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Sursaut dans l’Éducation nationale ?

Le jeudi 3 février 2005.

Après les échecs du printemps 2003 sur la loi de décentralisation et les retraites, on pensait qu’il serait encore difficile de mobiliser dans l’Education Nationale pendant un certain temps. Il est vrai que le moral a été atteint et que, plus grave encore, la confiance dans la capacité collective de changer les choses s’était bien émoussée. Dans le même temps, le gouvernement peine un peu à mettre en place son projet de décentralisation, comme quoi la résistance déployée n’a pas été totalement inutile. L’an passé, c’est surtout à des cas de répression syndicale
graves, comme dans tous les autres secteurs, et à des abus de la hiérarchie que les personnels ont été confrontés. Rappelons le cas de Roland Veuillet, CPE à Nîmes et muté arbitrairement à Lyon. Après un long combat : 800 km à pied de Nîmes à Paris, entre août et décembre 2003 et une grève de la faim de 40 jours devant le ministère de l’Éducation Nationale en 2004, il a appris le 25 janvier le verdict du Conseil Supérieur de la Fonction Publique : que les faits reprochés n’étaient avérés. C’est une victoire pour lui et tous ses soutiens (notamment Sud-Education), mais combien d’autres cas non-résolus ?

Trop, c’est trop !

Qu’est-ce qui fait qu’à nouveau on peut sentir frémir un vent de colère ?
Pourquoi en grève pour plus de 50 % d’entre eux le 20 janvier dernier, les
personnels de l’Education Nationale sont-ils massivement descendus dans la
rue alors que la résignation semblait l’emporter ?

C’est l’ensemble du monde du travail qui est touché par des licenciements
et la remise en cause des acquis sociaux. Le fait que d’autres secteurs
des Services publics se soient mobilisés dans la même semaine de façon
relativement unitaire a sûrement été une raison de la réussite de cette
journée, le passé ayant montré la nécessité impérieuse de luttes
inter-professionnelles. Il y a dans l’Education Nationale un vrai
ras-le-bol. On accuse « l’incompétence des enseignants à assurer la
réussite scolaire de tous les enfants », quand on sait que les causes de
l’échec sont avant tout sociales et que sans agir profondément et
durablement sur les conditions de ressources et de vie des familles, rien
ne pourra être réglé. La France serait l’un des pays à dépenser le plus de
moyens pour son école, donc, puisque les moyens n’auraient pas d’incidence
directe sur les résultats , on peut se permettre de ne pas remplacer la
moitié de ceux et celles qui partent en retraite. Ainsi 5 500 emplois sont
supprimés dans le second degré. Les fermetures de classe annoncées dans le
premier degré sont aussi catastrophiques (60 dans la seule académie de
Rouen !)

Les personnels dans leur ensemble, et les parents par la même occasion,
sont « incapables de remplir leur rôle éducatif et d’apprendre les règles
de vie en société aux jeunes », alors on licencie les emplois-jeunes, on
réduit les heures de surveillance et on envoie la police pour mâter les « 
sauvageons ». En effet, le 6 janvier dernier, on a assisté dans beaucoup
d’établissements « sensibles » à un déploiement de forces de l’ordre pour
fouiller et impressionner les jeunes. Il n’y a aucune raison pour que cela
s’arrête !

La précarisation et la privatisation sont des éléments structurels de
gestion des personnels et des missions et sont liés à une volonté de
réduire le coût du Service Public.

C’est ce qui est en jeu dans la loi que le Ministre Fillon s’apprête à
présenter à l’Assemblée.

Le projet Fillon réactualise la fonction sociale de l’école

L’idée que l’école et les choix d’orientation des jeunes doivent être
guidés par les besoins prévisibles de la société et l’économie est une
constante dans le projet de loi. La fonction sociale de l’école serait
d’adapter les élèves aux conditions de la compétitivité économique. De
plus, le vocabulaire employé est significatif. S’il est réaffirmé que
l’école doit apporter des connaissances, des savoirs-faire, des
savoirs-être, le terme de compétences est largement utilisé.

Le projet est élaboré sur la base de ce que l’école coûte à la société

D’où la mise en place d’un socle commun de compétences et de connaissances
indispensables et la suppression simultanée des enseignements qui coûtent
cher au regard de ce qu’ils apportent au monde de l’entreprise
(suppression de l’option économique et sociale en seconde…). Ce choix est
le reflet d’une conception purement utilitariste de l’enseignement : en
savoir suffisamment pour être employable et capable d’adaptation. Il
consacre le renoncement à apporter une culture la plus large possible aux
populations qui n’y ont pas accès en dehors de l’école. Il entérine
l’abandon de l’idée que chaque élève est susceptible de progrès.

Pour atteindre cet objectif de réduction des coûts, on fera de plus en
plus appel à des assistants d’éducation, des professeurs associés issus
des milieux professionnels. De même , en cas d’absence d’un prof, les
enseignants peuvent être appelés à effectuer le remplacement en heures
supplémentaires, (plus de remplaçants) et la formation continue sera
désormais effectuée en partie hors temps scolaire.

L’école maternelle est gravement menacée d’extinction. En effet, la grande
section se voit rattachée à l’école primaire dans le nouveau cycle 1 et
dans le même temps, il n’y a plus d’obligation d’accueil pour les jeunes
enfants dont les parents le souhaitent. Economie et retour des femmes à la
maison, on fait d’une pierre deux coups !

La fonction de contrôle social est nettement renforcée :

Au collège, une note correspondant à l’assiduité et au comportement des
élèves sera introduite dans le diplôme national du brevet. Le projet de
loi prévoit également la mise en place d’un « contrat individuel de
réussite éducative ». Présenté comme un moyen d’aider les élèves en
difficultés, c’est aussi un moyen de sélection et d’orientation vers des
filières de relégation. L’introduction du contrat responsabilise l’élève
mais en faisant de lui le seul responsable de son échec ; en effet ici un
des deux signataires du contrat est à la fois juge et parti. (On est loin
du contrat égalitaire cher à Proudhon ou aux militants de la pédagogie
Freinet !).

Ne nous y trompons pas, certains parents et même certains enseignant(e)s
vont peut-être apprécier cette reprise en main de façade. Par ces temps de
chômage, il est légitime de souhaiter que les jeunes puissent tous avoir
un débouché professionnel, même s’ils n’ont pas le choix et sont orientés
de plus en plus tôt. Mais il faut être conscient que cette loi relève
d’une politique globale volontaire de précarisation de la population pour
une meilleure mise sous la coupe libérale. Elle a aussi une fonction
idéologique de normalisation de la jeunesse.

Peut-être les lycéens(nes) largement mobilisé(e)s durant les dernières
manifs et apportant un vrai souffle de dynamisme l’ont-ils pressenti ? Les
enseignants devront encore dépasser leur relative inertie et faire savoir
de toutes leurs forces le refus des lois qui se mettent en place et leur
volonté de construire une véritable école du peuple.

Virginie Benito