Accueil > Archives > 1997 (nº 1065 à 1104) > 1094 (2-8 oct. 1997) > [Chronique d’un sabordage annoncé]

SNCF

Chronique d’un sabordage annoncé

Le jeudi 2 octobre 1997.

L’affaire n’est pas neuve : à l’automne 1995 les cheminots se battaient déjà pour le maintien de leur statut, dans un contexte de lutte généralisée pour la préservation de la Sécu .

Le fameux statut, qui donne tant de fièvre à nos bourgeois libéraux, c’est, dans la tête de la population cheminote, autant la garantie de l’emploi que le haut niveau de protection sociale ou encore l’unicité de la SNCF.

Cela peut paraître étrange mais cette dernière revendication est la plus importante. Dans un contexte de concurrence où le prix et les coûts importent plus que le service offert, le statut et les garanties qui y sont attachées ne sont plus viables.

La volonté de casser les services publics

Cette logique de mise en concurrence des activités (les plus rentables, cela va sans dire) des entreprises publiques est clairement exprimée dans la directive 91-44C de la Communauté européenne. Selon ce texte, et ses diverses adaptations par les parlements nationaux, obligation est faite aux entreprises assurant un service public de séparer leurs comptes puis leurs activités ; le partage se faisant en particulier entre construction/entretien des infrastructures et exploitation de ces dernières. De là découle la très pénible et très longue création du Réseau Ferré de France (RFF) qui hérite des grandes infrastructures ferroviaires et de 125 milliards de dettes en janvier 1997. De là découle également la filialisation prévue pour janvier 98 du service Télécom de la SNCF(6000 km de lignes en fibre optique) sous prétexte que ce n’est pas une activité proprement ferroviaire. Le second aspect de cette « philosophie » est la mise en concurrence au nom de « l’intérêt général ». Or, on sait très bien que dans une société capitaliste, certains ont de plus gros intérêts que les autres ; d’où le fait que la concurrence conduit les entreprises à pressurer leur personnel avant de se désintéresser des prestations les moins rentables. L’exemple le plus flagrant est France Telecom où le réseau sans fil est déjà en concurrence et où tout le reste le sera dès janvier 1998. Le personnel, quant à lui, est déjà embauché sous (au moins) deux statuts différents. Comble du bonheur, la filiale Telecom développement s’allie avec Bouygues pour créer la Cegetel, démontrant ainsi que de bons équipements, payés par les fonds publics, peuvent parfaitement faire la joie et les bénéfices des investisseurs privés. Le RFF, quant à lui, arrive sur la scène porteur d’un certain nombre d’ambiguïtés apparentes. En effet, il reprend à son compte 125 milliards de francs (plus les 20 milliards de la dot Gayssot), ce qui donne de l’air à la SNCF et ce qui correspond également à une revendication forte des cheminots, estimant à juste titre que l’on ne peut pénaliser le chemin de fer et ses usagers sous prétexte d’une dette qui est celle de l’État.

Alors : la réforme ou la casse ?

En fait d’ambiguïté, il n’y en a pas tant que cela… Les patrons et le gouvernement sont bien obligés de tenir compte du rapport de force social. À l’automne 95, en cherchant à nous briser les reins, ils ont reçu un monumental coup de pied au cul : l’erreur n’est pas forcément à renouveler. Par ailleurs, et à la différence de France Telecom ou d’E.D.F., où la résistance est également forte, on ne peut pas faire passer le train par les airs ou le satellite ! Ou encore passer par les pays frontaliers pour contourner la résistance du personnel… ! Alors, ils mettent en place les structures qui saborderont le service public, donnent quelques garanties dans l’immédiat et, pour le reste, laissent pourrir la situation. Pour l’instant, le patronat et le pouvoir politique ont assez à faire avec le démantèlement de la protection sociale, la santé, France Telecom, l’énergie et j’en passe. Mais ne nous y trompons pas, notre tour viendra et vite. Récemment Martinand, ancien rapporteur en charge des transports, déclarait que la réforme (mise en place de RFF) s’appliquerait et que la dette était bien celle de la SNCF ! Il parait que ce monsieur est pressenti pour assumer des fonctions de direction à la SNCF Gayssot parle aujourd’hui de « réformer la réforme » et non plus d’abrogation comme lorsqu’il était député. Dans le même temps, il demande à la direction d’embaucher mille jeunes en plus des 4 500 prévus pour l’année et cela en contrepartie des vingt milliards supplémentaires de dette pris en charge par l’État. Mais, ô surprise, ces mille contrats seront de droit privé.

Seule la lutte paie !

Dans ces conditions, les cheminots montrent de plus en plus souvent leur ras-le-bol et leur colère. Les débrayages sont fréquents sur les questions les plus diverses. C’est le trop plein des repos non respectés, des cadences qui augmentent, la banalisation des roulements qui ne garantissent pas un réel repos et rendent les retours au domicile de plus en plus difficile. Sur le Réseau, on a vu également apparaître les revendications pour l’embauche des jeunes actuellement en contrat précaire. Il faut aussi tenir compte du fait que les cheminots sont âgés (plus ou moins 45 ans en moyenne), que le travail s’effectue surtout en horaires de nuit, décalés ou irréguliers. Ce qui provoque un surcroît de fatigue. Par conséquent, les cheminots sont directement intéressés par l’embauche de personnel nouveau, bien plus que par le débat sur le RFF, du moins tel que celui-ci est amené par le PS, la CFDT et les médias en général. Le 8 octobre, la CGT, la CFDT, FO et la FGAAC (Autonomes) appellent à une journée de grève pour la défense des garanties statutaires et notamment la protection sociale. Comme par hasard, on ne parle pas d’abrogation du RFF ! Officiellement, parce que FO et la FGAAC ne veulent pas entendre parler de cette abrogation alors que la CGT et la CFDT en sont de fervents promoteurs. Mais il faut bien dire que la CFDT n’est pas unanime sur le sujet et veut éviter d’aggraver le conflit avec sa fraction pro-Notat (pro-réforme). La CFDT a donc opportunément quitté la séance du comité central d’entreprise qui devait se prononcer sur le RFF. Pour ce qui concerne la fédération CGT, elle est bien ennuyée de se trouver face à un « camarade-ministre » qui veut « réformer la réforme ». Aujourd’hui, la CGT et la CFDT jouent l’unité avec FO et la FGAAC, deux syndicats très minoritaires à la SNCF mais qui posent un préalable « intéressant » : on ne parle pas d’abrogation !

En somme, les tensions politiciennes sont toujours bien présentes dans le jeu syndical. Pour les salariés, il y a une réalité des faits qui prime sur le reste. Il est évident que cette réforme a pour but de les diviser, de les briser et surtout de faire passer les fabuleux bénéfices produits par une entreprise aux mains des bourgeois plutôt que de les réinvestir pour le bien-être de tous.

Laurent Martin