluer), des partis et des différentes organisations sociales qui disent vouloir lutter, et qui n’ont pas eu le courage d’empêcher le regroupement des ligues en occupant tout Venise le même jour que celui choisi pour le show national-populaire padin. Ils disent vouloir éviter les affrontements frontaux qui font le jeu… etc. mais ce discours aussi a déjà été entendu jusqu’à la nausée et il s’est toujours révélé perdant. Il aurait suffit de convoquer à Venise pour le 14 septembre la même grande manifestation qu’à Milan le 25 avril 1994 (cette fois contre le racisme « nazisoïde » de la Ligue du Nord) pour mettre un pavé dans la mare de Bossi et sur les rêves de pouvoir de son électorat.

L’opportunisme de la gauche

Le fait est que la gauche parlementaire, Refondation communiste incluse, ne veut pas arriver à une rupture définitive avec le peuple des ligues, d’une part parce que « leurs voix sont toujours des voix » ; d’autre part, parce qu’ils ne voudraient pas les jeter définitivement dans les bras de la droite. Opportunisme qui risque de rendre plus forte la ligue, sans se rendre compte que la base de la ligue (et pire encore pour la Ligue de Venise) est culturellement déjà plus à droite que les « post-fascistes » de l’AN (Avenguardia nationale — parti nazi — NDT) qui, au moins, conservent un minimum de bon goût quand ils parlent de l’immigration.

De cela, même les marxistes-léninistes les plus intransigeants ne semblent pas se rendre compte. Fabulant sur « l’unité de classe avec le prolétariat des ligues », ils voient « le peuple des ligues comme celui le plus proche de nous […] composé (en bonne partie) des prolétaires sains et énervés qui se retrouvent joyeusement ensemble et militent. »

Personne ne nie que, parmi les gens des ligues, il y a une composante issue de la classe ouvrière, mais s’appuyer sur ça pour savoir « que faire » envers eux serait suicidaire. On sait que l’identité de classe n’est jamais uniquement liée à la production de la plus-value. S’il en était autrement, le travailleur appartenant aux ligues, qui produit de la plus-value à des cadences stakhanovistes, serait un super-révolutionnaire communiste !

Il suffit de voir un meeting ou une fête padane pour se convaincre que derrière le folklore il y a un potentiel de haine xénophobe et d’autoritarisme alarmant dans lesquels on peut entrevoir les symptômes d’une possible « croatisation » du Nord-Est.

Si on observe l’attitude policière des Chemises vertes (chemises vertes comme celles de la « Garde de fer » du fascisme roumain — NDT), leur service d’ordre, leur exaltation du chef ; si l’on constate le rôle central joué par les symboles néo-celtiques, les mythes et les rites national-socialiste, on comprend mieux pourquoi des parties du prolétariat adhérent à cette idéologie, comme dans le passé, une partie de la classe ouvrière a pu adhérer au parti nazi. On oublie souvent les aspect populistes et anticapitalistes de la propagande nazie qui lui ont permis de pénétrer dans des villes ouvrières comme Hambourg, Berlin ou Leipzig où les premiers SA étaient des ouvriers, des chômeurs et des sous-prolétaires.

Le racisme des Ligues

Bien sûr, nous ne sommes pas à Weimar, mais il faut faire attention. Par surenchère raciste, la ligue en est arrivée à parler de « complot juif ». Dans la région de Trévise, en juin dernier, des affiches ont été collées réclamant la libération des « sérenissimes » (c’est-à-dire des Vénitiens — NDT) et menaçant de représailles « 1 Padin = 10 Italiens ». Peut-être que tout ceci n’est que du mauvais goût, mais cela nous fait réfléchir sur le type de culture qui imprègne les militants et les électeurs des ligues.

Des maires de la Ligue du Nord donnent le bon exemple. À Montebelluna, le maire fait des courses de voitures dans les camps de nomades. Celui d’Oderzo participe à une cérémonie pour les morts de la République de Salo (république crée dans le nord de l’Italie par le gendre de Mussolini à la fin de la seconde guerre mondiale — NDT). Son collègue de Chioggia insulte publiquement les partisans (anciens résistants antifascistes — NDT) et le maire de Lugano promet des barbelés aux Albanais. Le summum est atteint avec le maire d’Alassio qui organise une chasse à l’extra-communautaire avec comme prime une jolie fille.

Cependant, la gauche veut toujours faire de la surenchère. Pino Cacucci dans le journal Il Manifesto (équivalent de Libération — NDT) du 20 août dernier, écrivait : « La maladie du consensus à tout prix a toujours miné la stratégie et la praxis du Parti communiste italien, qui trop souvent n’a pas eu le courage de perdre des voix afin de gagner des consciences… Les gens veulent que l’on dise qu’il y a une émergence immigrée, les maires du Parti démocrate socialiste le proclament ».

Pour tout cela, il est souhaitable que l’opposition sociale ne fasse pas semblant de rien, permettant ainsi qu’à Venise il y ait la mystification d’une confrontation entre un État italien et un État padin dont les résultats poseraient d’énormes problèmes pour les perspectives de libération de la société.

Nous invitons à manifester notre irréductible hostilité à tout type de racisme et de nationalisme, en sachant que cette paix sociale est le meilleur terreau pour une fausse opposition et l’occasion pour la ligue d’orchestrer des rébellions spectaculaires.

extrait de Umanita Nova