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Le devenir de la communication

Le jeudi 9 octobre 1997.

Nous avons eu l’occasion d’assister à une navrante exhibition d’états d’âme, lorsqu’un chauffeur éthylique, un riche jeune homme et sa non moins riche princesse ont vu la continuation de leurs existences contrariée par un pilier sur les voies expresses. Qu’importent les causes de l’accident, l’histoire n’en retiendra probablement que l’anecdotique course poursuite de la princesse lapin par les paparazis chasseurs dans l’affolante moiteur de la nuit parisienne. On raconte même dans les salons de thé que des photos de l’horrible carnage traîneraient de ci de là sur l’Internet… Quelle honte, ma brave dame !

Dans les jours qui suivirent, nous eûmes droit aux journaux, livres et funérailles en mondiovision. Une façon comme une autre de se racheter pour les affreux journaleux qui avaient assassiné la « princesse des pauvres ». Il est dommage que Coluche aussi ait péri sur le bitume, il pourrait ajouter à son ministre, une princesse comme victime de la presse. Et l’on en vient à regretter que Léon Zitrone nous ait quitté aussi : à quel beau commentaire de la course avons-nous échappé ? Symphonique sans doute ; mais cessons de persifler.

Les responsables ?

Pourquoi la mort de Diana a-t-elle suscité tant d’émois ? À qui profite le crime ?

À la presse, pour commencer, sans laquelle des individus tels que la princesse ne signifieraient rien.

Aux spectateurs du spectacle médiatique qui trouvent dans le mythe « Lady Di » une échappatoire simple à la condition humaine.

Aux annonceurs qui sont certains que les regards s’arrêteront sur les pages où le sang s’étale et, incidemment, sur leurs publicités débilitantes et impudiques. J’ignore si vous réagissez comme je le fais mais lorsque je réfléchis au prix des bagnoles ou aux tarifs annuels des abonnements aux téléphones cellulaires et que des craignos encravatés me susurrent que ce n’est vraiment pas cher, j’ai des bouffées de colère qui montent.

Si nous prenons le temps de regarder un journal en tant qu’objet, sans tenir compte du contenu rédactionnel à proprement parler, force nous est faite de constater que presque tous, au delà des couleurs politiques ou confessionnelles, sont pensés, conçus, réalisés pour nous séduire, nous faire « baisser la garde », nous convaincre que le paraître l’emporte incontestablement sur l’être et, finalement nous amener au geste majeur, celui qui nous différencie des ploucs, le geste de l’acheteur qui tapote son numéro de carte bancaire, signe un chèque ou ramasse sa monnaie.

Souvent, à la lecture d’un magazine, je ne parviens pas à savoir si le génie du secrétaire de rédaction a su faire tenir une publicité à côté de l’article adéquat ou si, pensée bien plus inquiétante, le choix de cet article a été dicté par la présence de la publicité sur cette même page. Tirant personnellement une partie de mes revenus de l’art de faire passer le message publicitaire en douceur, je sais que souvent, hélas, c’est la deuxième explication qui prévaut. Cependant, il m’arrive encore d’espérer qu’il n’en va pas partout et toujours de même.

Même le scrountchissime courrier des lecteurs est aujourd’hui assimilable à de la publicité. Que celle-ci soit commerciale ou non importe peu. La règle d’or est la normalisation. Les altérités doivent être gommées et pour cela, conservons le spectateur passif en lui donnant, non pas de l’information, mais ce qu’il sait déjà sous une forme nouvelle. L’acte de réflexion évacué, le légume lecteur, auditeur ou spectateur est capturé et peut gober la soupe que nous lui concoctons.

Le vice est tellement intégré dans les coutumes que même les plus « révolutionnaires » d’entre nous y sombrent occasionnellement.

Prenons l’exemple du Monde libertaire. Son objectif n’est pas de vous vendre des produits mais de vous faire partager la pensée des anarchistes. À cette fin, les militants qui constituent le Comité de rédaction sont amenés, chaque semaine, à choisir les sujets qui seront traités dans ces huit pages, à retenir ou, au contraire, à rejeter des articles en fonction de l’actualité du moment. À des exceptions près, la une du journal est liée à un point que lectrices et lecteurs s’attendent à voir traité et il n’est pas rare lors des ventes à la criée d’entendre des passants nous demander avec étonnement pourquoi un « événement » ne figurait ni en une, ni dans les accroches de une.

Alors que nous voudrions distiller la liberté, nous nous heurtons encore aux vieux démons. La question de savoir si une contribution intéressera ou pas les destinataires du message pollue encore trop nos esprits.

Cela pour dire que nul journal n’échappe à une certaine forme de clientélisme, car c’est dans la nature de la presse traditionnelle. C’est un mal structurel et incurable si l’on ne s’extrait pas de la forme classique de diffusion de l’information.

Vers une autre communication

Les auteurs partagent avec les spectateurs l’illusion qu’un organe de presse, c’est comme ça que cela fonctionne et qu’il ne peut en être autrement. Ont-ils raison ? N’existe-t-il pas des outils qui permettent de briser le fatum médiatique ? Reste-t-il une place pour Prométhé ?

Si nous nous cantonnons aux outils traditionnels, nécessitant des émetteurs d’une part, et des récepteurs à l’autre extrémité du circuit, la réponse à toutes ces question est négative et le restera indéfiniment.

Mais nous pouvons aussi reconsidérer d’anciennes méthodes de diffusion de l’information en les rajeunissant. Et c’est précisément ce qu’ont commencé à faire un petit nombre d’individus. Ils ont réinventé, grâce au confort technologique de cette fin de millénaire, le médium le plus puissant et le moins contrôlable : la correspondance.

Partout, les télécopieurs, les téléphones, les câbles de l’Internet viennent bouleverser le jeu, libérant la diffusion de l’information de l’emprise du petit dénominateur commun.

Rompant avec les pratiques usuelles, des femmes et des hommes échangent des informations (« grandes » ou « petites ») sans se soucier de préséance ou d’efficacité. Par le simple fait que l’information est offerte à la libre consultation de chacun et que tous peuvent être diffuseurs, récepteurs et commentateurs, on peut affirmer, sans exagération, que quelque chose se met en place qui va modifier radicalement le paysage médiatique auquel nous étions habitués. Nous allons nous affranchir de l’objectivité, cet outil de normalisation imbécile, et goûter les joies de la subjectivité, autrement dit de l’affirmation de notre existence individuelle. L’heure des garçons sauvages sonne enfin et cela grâce aux outils de l’adversaire, délice des délices !

Et tant pis si quelques inconvénients perturbent nos vies pendant la phase de transformation et si certains d’entre nous perdent leur « gagne-pain ». Ne plus avoir à subir l’amertume de certains bulletins de salaire compensera largement le préjudice « social ».

Alain L’Huissier