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À la petite semaine

Le Grand pardon

Le jeudi 9 octobre 1997.

Les bras nous en tombent. La lassitude nous gagne. L’accablement triomphe. Quoi, face aux gestes les plus beaux, il faut donc encore et toujours que se fassent entendre les commentaires narquois, l’ironie féroce et déplacée, que les déclarations les plus émouvantes soient aussitôt moquées, discutaillées mesquinement, étouffées sous le poids du discours idéologique tout de rancœur et de haine ?

« Tardifs regrets », dites-vous de la récente « déclaration de repentance » de l’Église de France. Mais, que diable, eu égard aux siècles écoulés avant que la Terre ne devienne officiellement ronde et Galilée réhabilité, ces cinquante-sept petites années de mutisme depuis la promulgation du statut des juifs ne font-elles pas figure de réaction instantanée ? Et puis ce souci de calmer le jeu par le choix des mots, en appelant « silence » une complicité avérée aux crimes les plus hideux, en nommant simple « faute » une collaboration active avec un régime qui promulgua en matière d’antisémitisme une sorte de loi de non-séparation de l’Église et de l’État, n’est-il pas poignant et de nature à éviter une surenchère verbale bien inutile ?

Enfin, excuses pour excuses, les juifs insatisfaits ne devraient-ils pas s’honorer, au contraire, de s’en voir offrir par des professionnels du pardon, au savoir-faire incontesté, fabriquées dans leur usine à repentances toujours imitées, jamais égalées ? Son patron, le pape, n’en est-il pas (excusez du peu !) à près d’une centaine en la matière, et pas des moindres : les croisades, l’Inquisition, Galilée, les guerres de religion, la traite des Noirs, l’extermination des Indiens ?.. Un tel flot ininterrompu d’ignominies jalonnant son histoire, une telle constance dans la bénédiction des plus viles saloperies de l’histoire humaine ne désignent-ils pas l’Église comme spécialiste indiscutée de la contrition haut de gamme ?

Cette attitude magnifique des plus hautes autorités ecclésiales de l’Hexagone saura-t-elle être suivie ? Après elles et d’anciens membres de Cosa Nostra, verra-t-on par exemple les héritiers du parti bolchevique reconnaître leurs crimes ? Toutes les mafias, ou presque, auraient alors leurs repentis… et pourraient ainsi continuer à se livrer à leurs abominations la conscience plus sereine…

Floréal