Accueil > Archives > 1997 (nº 1065 à 1104) > 1097 (23-29 oct. 1997) > [Rompre avec le capitalisme]

Au-delà des 35 heures…

Rompre avec le capitalisme

Le jeudi 23 octobre 1997.

La conférence sur l’emploi, les salaires et la réduction du temps de travail est donc bouclée avec l’annonce du passage aux 35 heures au 1er janvier 2000…

À la sortie de cette rencontre le président du CNPF, Jean Gandois, jouait les furieux en s’estimant berné puis victime d’un complot. Le vice-président, Kessler, prenait même l’initiative d’annoncer un boycott de toutes les instances paritaires en guise de représailles. Gandois, qui a démissionné la semaine dernière parce que jugé trop conciliant envers les socialistes, doit maintenant être remplacé par un ultralibéral tendance « tueur » (pour reprendre un terme employé par l’ex-patron des patrons)…

Côté gouvernement, le sourire béat est de rigueur et la gauche dans son ensemble affiche sa satisfaction. Le parti communiste n’hésite d’ailleurs pas à affirmer que la conférence du 10 octobre constitue un encouragement gouvernemental aux luttes sociales et le titre prometteur « Ça va secouer » fait la une de L’Humanité.

Secouer, mais secouer quoi ? On peut se le demander quand on fait réellement le bilan de ce sommet.

Ces réactions trop tranchées pour être honnêtes s’inscrivent plus dans un jeu de rôle où chacun cherche à rassurer son public, à rouler des mécaniques pour convaincre soit que le vote de gauche est bel et bien utile (voir les propos de Julien Dray) soit que la droite patronale et politique reste bel et bien la droite…

En tout cas, on peut dire que des records sont battus dans le domaine du mensonge et de la falsification des réalités sociales ; et les salariés, précaires, chômeurs n’ont malheureusement rien gagné dans cette affaire…

Les 35 heures flexibles et sous-payées

L’annonce d’une date butoir pour le passage aux 35 heures est effectivement très loin d’être une victoire.

D’abord, hormis le fait qu’il peut encore se passer beaucoup de choses en deux ans, le projet de loi n’est pas celui des « 35 heures payées 39 » contrairement à ce que peuvent prétendre les confédérations syndicales (qui se battent pour revendiquer la paternité de la réforme).

Jospin et Aubry ont bien pris la peine de le préciser à haute et intelligible voix : la « modération salariale est nécessaire pour ne pas nuire à la rentabilité des entreprises » et ils ont affirmé leur volonté de poursuivre la diminution des charges « qui pèsent sur le travail ».

Ensuite les principes de la flexibilité et de l’annualisation du temps de travail sont acquis. Les négociations « entreprise par entreprise, service par service » (et l’on serait tenter de continuer : poste par poste !) ne risque pas de tourner en faveur des salariés, vue la faiblesse de l’implantation syndicale dans le secteur privé. Le patronat va en fait pouvoir accélérer ce qu’il pratique déjà depuis quelques années : le partage du travail (incluant par définition le partage des salaires) et tout cela au nom de la lutte contre le chômage.

Une mise en scène… pour une mise au pas

La démission de Gandois et le coup de gueule du patronat et des partis de droite, avec en parallèle (et de façon symétrique) la joie totalement exagérée et démagogique des diverses formations de gauche, s’inscrivent en réalité dans la poursuite de plusieurs objectifs.

Pour les patrons, il s’agit de donner le « la » pour les futures négociations et réductions de salaires.

Pour le gouvernement et la droite politique, il s’agit également de préparer les prochaines élections régionales et cantonales.

Plus globalement, le simulacre d’affrontement entre les « socialistes » et le patronat, permet de contrôler la situation sociale.

En singeant une grande scène de ménage, les « partenaires sociaux » définissent ainsi ce qui est possible et ce qui ne l’est pas ; ils nous présentent les 35 heures comme une limite du raisonnable que personne ne saurait pouvoir franchir ; ils nous disent en quelque sorte : voyez combien il est difficile de mettre en place les 35 heures, alors imaginez ce que cela donnerait si nous voulions allez plus loin....

En fixant la date lointaine du 1er janvier 2000, la gauche se ménage la possibilité de dire, par ses intermédiaires syndicaux : attendez, ne vous impatientez pas, le progrès social est en cours, alors ne mettez pas en danger les réformes en cours par des grèves intempestives…

Enfin, comme par un coup de baguette magique, l’annonce « surprise » de la loi cadre a fait oublier tous les (autres) mauvais coups du gouvernement. Nous pouvons en rappeler quelques-uns.

De nouveaux cadeaux sont faits au patronat sous la forme de primes et d’exonérations de charges (ce qui au passage contribue à achever la sécu).

La Loi Robien est revue et corrigée à la hausse avec l’attribution d’une prime de 9 000 FF par salarié aux entreprises qui réduiront la durée du travail de 10 %. L’employeur en profite ainsi pour rajeunir son personnel et remplacer des travailleurs bénéficiant d’ancienneté par des jeunes smicards…

Dernier exemple : le pouvoir inaugure une totale remise en cause du droit du travail avec l’annonce de la mise en place de chèques emploi-service pour l’embauche du premier salarié. Une mesure qui passe inaperçue mais qui ouvre néanmoins de grandes perspectives aux partisans du travail à la carte…

Le gouvernement a politiquement gagné… Pour l’instant !

Le soi-disant courageux « coup de barre à gauche » ne fera pas changer les règles du jeu économique. Ce qui caractérise en effet la période actuelle, c’est le continuel rétrécissement de la marge de manœuvre des réformistes.

Prise dans une course effrénée à la rentabilité, l’économie capitaliste ne tolère plus aucune erreur. La compétition devient une véritable guerre économique. Ce phénomène en explique aussi un autre : plus les politiques d’austérité se durcissent, plus le pouvoir et les classes dominantes doivent utiliser le matraquage idéologique et médiatique pour espérer contrôler et prévenir des crises politiques majeures… Cela signifie également que le nombre d’attitudes possibles face au système s’est sensiblement réduit.

Ceux et celles qui veulent continuer de croire à la réforme (par naïveté ou par calcul politique) se sont peu à peu retrouvés à simplement gérer le système, en y mettant parfois une dose de social, mais ne s’en soumettant pas moins à l’impitoyable dictature des marchés.

En clair, si l’on accepte que subsiste un marché, des employeurs, des salariés, des monnaies, etc (bref, les fondations du libéralisme), on ne peut avancer que des projets et des revendications « raisonnables », c’est-à-dire conformes aux règles économiques en vigueur.

Dans ce cas, il ne peut plus être question de défendre une réduction du temps de travail qui handicaperait la compétitivité des entreprises. L’impasse du partage du travail devient la seule perspective « réaliste »…

Par contre, si l’on choisit de combattre et de rompre avec le capitalisme, il nous faut développer et populariser un projet sociétaire anarchiste, et amener des revendications de rupture.

Se battre sur des revendications de rupture !

Salariés, précaires, chômeurs, nous n’avions rien à attendre de cette conférence. Anarchistes, nous n’avons de toute façon jamais cru à la possibilité de réformer en douceur le capitalisme ! C’est uniquement le rapport de force, imposé par les travailleurs, qui compte.

Par conséquent, notre premier souci doit être de redynamiser des revendications actuellement dénaturées, manipulées, falsifiées par le Pouvoir, les classes dominantes, et les bureaucraties syndicales.

Nous devons défendre la revendication de la réduction du temps de travail uniforme et avec augmentations de salaires, en l’associant à une critique de fond du salariat et non plus comme une simple réponse d’économiste au problème du chômage.

Nous pouvons tenter d’impulser de nouvelles luttes contre le chômage et la précarité, avec le refus de tous les licenciements, des statuts précaires dans le privé comme dans le public.

Nous pouvons inventer de nouvelles revendications pour construire une autre école, en refusant qu’elle soit mise à la botte du patronat toujours sous prétexte de préparer les enfants au monde du travail… capitaliste !

Sur la question des services publics, nous avons l’opportunité de refaire valoir les notions d’utilité sociale, de socialisation, de gratuité.

Le démantèlement de la Sécurité sociale devrait nous inciter à repenser des exigences de type autogestionnaire, dans l’objectif de nous réapproprier la maîtrise totale de cet outil essentiel de protection sociale en refusant toute cogestion avec le patronat et l’État.

Au delà d’une défense crispée autour d’acquis, nous pouvons nous mobiliser pour revendiquer l’extension du principe de service public à d’autres domaines de production sociale comme celui par exemple du logement.

La lutte pour la régularisation de tous les sans-papiers, en allant à l’encontre du consensus anti-immigrés (et en plus d’être un devoir moral) contribue directement à la construction d’un antifascisme anticapitaliste et révolutionnaire…

Voila autant d’axes de mobilisation, en rupture avec le capitalisme, et autour desquels peut se construire un nouveau mouvement social révolutionnaire !

Régis
groupe Déjacque (Lyon)