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Manifestation des femmes pour l’emploi et la réduction du temps de travail

Le jeudi 13 novembre 1997.

Le 15 novembre prochain à Paris, un rendez-vous est donné par le Collectif national pour les droits des femmes, sur le mot d’ordre « De vrais emplois pour toutes et tous, du temps pour vivre » pour une manifestation nationale.

Souvenons-nous de celle du 25 novembre 1995 où 40 000 femmes et hommes étaient descendus dans la rue, à l’initiative alors de la CADAC, pour défendre les droits des femmes. Cette dynamique unitaire de 150 organisations et associations féministes, syndicales et politiques s’inscrivait en prélude au mouvement social de novembre-décembre 1995. L’un des thèmes forts était déjà le droit à l’emploi.

Bien sûr, chacun sait qu’il ne suffit pas d’une manifestation, aussi imposante soit-elle, pour obtenir gain de cause, d’autant que pèse une longue tradition patriarcale et capitaliste s’appuyant sur la discrimination et l’exploitation. Aussi le thème fut retravaillé en atelier lors des Assises nationales qui se déroulèrent les 15 et 16 mars derniers à la Plaine-Saint-Denis. Il fut mis en relation avec tous les autres thèmes, tant le droit à un emploi, donc à un revenu, conditionne, avec le droit de disposer de son corps, la vie de toutes les femmes. Et il donna lieu à un argumentaire pour pouvoir mobiliser en profondeur. Et les Assises décidèrent d’une campagne unitaire selon trois axes : de vrais emplois, une réduction du temps de travail, du temps pour vivre, pour les femmes comme pour les hommes.

Les femmes ont toujours travaillé, mais longtemps dans l’invisibilité et le bénévolat. Les voilà à représenter 46,4 % de la population active (INSEE 1992), à s’y maintenir même avec des enfants, alors qu’elles sont sous-payées (entre 25 et 30 % de moins que les hommes), sur-chômeuses (56 % des chômeurs sont des chômeuses, 14,5 % de femmes et 11,1 % d’hommes — INSEE 1996), qu’elles occupent plus souvent des emplois précaires, flexibles, des emplois à temps partiel (imposé et non pas choisi comme on veut le faire croire, 85 % sont des femmes), qu’elles sont sur des postes à activités répétitives et contraignantes, qu’elles subissent violences et harcèlement sexuel. Mais les femmes s’entêtent à résister aux sirènes d’un retour idyllique à la maison entre marmites et marmots où elles s’épanouiraient.

Suite aux luttes engagées par les féministes dans les années soixante-dix, l’idée selon laquelle les droits des femmes sont les droits de tous a avancé. Lutter pour une revalorisation salariale permettrait aussi de revaloriser les salaires des plus démunis, qu’ils soient hommes ou femmes. De même, revendiquer une réduction du temps de travail servirait à améliorer la vie de tous et pas seulement des femmes. C’est le développement du temps partiel contraint qui détériore les conditions de vie et de travail des femmes et de ceux qui les entourent : la plupart des emplois à temps partiel se crée dans le secteur des services, à des heures qui devraient concilier vie familiale et vie professionnelle, c’est-à-dire à 6 heures du matin (entretien des lieux de travail, par exemple) ou à 21 heures (caisses de supermarchés), et le salaire partiel est souvent trop juste pour vivre !

Pourtant, les organisations mixtes, syndicales et politiques, n’apparaissent pas motrices pour la bataille pour la réduction du temps de travail. Serait-ce la gauche au pouvoir qui les paralyse comme en 1981 ? Qu’ont-elles fait autour de la Conférence nationale sur l’emploi, les salaires et le temps de travail du 10 octobre pour établir un rapport de forces favorable ? Maintenant, elles peuvent se sentir « dépossédées » par la prise d’initiative du Collectif national pour les droits des femmes.

Quand au mouvement libertaire, qui prône l’abolition du salariat au profit de la gestion directe de la production, de la distribution et de la communication, il se doit d’articuler ces revendications de rupture avec des revendications immédiates. En effet, nous ne pouvons oublier que l’autonomie financière d’un emploi « décemment » rémunéré permet aux femmes de choisir leur vie, la réduction du temps de leur travail, de l’améliorer même si cette sortie du travail invisible domestique et de l’oppression individuelle est une entrée dans le salariat et donc dans l’exploitation capitaliste.

Cette volonté des femmes de travailler hors de la sphère privée, même au prix de jongleries d’emploi du temps, démontre que l’oppression domestique est insupportable parce qu’elle repose sur un travail invisible et dévalorisé : les soins aux enfants, au compagnon, aux personnes âgées, l’éducation, l’entretien, le pourvoi au bien-être matériel et moral de tous,… devraient pourtant être considérés comme la base de la vie sociale que chacun pourrait assumer. Dès lors, le salariat apparaît comme un vecteur d’émancipation possible : déjà, par l’autonomie financière, plutôt que de demander « l’argent de poche pour faire tourner » la maison et pour vivre soi-même, mais aussi par le fait d’intégrer un collectif de travail, donc rompre l’isolement domestique, et pourquoi pas prendre une part active dans la vie sociale. Le droit à l’emploi, c’était déjà la revendication des femmes au début du siècle alors qu’il y eu des grèves d’hommes pour empêcher le travail rétribué des femmes, dans les ateliers. Simone de Beauvoir et le mouvement des femmes l’ont reprise en y associant le partage des tâches domestiques.

Vouloir l’égalité dans l’accès à l’emploi et dans le travail, vouloir un emploi digne qui ouvre à une place sociale, vouloir travailler en se réalisant et en ayant du temps pour vivre, pourquoi seraient-ce des revendications légitimes pour les travailleurs salariés ou non et suspectes pour les femmes ? Des femmes anarchistes seront au rendez-vous dans la rue ce samedi 15 novembre à 14 h 30 place du Châtelet.

Hélène et Elodie-Cécile
Commission femmes